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01 octobre 2017

« ESSAYEZ DE LAISSER CE MONDE UN PEU MEILLEUR… » : UNE EXPÉRIENCE DE RESPONSABLE DE GROUPE SCOUT



Lord Robert Baden Powell (1857-1941)
fut un brillant off cier qui servit l'Empire Britannique en Inde et en Afrique pendant plus de 30 ans. Il s'illustra en Afrique du Sud pendant la guerre contre les Boers lors du siège de la petite ville de Mafeking qu’il défendit pendant plusieurs mois contre des Boers en surnombre (1899). Son expérience militaire lui inspira ses idées sur le développement des jeunes ; il les mit en pratique lors d’un premier camp sur l'île de Brownsea (1907) et y consacra de nombreux écrits, dont la série d'articles fondatrice Scouting for Boys (1908), qui suscitèrent beaucoup d'intérêt et conduisirent à la création du mouvement scout (1910).


A la fois épuisant et enthousiasmant, mon engagement comme responsable de groupe scout a été la source de grands bonheurs, mais aussi de profondes interrogations sur le sens de cette mission et sa place vis-à-vis d’autres engagements. En filigrane apparaissent quelques verbes dont en est faite la trame : donner, recevoir, grandir et faire grandir… et toujours, aimer.


Longtemps, je me suis couché tard… Cette introduction, qui semblera familière aux amateurs de madeleines, ne prétend pas annoncer une recherche du temps perdu mais simplement quelques traces d’une expérience de temps donné avec mon épouse pendant cinq ans en tant que responsables d’un groupe scout, qui compte aujourd’hui un peu plus de 170 jeunes de 6 à 19 ans, une trentaine de chefs (des jeunes de 17 à 25 ans, voire un peu plus, chargés de l’encadrement des unités) et une douzaine d’adultes engagés qui constituent « l’équipe de groupe ». Cet ensemble constitue une vraie communauté à laquelle il faut ajouter les parents des jeunes, issus d’environ 120 familles.
La motivation initiale doit beaucoup au devoir, à la volonté de rendre ce qu’on a reçu – j’ai été scout durant sept ans, mon épouse encore beaucoup plus longtemps et quatre de mes enfants étaient à l’époque déjà scouts avec bonheur (la cinquième les a rejoints depuis !). Elle procède aussi d’un appel des responsables de l’époque, qui nous avaient « repérés » depuis quelques années déjà comme successeurs potentiels, sans qu’on y voie d’autres raisons qu’une implication bienveillante dans l’accompagnement de nos enfants. Dans un deuxième temps, c’est plutôt le sentiment de compétence (notamment en matière d’organisation, de planification) qui m’a porté, la transposition de certains réf exes de manager se faisant assez naturellement dans une fonction de responsable associatif. Et puis sont venus assez rapidement le plaisir et la joie que permettent la réalisation de nombreux projets de toutes dimensions, les moments vécus en groupe, et tout simplement l’observation de la croissance de tous.

Grandir ensemble
« Grandir ensemble », ces deux mots ont été choisis par les Scouts et Guides de France pour leur campagne de communication 2016 ; ils illustrent ce qui fut au cœur de ces cinq années. La proposition scoute vise bien sûr d’abord au développement des jeunes scouts et guides, mais chacun y trouve l’occasion de sa croissance. Ainsi les chefs y font (ou y poursuivent) l’apprentissage de la responsabilité, de l’organisation… Grâce à la formation et à l’expérience acquise, beaucoup assumeront un jour, parfois dès l’âge de dix-neuf ans la responsabilité (BAFA off - ciel en poche) de la direction d’un camp de 20 à 30 enfants. Ce n’est donc pas sans raison qu’une communication plus ancienne parlait du scoutisme comme « première école de management » !
Un de mes objectifs prioritaires a été d’accompagner le développement des chefs dans cette dimension qu’il est tentant de qualifier de « managériale », tantôt en tant que présence rassurante (référent), tantôt dans une position qui peut se rapprocher de celle du coach, en créant un lien personnel avec chacun d’entre eux et en les aidant à affermir leur personnalité propre. Faire grandir les chefs permet au responsable à la fois de les aider à faire grandir les enfants et adolescents qui leur sont confiés, mais aussi de grandir lui-même par tout ce que peut apporter la compagnie de jeunes adultes aux personnalités très variées, fourmillant d’idées et d’initiatives.

