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01 octobre 2018

LES OBJETS CYBERPHYSIQUES : LA PUISSANCE DU NUMÉRIQUE AU SERVICE DU MONDE PHYSIQUE

Dans les années à venir, l’immersion du numérique dans notre vie quotidienne au travers des objets dits cyberphysiques va bouleverser nos habitudes. De nombreux enjeux techniques sont au coeur de ces systèmes d’un nouveau type, alliant intelligence artificielle, bigdata, calculs numériques massifs, impératifs de sureté et de sécurité, fiabilité d’ensemble…


Le rapport Villani sur l’intelligence artificielle a créé un formidable engouement autour de cette thématique et a eu le mérite de l’explorer dans toutes ses dimensions : technique, sociétale, économique. Comme souligné dans le rapport, il ne s’agit pas tant d’une révolution technologique (les principes algorithmiques datent des années 1970/1980) que d’une révolution capacitaire du fait de la disponibilité presque illimitée de moyens de calculs (dans le cloud) et de données désormais disponibles. A ce titre, les start-up ont un rôle essentiel à jouer car elles apportent une réactivité et une créativité très grandes qui permettent d’explorer un champ d’applications infini avec un ticket d’entrée technologique relativement modeste. Parallèlement à ce mouvement, nous voyons depuis peu de grands enjeux technologiques revenir au-devant de la scène : on peut citer le véhicule autonome, les avions connectés dans le domaine de l’aéronautique (augmentation des services pour les usagers mais aussi optimisation de la maintenance), la modernisation du transport ferroviaire (connectivité croissante et autonomisation) et les « réseaux électriques intelligents » ou « smart grids ». Ces chantiers sont complexes et touchent des domaines déjà bien établis et optimisés pour lesquels de très gros investissements matériels ont déjà été consentis tant sur les produits que sur les chaînes de production. Par ailleurs, il s’agit dans ces différents cas d’apporter des évolutions significatives qui impactent complètement le monde physique : le pilotage automatique des véhicules ou bien celui d’un réseau électrique multi-sources devra être parfaitement fiable et il bouleversera nécessairement nos routes, nos villes, nos habitations et évidemment nos usages.

Tous ces chantiers ont finalement un enjeu commun : celui de la maitrise de systèmes d’un type nouveau, appelés systèmes cyberphysiques (ou Cyber Physical Systems, CPS, aux Etats-Unis), le terme cyber faisant référence à leur puissance numérique, et le terme physique à leur emprise sur le monde réel. Ces systèmes se caractérisent en effet par la capture d’un énorme flux de données (« big data ») et d’une l’intelligence répartie de bout en bout avec des niveaux de connectivité interne et externe jamais atteints. De plus, ils ont une emprise directe, en temps réel, sur le monde physique et sur les humains. Les CPS vont nécessiter de faire appel à la fois à la puissance des outils de l’intelligence artificielle mais aussi à des technologies embarquées au sens large (capteurs, capacités de calcul, connectivité…) qui seront au plus proche des objets et des infrastructures. On peut tenter de résumer en cinq points les défis techniques et technologiques posés par les CPS :

1 - la connectivité intensive des systèmes embarqués conduit à des systèmes de systèmes et implique de combiner deux types de liens : d’une part la connectivité des objets à l’intérieur d’un système qui impose de fortes contraintes de sureté, et d’autre part la connectivité du système avec le monde extérieur qui exige de fortes contraintes de sécurité ;

2- la puissance de l’intelligence artificielle doit être embarquée dans les CPS mais elle doit répondre un jeu de contraintes supplémentaire par rapport à l’utilisation classique sur le cloud : fournir des données déterministes (pour répondre à des contraintes normatives notamment) et être très frugales en consommation d’énergie (les quantités d’énergie locales étant limitées)

3- les interactions avec le monde réel impliquent une réactivité importante et maitrisée pour prendre en compte les aspects dynamiques et évolutifs de l’environnement (il faudra typiquement garantir une prise de décision/action en un temps limité, voire en quasi temps réel, avec un temps de réponse de l’ordre de la milliseconde).

4- l’utilisation d’intelligence au coeur des systèmes peut être soumise à des contraintes environnementales fortes (température, humidité, environnement électromagnétique, etc.) qu’il faudra bien prendre en compte ;

5- Par ailleurs il s’agit de garantir dans certains cas des durées de vie conséquentes (typiquement 20 à 30 ans pour l’aéronautique).

Pour répondre à tous ces défis, il convient évidemment de tirer profit des avancées importantes faites dans les domaines de l’intelligence artificielle mais aussi dans celui de la micro et nano électronique au sens large (capteurs miniatures, composants électroniques de calcul ou de mémoire,…). Toutefois cela ne suffira pas : le couplage entre ces domaines étant aujourd’hui encore trop insuffisant. Pour y remédier, il convient de proposer des approches spécifiques aux problèmes posés pour les différentes fonctions concernées :

- Connectivité : les solutions actuelles et celles à venir de la 5G offrent des potentialités importantes, mais il faudra gérer les spécificités liées aux CPS et à leurs applications, tel que l’indispensable sécurisation des transmissions ;

- Concernant les calculs il faudra développer des algorithmes spécifiques aux CPS et des portages efficaces sur des plateformes adaptées ;

- Les interfaces avec le monde physique devront être particulièrement performantes étant donnée la criticité des applications considérées : sur le véhicule autonome typiquement, il faudra concevoir la bonne architecture de capteurs (imagerie, lidar, radar…) tout en prenant en compte les enjeux calculatoires et de connectivité. Il va de soi que la miniaturisation et le coût seront des facteurs primordiaux.

Des véhicules à pilotage automatique

Smart-grid : production / stockage décentralisés multi-sites, bidirectionnalité des réseaux

En complément, il est impératif de développer une approche système qui seule permettra de trouver les bons compromis. C’est toutefois un vrai challenge dans la mesure où traditionnellement les outils de conception système et les outils de conception des composants nanoélectroniques restent séparés. Il faudra donc développer une ingénierie globale de modélisation et de validation allant du logiciel au monde physique en passant par les composants matériels : celle-ci devra notamment permettre de qualifier les aspects sureté et cybersécurité qui sont des enjeux forts de ces futurs systèmes ultra connectés.

Nouveaux services pour les usagers et optimisation de la maintenance

Le CEA et en particulier ses instituts de recherche LIST (Laboratoire d'Intégration de Systèmes et des Technologies) et LETI (Laboratoire d’Electronique et des Technologies de l’Information) sont particulièrement bien positionnés pour soutenir l’industrie nationale et relever ces défis. Par leur maitrise des composants micro et nanoélectroniques, des architectures de calcul embarquées, des algorithmes d’intelligence artificielle et enfin de l’outillage logiciel global de conception/validation, ils peuvent apporter des solutions adaptées aux défis des CPS.

Des actions sont d’ores et déjà en cours avec des industriels nationaux pour avancer au plus vite sur ces défis techniques. Au-delà de ces premières actions, il faudra pouvoir irriguer plus largement le tissu industriel et diffuser ces outils et savoir-faire à d’autres domaines applicatifs : santé connectée, industrie au sens large pour des fonctions de contrôle commande décentralisées, applications nécessitant des collaborations temps réel dans un système distribué.

Connectivité et automatisation ferroviaires

Si elle présente de vraies opportunités pour l’industrie française (les grands groupes mais également PME), l’ambition autour des CPS n’aura néanmoins du sens qu’au niveau européen ; pour cette raison un plan d’actions plus large est en cours pour bénéficier du soutien de l’Europe.

 

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