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01 octobre 2017

DÉBAT (PRESQUE) IMAGINAIRE : LE BÉNÉVOLAT, PASSION OU DEVOIR ?

Pour certains, le désir de s’investir dans le bénévolat vient d'un élan du cœur, d’une passion. Pour d'autres, il est une obligation morale née du devoir d’entraide. Désireuse d’en savoir un peu plus sur les motivations de chacun, la CAIA est allé à la rencontre de deux bénévoles, M. Gédéon Tologie, partisan de l'obligation morale, et M. Barnabé Névole, inspiré par la passion.


CAIA : Vous êtes l’un et l’autre engagés dans des activités bénévoles, pourquoi ?
Gédéon Tologie : Je me promenais un jour dans une rue proche de chez moi. Le quartier s’est considérablement paupérisé depuis la crise et le nombre de SDF a explosé. Je me suis dit qu’il n’était pas possible de rester là sans réagir, qu’il fallait faire quelque chose.
Barnabé Névole : Pour moi, l’engagement bénévole c’est d’abord le plaisir de donner de mon temps pour aider les autres. J’ai eu le déclic un jour en voyant le sourire d’un enfant à qui un bénévole de la Croix-Rouge donnait des cours d’alphabétisation.

CAIA : Le bénévolat est donc d’abord une passion ?
Barnabé Névole : Absolument ! Personne ne m’a jamais forcé à m’engager. Et ce n’est pas l’appât du gain qui m’y a poussé non plus, comme vous pouvez l’imaginer… Pour moi, l'engagement bénévole est une sorte d'élan vital, une spontanéité de la générosité. Ce que j'aime, c'est écouter mon intuition, et me sentir solidaire dans la joie. Donc oui, l'engagement est pour moi une passion, une pure énergie créatrice, un élan désintéressé du cœur. Le bénévolat libère des trésors insoupçonnés en matière d’estime de soi et de sens de la vie.
Gédéon Tologie : Si le bénévolat est pour vous une passion, alors votre geste n’est pas purement altruiste. La satisfaction personnelle que vous en retirez tient lieu de rémunération, même si celle-ci n’est pas matérielle. Pour ma part, je considère que l'entraide est une obligation morale.

CAIA : Pour vous le bénévolat est donc plutôt affaire de conscience morale ?
Gédéon Tologie : Oui. La conscience morale, qui oriente chacun de nous, est capable de nous faire agir à l’encontre de nos penchants ou de nos intérêts particuliers. Le sens moral est ce qui nous distingue des bêtes, il élève notre âme. Comme disait Kant, « le ciel étoilé au-dessus de moi, et la loi morale en moi ».
Barnabé Névole : C’est une conception un peu triste de l’engagement, avouez. Il y a déjà tant de contraintes et d'obligations dans notre vie quotidienne… Rendre service et se faire plaisir en même temps, sans obligation, sans contraintes, mais dans la gratuité du geste, dans la légèreté, voilà qui me motive bien davantage.
Gédéon Tologie : L’obligation n’est pas forcément une lourdeur ou une entrave. Celle-ci nous oblige dans le sens noble du terme, et nous pousse à donner le meilleur de nous-mêmes. Ce qui contribue à nous élever n'est une contrainte qu'en apparence. Prenez l'exemple de la vie monastique : elle apparaît à beaucoup comme terriblement contraignante, tandis que pour ceux qui ont choisi cette voie, ces contraintes librement assumées sont un moyen de libération. Pour en revenir au bénévolat, j'aime la recherche d'une certaine pureté dans le don de soi, une certaine exigence par rapport à l'idée que l'on se fait de l'altruisme. La passion vient interférer avec cet idéal que je m'efforce d'atteindre.
Barnabé Névole : Permettez-moi de vous faire remarquer que passion ne rime pas forcément avec manque d'altruisme. J'aide les autres en y prenant du plaisir ! Et vous aussi d’une certaine façon. Vous l’avez dit vous-même, ce qui vous a poussé à vous engager, c’est le spectacle de la misère d’autrui et le sentiment de votre propre inutilité. En aidant les autres, vous faites d’une pierre deux coups : vous soulagez votre conscience, et vous répondez à la pitié que vous éprouvez. Votre engagement est donc également loin d'être altruiste.
Gédéon Tologie : Si par passion vous entendez sentiment, alors bien sûr nous ne sommes pas de simples machines froides et calculatrices. Mais il n’empêche, dans votre décision d’aider ces enfants, quelque chose vous a motivé qui j’en suis sûr était plus profond qu’un simple sourire, même si je peux tout à fait concevoir que cet aspect puisse jouer un rôle important. En réalité, vous avez senti un vide qu’il vous fallait combler. Par ailleurs, aider son prochain n’est pas toujours ce qu’il y a de plus amusant… Les maraudes de nuit sous la pluie, dans le froid, à aider des gens qui parfois vous repoussent ou même vous insultent, n’ont croyez-moi rien d’agréable !

