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QUAND LA DIGITALISATION RÉVEILLE LA VIEILLE INDUSTRIE MUNITIONNAIRE...
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31 mai 2018

LES NOUVEAUX ANGLES DU TIR

L’irruption du numérique dans les armes et les munitions bouleverse la nature du tir, jusqu’alors encore assez imprécis et pas toujours fiable. Ainsi, les technologies du XXIe siècle permettront de faire mouche à coup sûr, ou presque, et... pour pas cher. Cette évolution concerne toute notre communauté, des forces de défense et de sécurité, de la DGA et des industriels et n’a pas fini d’ouvrir de nouvelles perspectives.


 

Une industrie ancienne

À la fin du XXe siècle, l’industrie munitionnaire semble comme endormie : elle fournit des produits standardisés (quelques grands calibres définis par l’OTAN, à base de technologies bien connues [métallurgie, poudres, explosifs, balistique...] et peu génératrice de nouvelles ruptures). Très dépendante des effets de volume, la filière évolue assez peu en dehors de quelques tentatives de rationalisation.

Le ‘Lean’, un nouveau stimulateur

Le groupe Thales se positionne lui aussi comme acteur historique de cette industrie avec plusieurs sites emblématiques dont certains centenaires : en France autour du pôle de La-Ferté-Saint-Aubin (ex-TDA), à Herstal en Belgique (ex-Forges de Zeebrugge) ou à Mulwala, Benalla et Lithgow en Australie (ex ADI1), et par sa contribution à la Joint Venture (JV) Junghans Defence. Depuis une dizaine d’années, ces entités se sont formées aux techniques du ‘Lean’2, une initiative générale coordonnée par Cécile Roche, Directrice du Lean du groupe. Ces démarches déclinent, chacune à sa manière, la boîte à outils du ‘Lean’ : Gemba Walks, AIC3, Kaizen, etc. Bien utilisés, celles-ci présentent une vertu commune : recréer le dialogue entre tous les acteurs autour des enjeux clefs de l’entreprise.

1 Australian Defence Industries.
2 Du terme anglais « maigre », « sans gras »...3 Animation à intervalle court.

« L'un des objectifs de la transformation digitale de l'industrie est de placer l'être humain au centre pour augmenter sa valeur ajoutée. Le lean est lui aussi axé sur le développement des personnes. »

P. Chamoret, Vice-Président Industrie chez Thales.

Ainsi, dans un atelier de fabrication de munitions, tous les protagonistes, opérateurs, techniciens ou ingénieurs, se retrouvent pour analyser les problèmes et trouver des solutions. En sortant d’un modèle tayloriste, où une équipe méthodes imposait aux autres ce qu’ils devaient faire, le ‘Lean’ a redonné de la liberté d’action à chacun et restimulé les façons de travailler en équipe.

Automatiser, oui, mais pas n’importe quoi !

L’un des premiers problèmes rencontrés est celui de la fiabilité : les artilleurs peuvent être confrontés à des « non-feu », c’est-à-dire au non départ d’une munition, évènement particulièrement pénalisant en opérations puisqu’il faut attendre plusieurs minutes pour résoudre l’incident. Dans les faits, une munition est un objet complexe à fabriquer, avec une succession d’opérations élémentaires. Or "errare humanum est" : l’erreur est le propre de l’homme, en particulier sur des tâches répétitives : une seule erreur sur une étape et la munition concernée ne fonctionne plus.

C’est là que les équipes peuvent choisir d’introduire des outils de robotique. Inventés par d’autres industries,

 

Robot d’inspection profilomètrique 3D

Modulables et configurables, ces derniers s’intègrent facilement dans la chaîne de fabrication. En les affectant aux tâches les plus sensibles, le risque d’erreur s’en retrouve drastiquement diminué (typiquement de 10-2 à moins de 10-6 sur une opération élémentaire). Outre l’amélioration spectaculaire de la fiabilité et de la sécurité d’emploi des munitions, l’équipe peut aussi les choisir pour éviter les tâches répétitives les plus pénibles ou baisser les coûts unitaires. Sécurité, fiabilité, coût, qualité de vie au travail : les gains sont immédiats sur tous les plans. C’est l’irruption de l’industrie 4.0, qui permet aussi d’accumuler de nombreuses données mesurées pendant la fabrication, bases de la prochaine amélioration des processus industriels.