Oser la confiance
Si je ne devais retenir qu’un facteur de succès pour la vie d’un groupe scout, ce serait la confiance. Le scoutisme est, par bien des aspects, assez décalé par rapport à une société qui a une forte aversion au risque – il offre en tout cas un espace de liberté qui en fait tout l’attrait pour beaucoup de jeunes et leurs familles, et dont la pleine utilisation appelle à la fois responsabilité et confiance.
L’exercice par les chefs de leurs responsabilités nécessite qu’ils aient confiance en leurs capacités, qu’ils en connaissent les limites, et qu’ils disposent de la confiance des parents comme des responsables. Les expériences vécues par mes enfants, le lien tissé avec les chefs, et aussi sans doute mon inclination naturelle, m’ont toujours porté à croire aux capacités des chefs. C’est pourquoi, avec l’équipe de groupe, nous avons cherché à créer un environnement facilitant l’expression de ces capacités, que ce soit en veillant aux ressources (locaux, matériel, finances) mises en œuvre pour les activités, en les sécurisant chaque fois que nécessaire vis-à-vis de situations délicates (jeunes en conflit ou en difficulté personnelle, notamment) – en respectant toujours leur responsabilité pédagogique. L’expérience de ces cinq années valide pour moi la pertinence de cette logique d’environnement « capacitant » – pour parler le langage des sociologues – parfaitement transposable en milieu professionnel. Je dois aussi avouer combien m’a épaté, en d’innombrables occasions, la capacité des chefs à, malgré leur jeunesse, assumer des responsabilités complexes, faire fonctionner une équipe d’animateurs en bonne intelligence en tirant le meilleur des capacités de chacun, prendre des initiatives tout en rendant compte à bon escient dans les difficultés. A bien des égards, le pari de la confiance a été le bon, et fut la clé pour de grands bonheurs.

« CROIRE AUX CAPACITÉS DES CHEFS »

Les ambiguïtés d’un engagement passionnant et passionné
J’ai dit plus haut qu’à un bénévolat du « devoir » avait succédé un bénévolat des compétences et du plaisir ; mon engagement a aussi suscité un sentiment de réussite grisant mais troublant. Grisant par le sentiment de plénitude qu’apportent les retours des parents comme des jeunes du groupe, l’observation de la qualité du scoutisme vécu, l’augmentation régulière et rapide du nombre d’adhérents. Troublant, car le bénévolat conserve-t-il totalement son sens quand des considérations de performance commencent à l’imprégner, et quand les priorités (familiales notamment) se brouillent ? Je n’ai pas trouvé de réponse claire et définitive à cette question : si permettre à davantage de jeunes de vivre un scoutisme de qualité, entreprendre la création d’un nouveau groupe dans un quartier défavorisé, m’apparaissent toujours comme des buts valables, l’esprit dans lequel ils sont poursuivis peut ne pas être exempt d’ambiguïté.
Comme pour les fonctions de direction en milieu professionnel, je crois que cette ambiguïté justifie à la fois une limite dans le temps à l’exercice des mêmes responsabilités, et la présence de « consciences externes » capables de rectifier un cap quand le responsable tient la barre d’une manière un peu trop personnelle, capables aussi au sein de la famille de poser des limites saines pour un engagement équilibré et équilibrant. Les Québécois parlent volontiers de « capacité d’amour » pour désigner notre aspiration à l’engagement désintéressé. Avec les garde-fous que je viens d’évoquer, l’engagement dans le scoutisme – comme maints autres engagements bénévoles et, pourquoi pas, si l’on veut s’en donner la peine et que l’environnement nous en offre la possibilité, la vie professionnelle – est un magnifique champ pour l’expression et la fructification de cette capacité d’amour.


SCOUTS TOUJOURS…

Plusieurs propositions scoutes cohabitent en France et dans le monde, confessionnelles ou laïques, plus ou moins proches de la tradition du scoutisme originel. Si les relations entre mouvements sont parfois marquées par quelques préjugés, ce qui rapproche ces propositions sur le fond (la pédagogie scoute structurée par la vie dans la nature, la progression personnelle, la vie en équipe, la promesse et le respect de la loi, l’apprentissage par l’action et le jeu, la coresponsabilité) est plus important que ce qui les sépare (le plus visible : les tenues, mais aussi l’exercice de l’autorité, la place donnée à la spiritualité…), et leurs différences permettent aussi aux familles le choix d’une mise en œuvre qui leur corresponde. Pour paraphraser l’Evangile, il y a plusieurs demeures dans la maison laissée par Baden-Powell !
Pour tout savoir sur le scoutisme, il existe une très riche encyclopédie collaborative en ligne : « Scoutopedia » (fr.scoutwiki.org)

 


Bruno Bellier, ICA

Actuellement inspecteur de l’armement délégué à la sécurité biologique et chimique, Bruno Bellier a suivi une carrière dont le fil directeur est la défense NRBC mais qui l’a mené également à la mission de supervision de l’OCCAr et à la DRH de la DGA.

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