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Le sous-marin Téméraire
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01 octobre 2016

SNLE 3G
LA NAISSANCE D’UN GRAND PROGRAMME

La Dissuasion nucléaire repose sur une triple crédibilité politique, opérationnelle et industrielle. Grâce aux efforts consentis depuis plusieurs générations, la France fait aujourd’hui partie des très rares nations disposant d’une dissuasion nucléaire autonome et crédible. La posture opérationnelle de permanence à la mer, tenue depuis 1972 par nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), en est un parfait témoignage.


En tant qu’autorité de conception et maître d’œuvre industriel sur l’ensemble du cycle de vie des SNLE, DCNS contribue directement à la crédibilité technologique de la dissuasion et à l’autonomie stratégique de la Base Industrielle et Technologique de la Défense française (BITD). Au-delà du maintien en conditions opérationnelles (MCO) des SNLE actuels et de leur refonte pour intégrer le missile M51, le Groupe doit aujourd’hui concevoir les futurs SNLE de troisième génération pour la Marine nationale, qui remplaceront progressivement les sous-marins de type Le Triomphant. C’est un défi de taille, qui va mobiliser les compétences rares et critiques de l’ensemble de la filière industrielle française pour permettre à la France de garder son indépendance stratégique.

 

Un triple défi technologique, industriel et calendaire

Le SNLE Le Triomphant, premier de la série des SNLE actuellement en service au sein de la Marine nationale, a été admis au service actif en 1996. Il était alors équipé du missile balistique M45, aujourd’hui remplacé par le missile M51. DCNS est en charge de la modernisation et de l’adaptation du sous-marin à ce nouveau missile. Une fois sa modernisation achevée, le Triomphant entamera sa seconde partie de carrière avant de laisser sa place au premier de série de la génération suivante, dite SNLE 3G. La permanence à la mer de la dissuasion française interdisant toute discontinuité de cycle, le premier SNLE 3G devra donc être prêt en temps et en heure pour assurer la relève, à l’horizon 2030.

C’est un défi majeur pour DCNS, qui devra répondre à cet impératif calendaire tout en réalisant une prouesse technologique : concevoir et construire l’un des objets les plus complexes au monde, capable de mettre en œuvre plusieurs missiles balistiques équipés de têtes nucléaires, opéré par une centaine d’hommes restant une dizaine de semaines sous l’eau et en autarcie, dans les meilleures conditions de discrétion, d’invulnérabilité, de sûreté et de sécurité.

C’est aussi un défi industriel, qui va nécessiter le pilotage d’un chantier hors norme : 14 millions d’heures par SNLE, un million de composants, un système de plus de 20 millions de lignes de code temps réel, 30 000 tuyaux. Il s’agit aussi de gérer un programme particulièrement complexe du fait du grand nombre d’interfaces entre différents systèmes et acteurs (centaines de fournisseurs et sous-traitants) et d’en maîtriser les risques (techniques, opérationnels, financiers), par des arbitrages avisés et le maintien de sources d’approvisionnement françaises.

 

A Cherbourg, le bâtiment Laubeuf, destiné à la construction des SNLE pourrait contenir 11 Arcs de Triomphe ! © DCNS.

 

Et ce défi ira bien au-delà de l’admission au service actif, car la crédibilité de la Dissuasion exige que DCNS soit en mesure de disposer des compétences et des moyens pour maintenir les performances, la sécurité, la sûreté et aussi la disponibilité du navire pendant plus de 35 ans, et de faire face aux obsolescences comme à l’évolution des technologies et de la menace.

 

Le maintien des compétences, enjeu-clé du programme de SNLE 3G

Pour relever l’ensemble de ces défis, DCNS va s’appuyer sur des expertises aussi étendues que pointues : ingénierie de systèmes complexes, architecture navale, hydrodynamique, signatures (notamment acoustique), détection sous-marine, pyrotechnie, ingénierie et sûreté nucléaires, etc. Le Groupe va également mobiliser l’ensemble des compétences critiques de la filière, notamment en matière de propulsion, de sonars, de centrale inertielle. Car le SNLE ne saurait être l’œuvre d’un seul homme ou d’une seule société : c’est par nature une œuvre collective, impliquant aux côtés de DCNS, maître d’œuvre du navire armé, la DGA et le CEA, maîtres d’ouvrage, Areva TA, maître d’œuvre industriel de la chaufferie, Airbus Safran Launchers, maître d’œuvre industriel du missile, Thales et l’ensemble de la BITD française.

Le maintien de l’ensemble des expertises critiques et complémentaires nécessaires pour assurer la réalisation de cette œuvre collective demeure donc l’un des enjeux majeurs du programme SNLE 3G. Les pertes de compétences, une fois constatées, sont très longues – voire quasi-impossibles - à réacquérir et ont des impacts lourds de conséquences sur les risques industriels et les plannings de mise en service, d’où la nécessaire continuité des études et des réalisations sur ce domaine stratégique. Rappelons que les Britanniques ont eu de réelles difficultés sur leur programme Astute, suite à une rupture de charge trop longue entre la réalisation de deux générations de sous-marins et ont dû recourir à une assistance étrangère.

Pour éviter ces ruptures de charge et assurer le maintien dans la durée des compétences spécifiques aux sous-marins nucléaires, la France a choisi d’alterner les programmes de SNLE et de SNA (sous-marins nucléaires d’attaque). Le programme Barracuda, mené par DCNS, a ainsi permis de limiter les risques de rupture industrielle et de maintenir des compétences critiques en matière de propulsion nucléaire.