CAIA : Justement, vous arrive t-il de vivre des moments de découragement ?
Barnabé Névole : Mon activité n’a effectivement rien d’un long fleuve tranquille, et j’admets même avoir eu la tentation d’abandonner. Mais la passion est toujours plus forte.
Gédéon Tologie : Ce qui est précisément le propre d’une passion, on la subit… Mais ce que vous dites est très intéressant. Quelque chose vous incite à rester qui n’est ni la rémunération, ni l’engagement légal. C’est donc bien que vous ressentez un sentiment d’obligation qui ne vous est imposé par personne d’autre que votre propre conscience. C’est le devoir à l’état pur.
Barnabé Névole : Je trouve qu'il y a quelque chose d’un peu hypocrite à justifier l'engagement bénévole par le devoir moral. Pour un certain nombre de gens qui affirment haut et fort leur engagement, le bénévolat est en réalité un prétexte pour échapper à leur vie quotidienne, qui est morose voire infernale. Celui qui invoque le devoir ne fait bien souvent que se retrancher derrière des concepts sophistiqués faute d’assumer les raisons réelles de son engagement.
Gédéon Tologie : Je reconnais bien là le caractère entier du passionné… Je pense qu'il est important de prendre en compte l’histoire personnelle des gens, car chaque histoire est unique. Je connais par exemple un chef d’entreprise dont la fille est lourdement handicapée, et qui a créé une association pour aider d’autres enfants victimes de ce genre de handicap. Sa situation personnelle l’a sensibilisé à un problème dont il n’aurait pas pris la mesure sinon. La passion n’y est pour rien.
Barnabé Névole : Probablement pas au départ. Mais demandez-lui s’il n’a pas fini par y trouver un motif de joie. Vous serez surpris de la réponse!
Gédéon Tologie : C'est possible, et heureusement que devoir et joie ne sont pas incompatibles ! C'est même souvent le contraire. Il y a une joie profonde à s'accomplir en tant qu'être humain dans ce qu'il y a de plus noble, à savoir sa capacité de don, d'altruisme, d'engagement pour autrui. Le cas de ce chef d'entreprise est très intéressant. Il aide les autres pour ne pas qu'ils vivent les mêmes épreuves, par devoir de compassion. L’ironie de l’histoire, c'est que ce devoir moral prend ici les apparences d'un élan vital provoqué par les aléas de l'existence. 
Barnabé Névole : Oui, et pour que cet engagement s'installe dans la durée, pour que la motivation perdure au-delà de cet élan de « réaction » face à un coup dur, il faut peut-être une pincée d'obligation morale. Mais réciproquement, se reposer sur le seul devoir est un pari risqué. Je connais beaucoup de jeunes qui s’investissent dans le bénévolat par désir de servir, et qui finissent par « décrocher » après quelques mois faute de passion, justement. Comme si finalement, ces deux facettes de la motivation de l'engagement se nourrissaient l'une de l'autre.

CAIA : Ne faut-il pas aussi prendre en compte la nature de l’activité ? Vous avez pris l’un et l’autre des engagements à caractère social, mais il y a beaucoup d’autres formes de bénévolat. Un moniteur de ski bénévole n’a sans doute pas le même rapport à son activité.
Barnabé Névole : Tout à fait. Autant je conçois qu’aider son prochain puisse relever davantage du devoir que de la passion, autant on ne peut être moniteur de ski sans être préalablement passionné de ski.
Gédéon Tologie : Sans doute, mais ce moniteur peut également se sentir tenu de ne pas garder ce plaisir pour lui et de le faire partager aux autres. Dans ce cas, il est dépositaire d’un savoir qu’il lui appartient de transmettre. On en revient au devoir.

CAIA : A vous écouter, passion et obligation ne sont pas forcément antinomiques l’une de l’autre. Il semble qu'il existe de multiples facettes de l'engagement bénévole. Tout comme il existe de nombreuses sources de motivation, certaines plus nobles et d'autres moins avouables. Mais après tout, l'essentiel n'est-il pas que chacun y trouve du sens, son propre sens, en toute liberté ?

Propos (presque) recueillis par Séverine Bournaud et Flavien Dupuis


Séverine Bournaud, ICA
Flavien Dupuis, IPA

Séverine Bournaud (X 1999, Formation Recherche), après six années à la DGA, est chef de laboratoire dans le domaine de la surveillance des essais nucléaires et de tout événement d'intérêt pouvant être caractérisé grâce aux données géophysiques au CEA/ DAM. Elle travaille également en lien étroit avec l'Organisation du Traité d'Interdiction complète des Essais nucléaires, basée à Vienne.


Flavien Dupuis (X 2006, Supaéro 2011), après un premier poste au centre d’analyse technico-opérationnelle de défense de la DGA, a rejoint la Direction générale du Trésor comme adjoint au chef de bureau en charge de la préparation des sommets financiers internationaux du G7 et du G20. Il travaille actuellement au bureau en charge de l’assurance-crédit export des contrats de défense.

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