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01 mars 2018

RENTRÉE 1967

Dopé tout le "summer of love" par l’Airplane, Country Joe, et Big Brother, l’Ingénieur du Génie Maritime -tel était son prénom- Roger rentre de stage sur ordinateur G.E., passe sans effort la coupée de la "Jeanne", les panneaux de la "Junon" et de l’"Ariane", la porte de l’Ecole du g"nie maritime avenue Octave Gréard, celle de Sup’Aéro boulevard Victor, et le voilà, trois ans après, gare Saint-Lazare, dans le Turbotrain de la SNCF qui l’emmène à la porte d’un pluvieux arsenal. Doté du prénom nouveau et oecuménique d’Ingénieur de l’Armement, il rejoint la Direction des constructions et armes navales. Car ce sont les ordres, et les ordres, en 1967, c’est les ordres.

50 ans après

Son nouveau prénom est long comme un jour sans pain, très chic et sentant bon l’école buissonnière, mais il se termine par 2S, alors il préfère Philippe, voire Philippulus. Et voilà que le rédac’chef l’a encore taxé d’un article du style "50 ans de carrière". Ça l’épuise rien que d’y penser. Tel le sous-directeur aux champs, qu’il fut, l’inspiration lui manque, et il va être obligé de vous raconter sa vie, quand… Quand il relit avec nostalgie son premier – et seul – paragraphe.

Damned ! Plus rien n’en subsiste ! Adieu Fillmore, groupes West Coast, ordinateurs G.E., Génie Maritime, navires et Turbotrain, arsenal et DCAN. Gréard est dégréé et Victor… Victor… N’en parlons pas !

Il reste tout juste Saint-Lazare, la SNCF, le Corps de l’Armement, et les ordres. Sont-ils restés là 50 ans par un "coup d’chance" tel le Général (à vendre) de Francis Blanche ? Pas du tout. Je vais vous le montrer tout-.-l’heure.

Commençons par Saint-Lazare : 50 ans de pérennité, ce n’est rien pour ce récidiviste. Il a des appuis en haut lieu, n’en parlons plus.

La SNCF, elle, répond à un b e s o i n - p é r e n n e - d e - t r a n s -port-par-rail-optimisé-au-niveau-national, et, si Bruxelles lui lâche les essieux, elle durera autant que les impôts. Prescrivons-lui juste quelques IA spécialistes des changements de statut… et de l’entretien.

Et les ordres, me direz-vous ? Eh bien, on n’en discute pas. Voilà. Reste la pérennité du Corps de l’Armement. Mais… bon sang, mais c’est bien sûr, voilà mon sujet !

Armand

Le Corps de l’Armement. On aurait pu l’appeler Armand. "C’était un pôv’ gars, qui s’app’ lait Armand, l’avait pas d’Papa, l’avait pas d’Maman… " (air connu).

Il était né dans une famille riche mais honnête - riche de ses réalisations techniques mais honnête dans ses revendications salariales - mais ses parents étaient morts à sa naissance et même de sa naissance. Il faut bien dire que, mariés de force, ils n’en voulaient pas. "Pôv’ petit n’ange… " (air moins connu). Allait-il trépasser en bas âge ? Qui serait là pour le soigner ?

Mais au fait, avions-nous alors, jeunes membres du Corps, l’impression d’être en danger, voire agonisants ? Pas du tout ! Même pas mal !

C’est que nous étions Armand, comme on pourrait dire aujourd’hui. Armand n’était pas un nourrisson, mais un groupe d’hommes, composé de ceux qui composaient son père et sa mère, et auquel s’agrégeraient des membres nouveaux.

Il était la continuité. Il avait le savoir, l’énergie, la résistance aux maladies de Gribeauval, de Dupuy de Lôme et de Ferber réunis, si leur transmission avait été bien faite, et il lui incombait de poursuivre, tant que sa raison d’être ne disparaîtrait pas.

C’était un essaim, réunion de deux ou plutôt de cinq essaims (les moeurs des insectes sont assez libres). Chacun des cinq avait eu une reine différente, seul but dans sa vie ; quelle reine, quelle raison d’être allait-il adopter ?