L’électronique est entrée dans la munition...

Autre évolution : il est désormais possible de fabriquer une électronique capable de résister au départ du coup de canon. Premières impactées : les fusées d’artillerie qui connaissent la même évolution que l’industrie des montres. Alors que celles-ci étaient limitées par les performances intrinsèques de la micromécanique, elles gagnent en précision d’action avec l’introduction de l’électronique pour, par exemple, déclencher l’effet terminal au meilleur moment : la munition devient beaucoup plus efficace. Ainsi, depuis dix ans, notre filiale Junghans-T2M décline ses innovations sur tous les types d’armes.

En parallèle, l’arrivée de nouvelles techniques d'actuateurs, de calcul embarqué de trajectoire, ou encore de détection laser, a rendu possible la correction de trajectoire des munitions et, par-delà, leur guidage terminal. Ces munitions guidées présentent un énorme avantage : leur faible coût. Typiquement, une roquette guidée à précision sub-métrique coûte dix fois plus cher que la même munition non guidée. Il ne s’agit là que de la première génération : à l’image de la téléphonie mobile, le coût de ces munitions est appelé à baisser tout en offrant des performances accrues et de nouvelles fonctions. En outre, avec les progrès de la miniaturisation, les technologies vont descendre en calibre, des munitions des artilleurs et des cavaliers vers celles des fantassins.

... et elle s’installe dans l’arme de petit calibre

En matière de petits calibres, l’électronique arrivera un peu plus tard dans les munitions en raison des contraintes de miniaturisation. En revanche, elle s’intègre déjà sur ou dans les armes et change profondément leur usage. En effet, l’électronique permet de plus en plus de tirer dans la bonne direction et au bon moment par des outils d’aide au tir, ce qui améliore la performance du tireur dans des proportions encore jamais vues, à grande comme à courte distance.

Toutefois, ce progrès nécessite des munitions au comportement parfaitement répétitif. Or, par exemple, les poudres n’ont pas le même comportement en fonction des températures. C’est pourquoi Thales Australie propose déjà des munitions quasiment insensibles à la température. En réglant son arme et ses outils en stand de tir à température ambiante, le tireur garde la même précision quelque soient les conditions du terrain.

Contribution à l’équipe militaire

On le voit, sous la pression de la transformation de l’industrie et des technologies, les concepts opérationnels associés au tir n’ont pas fini d’évoluer. L’application de tirs ajustés et aux effets gradués permettra de réduire drastiquement les consommations en munitions de tout calibre et donc les effets collatéraux. Il est même possible d’envisager à terme que l’intelligence embarquée de la munition lui permettra de décider de ne pas détonner lorsque la cible ne sera pas atteinte.

Au final, les avancées induites par le développement d’armements de précision ou à guidage terminal auront également des répercussions au plan strictement éthique en changeant profondément la nature des opérations. En effet, il s’agira bien de sortir de l’âge de la guerre industrielle pour offrir une alternative intelligente fondée sur la maîtrise de la violence dans toutes les phases des opérations. En mettant hors d’état de nuire un élément hostile et en ne

traitant plus seulement une zone et, par-delà une surface, on ne fait plus la guerre au terrain mais à un ennemi responsable de ses actes (ou de ses exactions). Une manière de rendre la guerre moins injuste en maîtrisant des effets proportionnés à la menace et en maîtrisant les effets indésirables sur les non combattants.

De plus, tirer précisément, c’est moins tirer. L’utilisation de telles munitions réduira les besoins en ravitaillement d’un facteur moyen de cinq : moins de camions sur les routes, donc moins de pollution, moins d’opérations de maintenance et, surtout, une moins grande vulnérabilité aux attaques de convois, le tout dans un contexte de raréfaction de ressources au prix allant croissant.

En un mot, le développement d’une politique munitionnaire moderne aura des effets insoupçonnés sur l’économie générale des organisations militaires, tant pendant les phases de préparation opérationnelle que pendant les opérations proprement dites.

 

Auteur

VP Commerce France, THALES Systèmes d'informations & communications sécurisées

Après des débuts chez DCN, Pierre a dirigé plusieurs établissements industriels chez SNPE et THALES, où il anime le commerce France depuis 2018. Voir les 4 autres publications de l'auteur

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