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01 mars 2019

LES CONTRÔLES DES EXPORTATIONS EN EUROPE
A LA RECHERCHE D’UN ÉQUILIBRE ENTRE SOUVERAINETÉ ET INTÉGRATION

Dans un environnement réglementaire hétérogène, l’adaptation des pratiques nationales de contrôle export est un facteur essentiel de la réussite des futures coopérations et de l’émergence d’une véritable BITD européenne.


En 2008 et 2009, les pays euro­péens ont adopté une position commune et une directive fixant respectivement des principes de contrôle des exportations d’équi­pements militaires et des règles communes en matière de trans­ferts intracommunautaires. La volonté était alors d’harmoniser la politique des États-membres en matière d’exportations d’arme­ments à destination d’États tiers et de créer un environnement fa­vorable aux échanges au sein de l’Union. Sans porter atteinte à la liberté des États de décider de leurs exportations, des critères communs d’évaluation des de­mandes d’autorisation d’exporta­tion et une liste commune d’équi­pements contrôlés étaient définis. Les règles et les procédures ap­plicables aux transferts intracom­munautaires étaient, quant à elles, simplifiées et uniformisées.

Dix ans plus tard, alors que la Commission européenne finalise à peine les dernières recommanda­tions relatives à la mise en oeuvre de la directive sur les transferts intracommunautaires d’équipe­ments liés à la défense, l’harmoni­sation n’a certainement pas atteint le niveau espéré.

Une harmonisation inachevée

Dans le domaine du contrôle des exportations, le champ laissé à l’interprétation des États touche autant la définition technique des matériels contrôlés que la mise en oeuvre administrative du contrôle, ou les limitations sur l’utilisation finale des équipements.

Le classement des biens condi­tionne le régime auquel sera soumise leur exportation. Qu’il s’agisse d’équipements militaires ou de biens à double usage, cette opération, qui peut éventuellement conclure à une absence totale de contrôle, est essentielle. Et la fron­tière entre les mondes est parfois très subtile. Elle est même rendue volontairement floue par la néces­sité de parvenir à un consensus dans les instances internationales chargées de définir les listes de contrôle identifiant les biens dont l’exportation doit être maîtrisée. Aussi, il n’est pas rare que des au­torités nationales consultent leurs homologues pour lever les ambi­guïtés de classement sur certains matériels et des travaux sont en­core en cours au niveau européen pour préciser certains termes des listes. Reste qu’aujourd’hui, le champ-même d’application du contrôle au sein de l’Union euro­péenne montre une grande diver­sité d’un pays à l’autre.

L’étude de l’organisation des auto­rités de contrôle révèle par ailleurs une faune aussi bigarrée que les processus qu’elles sont chargées de mettre en oeuvre. Le contrôle relève ainsi tantôt d’un ministère de l’économie, tantôt d’un minis­tère des affaires étrangères, d’un parlement, ou d’une structure in­terministérielle, voire de différentes autorités en fonction de la sensi­bilité de l’opération considérée. Ces instances mettront quelques jours à de longs mois à se pro­noncer sur les requêtes que l’in­dustrie leur présente en vue, selon les réglementations nationales, de procéder à une exportation, d’accepter une commande ou simplement d’entamer des né­gociations commerciales. Elles feront enfin un usage varié des différentes autorisations prévues par la directive sur les transferts intracommunautaires – licences in­dividuelles, globales ou générales et dérogations – et s’inquiéteront plus ou moins de l’utilisation finale des biens par l’emploi qu’elles fe­ront de conditions, de clauses de non réexportation et d’exigences de traçabilité.

Des objectifs politiques discordants

Au-delà des divergences tech­niques, qu’une organisation indus­trielle adaptée permet malgré tout de gérer, le contrôle en Europe se caractérise par une grande dispa­rité politique, beaucoup plus déli­cate à concilier ou anticiper.