10 000 pages !

Mais me voilà parti sur un sujet brossé naguère par Jean-Henri Fabre, entomologiste et félibre, en pas moins de dix mille pages ; déjà, sinistrement, Anastasie de Dinechin fait cliqueter ses ciseaux… Abrégeons !

Notre essaim a eu pour première raison d’être l’ensemble des raisons d’être de ses parents, qui le service de la Marine, qui celui de l’armée de Terre, qui celui de l’armée de l’Air, plus la construction du système de dissuasion, raisons d’être qui se fédéraient facilement en une seule : le service de la Défense de la France.

Il était donc solidement lié. Mais il aurait pu se dissocier, ou s’amputer, ou se dévorer tel le catoblépas. Il a eu l’intelligence collective de ne pas le faire, en continuant en particulier à faire vivre toutes les spécialités techniques nécessaires au succès des armes de la France. A défaut, les armées auraient dû reconstituer chez elles les capacités nécessaires au court et moyen terme, et n’auraient sans doute pas trouvé le courage budgétaire pour préparer suffisamment le long terme, ou pour mener une politique d’autonomie d’emploi suffisamment vigoureuse. Et il se serait créé une concurrence de facto entre les Armées et la DGA sur les questions d’armement.

Or il est absolument nécessaire, non pas pour notre essaim mais pour le succès du ministère, qu’un équilibre entre le pouvoir technique, le pouvoir opérationnel, et le pouvoir administratif y soit maintenu. La spécialisation et la séparation des espèces, menant à leur équilibre, sont un excellent principe, même chez les abeilles. Les créations du Corps et de la DMA en furent l’application.

Une fois séparées, certaines espèces vivent en symbiose pour le bien de chacune, et ce fut dès le début le cas entre notre essaim et celui des officiers des armes. Nos parents vivaient de même. C’est un des motifs de notre efficacité et de notre longévité. Mais cette symbiose, qui se manifeste par l’uniforme, l’Organisation Coelacanthe, et autres symboles et monuments que j’espère éternels, n’est stable que si le succès à long terme des armes de la France reste notre but principal.

Pour rendre encore service dans les cinquante ans à venir, il faut ainsi rester un essaim, se reproduisant, faisant produire plusieurs ruches, n’abandonnant que ce qui peut être suffisamment bien fait ailleurs, fidèle aux espèces amies, et résistant autant que le service le demande aux autres espèces, et aux pesticides et maladies de l’âge mûr, dont je ne donnerai qu’un exemple.

Monsanto

Le pesticide, c’est ce qu’on distribue contre les nuisibles (pests), mais qui nous tue à nous (the good guys).

Le plus fréquent, c’est la réforme administrative. Un visiteur du soir, généralement énarque, va voir le  Premier Ministre (idem) pour proposer de réformer enfin les corps administratifs et bang ! La foudre à Jupiter frappe les corps techniques.

L’exemple des fusions des corps techniques civils, qui ont vidé la fonction publique de centaines d’ingénieurs spécialisés dans des domaines où la maîtrise d’ouvrage, la régulation, l’expertise, restaient et resteront à exercer à divers niveaux par l’Etat, doit nous faire réfléchir : plus de spécialistes des télécom, de l’aviation civile, plus d’actuaires, sans doute plus d’enseignement de la maîtrise d’ouvrage d’infrastructure aux IPEF.

Dans ce contexte l’essaim admirable du corps des Mines, comme avant lui celui des Ponts, a plus usé de ses capacités de digestion que de ses capacités d’expansion ; mais il faut dire qu’il ne voulait pas reconstruire de ruche. C’est un migrateur. Pas nous.

Faisons-nous donc charger des missions tombées en déshérence, si l’on veut bien nous accorder les embauches nécessaires, mais n’allons surtout pas fusionner avec un essaim d’abeilles tueuses qui commenceraient par supprimer notre nécessaire diversité et se rendraient incapables d’assumer nos missions.

Bref, profitons de notre culture européenne : groupiert ! … ma non troppo.

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