Toutefois, il existe des spécificités fortes propres aux SNLE, notamment dans le domaine de la mise en œuvre du Système d’Armes de Dissuasion. Les premières études amont du programme de SNLE 3G ont donc démarré dès la fin des années 2000.

Ces études amont ont permis une amélioration qualitative et quantitative des compétences industrielles nécessaires au programme, 20 ans après la fin de conception du Triomphant. Elles ont aussi permis d’identifier le meilleur compromis entre le besoin opérationnel d’une part, les réponses architecturales et technologiques possibles d’autre part, et l’inévitable contrainte budgétaire à respecter.

Au final, ces études menées sur plus de 5 ans ont permis de poser les fondements du programme SNLE 3G et d’assurer son lancement dans des conditions de risque industriel maîtrisé.

 

Les SNLE de type le Triomphant emportent 16 missiles M51 dans une discrétion totale.

 

Entre évolution de la menace et cadre budgétaire : le SNLE 3G, une réponse au plus près du besoin opérationnel

Si le SNLE 3G, s’inscrit dans la filiation de la génération précédente en termes de dimensions, d’apparences extérieures et de capacité d’emport de missile, il n’en reste pas moins différent de son prédécesseur.

Tout d’abord parce qu’il n’évoluera pas dans le même environnement que les sous-marins de type Le Triomphant : il faut avoir à l’esprit que le SNLE 3G devra pouvoir faire face aux menaces des années 2030 et s’adapter au contexte stratégique jusque dans les années 2080 ! Cela implique de garantir sur le long terme l’invulnérabilité du SNLE, une exigence qui nécessite des avancées permanentes dans les domaines suivants :

  • la capacité de détection des menaces grâce à une suite sonar aux performances renforcées ;
  • la furtivité vis-à-vis de sonars actifs et passifs (signaux transitoires et UBF notamment) et vis-à-vis des systèmes de détection non acoustiques, grâce notamment à l’emploi de revêtements de coque et à des options architecturales dimensionnantes pour l’index de cible ;
  • la capacité d’évasive, grâce à des performances propulsives spécifiques ;
  • la capacité à résister aux attaques (autodéfense, leurrage, survivabilité).

Au-delà de ces performances optimisées, le SNLE 3G devra aussi répondre aux exigences renforcées en matière de sûreté nucléaire. La prise en compte de ces contraintes a été intégrée dès la conception amont du SNLE 3G, avec un impact sur l’architecture et le dimensionnement du navire, qui sera notamment allongé.

 

Défi d’un grand programme : SNLE 3G

• Innovations
• Performances opérationnelles et adéquation aux menaces
• Comptabilité infrastructures
• Cycle de vie, flexibilité, évolutivité
• Contraintes budgétaires
• Contraintes industrielles
• Calendrier d’ensemble de la FOST
• Sûreté nucléaire et réglementation

 

Enfin, le contexte budgétaire a lui aussi évolué : il faut se rendre à l’évidence, les restrictions qui pèsent aujourd’hui sur le budget de l’État ne permettent plus de disposer d’un niveau d’investissement identique à celui de l’époque du Triomphant. Là encore, cela joue fortement sur les options retenues : l’innovation reste indispensable sur ce type de programme, mais elle doit être pilotée de manière raisonnée pour ne pas mettre en cause le budget du programme. Là où le Triomphant défrichait sur des sentiers technologiques à l’issue incertaine, le SNLE 3G est un programme plus « raisonnable » qui privilégie « l’innovation au juste besoin » afin de garantir l’avantage opérationnel dans un budget maîtrisé. Or de la pièce forgée à l’architecture réseau, les évolutions à l’œuvre sur le SNLE 3G sont nombreuses et la montée en puissance des technologies nouvelles représente un véritable enjeu pour la réussite du programme dans le calendrier imposé. Dans cette optique, un juste équilibre est à trouver entre le recours à l’innovation, indispensable pour garantir la supériorité opérationnelle du sous-marin dans le temps, et la réutilisation de technologies déjà qualifiées et utilisées sur programme Barracuda.

Par ailleurs, le contexte de maîtrise budgétaire nécessite la réalisation du programme SNLE 3G au sein des infrastructures existantes. Ces contraintes ont donc également été intégrées dès le design amont afin que la conception du sous-marin soit adaptée à la réalité de l’outil industriel utilisé pour les sous-marins actuels.

La conception et la réalisation de SNLE est un héritage stratégique pour la France, et constitue un capital technologique, industriel et humain qu’il est important de maintenir et faire évoluer dans la durée.

Le maintien de cette excellence fait néanmoins peser une lourde responsabilité sur les épaules de DCNS, qui doit relever un véritable défi technologique, industriel et humain pour maintenir les compétences critiques et rares qui permettront aux futurs sous-marins de rester en opération jusqu’aux années 2080.

Un challenge passionnant et une formidable opportunité pour la France et son Industrie en termes d’innovation, d’industrialisation et de création d’emplois de haute technicité, avec des retombées dépassant très largement le seul secteur de la Défense.

 

    
Hervé Guillou, IGA, PDG de DCNS
Hervé Guillou (X, Ensta, INSTN, Insead) a été en 2003 PDG d’EADS Space Transportation, puis PDG de la Business Unit Defence and Communications Systems d’EADS/Cassidian (Münich), et en 2011 PDG de Cassidian Cyber Security. Senior Advisor Defence and Security d’EADS de 2012 à 2014, il est nommé PDG de DCNS le 23 juillet 2014. Il est Vice-Président du GICAN et Président du CIDEF.
 

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