Tout d’abord, la sensibilité de l’opinion publique vis-à-vis des ex­portations d’armements peut aller d’un soutien indéfectible à l’indus­trie de défense, où, grosso modo, toute exportation qui n’enfreint pas un embargo de l’Union euro­péenne ou des Nations unies est bonne à prendre, à une aversion

presque viscérale pour les affaires militaires, au point de rêver pro­bablement que ses clients s’en­gagent un jour à ne jamais utiliser les matériels qu’on leur livre. Les pays de l’Union poursuivent alors à travers leur politique d’expor­tation, à des degrés divers, des objectifs d’affirmation de valeurs morales, de succès économiques, d’influence diplomatique, de ga­ranties sécuritaires ou de souve­raineté nationale.

Il convient maintenant de remar­quer que par le jeu des clauses de non réexportation, un État peut imposer ses propres restrictions à l’export à tout produit intégrant les siens, même si l’intégration intervient dans un pays voisin. La difficulté pour une industrie européenne en voie d’intégration est alors de devoir se conformer dans ses opérations export aux objectifs parfois diamétralement opposés que lui fixent les pouvoirs politiques.

« LE CONTRÔLE EUROPÉEN : UNE SOLUTION DE FACILITÉ POUR DES EXPORTATIONS NON ASSUMÉES »

Une autre difficulté pour le déve­loppement de coopérations indus­trielles européennes résulte de l’in­certitude que fait peser la politique sur les opérations internationales des entreprises. Si certains pays comme la France reconnaissent qu’une relation bilatérale, parti­culièrement dans le domaine de la défense, se construit sur de longues années et ne peut donc être révisée qu’au terme d’une ré­flexion approfondie, ce n’est pas le cas d’autres gouvernements beaucoup plus sensibles aux ré­actions passionnées de leur opi­nion publique. Les répercussions de l’affaire Khashoggi et les me­sures de rétorsion prises en ma­tière d’exportations d’armement sont ainsi symptomatiques de la volatilité de certains États. En agissant de la sorte, les gouverne­ments privent leurs entreprises de la visibilité nécessaire à la conduite de leurs activités, et, par ricochet, handicapent leurs partenaires in­dustriels européens.

Un enjeu majeur pour l’Europe de la défense

En multipliant les procédures, les exigences de conformité, et les risques de refus politique au sein de la chaîne d’approvisionnement, les États européens pénalisent leurs entreprises dans leur com­pétition face à des entreprises extra-européennes qui ne ré­pondent généralement qu’à une seule réglementation nationale. En ce sens, la volonté de développer une BITD européenne intégrée se heurte, dans le domaine du contrôle des exportations aussi, aux principes de souveraineté dé­fendus par les États-membres.

Ce genre de constat n’est pas rare lorsqu’il s’agit de conjuguer Europe et défense. L’ambition actuelle d’aller encore plus loin dans l’intégration et donner à l’Europe de la défense un outil industriel pour assurer sa souve­raineté capacitaire rend toutefois la question critique. En raison de la nécessité pour l’industrie euro­péenne de défense de compléter les commandes domestiques par des marchés extérieurs, la coopé­ration structurée permanente, le fonds européen de défense et les projets ambitieux de coopération franco-allemands ne pourront réussir que si les États y partici­pant parviennent à s’entendre sur la question des exportations.

« UN ÉTAT PEUT IMPOSER SES RESTRICTIONS EXPORT À SES PARTENAIRES »

Il n’est pas question pour autant d’abandonner aujourd’hui nos souverainetés nationales à une autorité de contrôle européenne, comme le suggèrent certains pays mal à l’aise avec leurs exporta­tions d’armements. La solution pour les États coopérants consiste plutôt à établir un environnement favorable aux échanges industriels et assurant la compétitivité des produits européens sur le marché international. Cela suppose, d’une part, que l’obtention des autorisa­tions de transferts au sein d’une coopération soit simplifiée pour réduire la charge administrative au strict nécessaire, ensuite, que les États partenaires respectent la souveraineté de chacun et s’ac­cordent à limiter les cas justifiant que l’un puisse s’opposer à ce que l’autre exporte le fruit de leur coopération ; enfin, que les États exportateurs donnent aux entre­prises suffisamment de visibilité en faisant preuve de constance en matière de politique d’exporta­tion. La concrétisation de la coo­pération structurée permanente exige maintenant des autorités de contrôles européennes qu’elles agissent vite.

 

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