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Ariane 6 : le futur lanceur européen prévu pour 2020.
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01 octobre 2016

SOUVERAINETÉ ET SPATIAL

Publié par Thierry DUQUESNE (1960) | N° 110 - LA SOUVERAINETÉ

L’espace a un lien étroit avec la souveraineté : il est placé sous la responsabilité des seuls Etats, les infrastructures spatiales jouent un rôle croissant au service de la souveraineté nationale et, au-delà de la défense, d’autres secteurs de souveraineté y ont recours. Ce lien étroit n’est pas sans conséquence sur la politique d’accès et de surveillance de l’espace et les capacités industrielles.


L’espace, un milieu de souveraineté

Avec le traité de l’espace de 1967, fixant les principes régissant les activités en matière d’exploitation et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, et la convention de 1972 sur la responsabilité internationale, les activités spatiales relèvent de la responsabilité des Etats, qu’elles soient menées par les Etats eux-mêmes ou par des acteurs privés. Pour statuer sur la responsabilité d’un Etat lors d’un dommage causé par un objet spatial, la notion d’Etat de lancement a été créée : un Etat de lancement est un Etat qui procède au lancement, qui fait procéder au lancement, qui prête son territoire ou qui prête ses installations aux fins de lancement. La France avec sa base de lancement (centre spatial guyanais), l’opérateur de lancement français Arianespace, les fabricants français (Thales Alenia Space, Airbus Defence & Space…) qui font lancer leurs satellites (depuis le territoire français ou l’étranger), les opérateurs de satellites français (Eutelsat…), et ses activités institutionnelles est très souvent Etat de lancement. Pour maîtriser sa responsabilité, la France a promulgué en 2008 la loi sur les opérations spatiales qui lui permet de surveiller et contrôler les activités spatiales françaises. Chaque activité (lancement, maîtrise en orbite) d’un opérateur privé français doit faire l’objet d’une autorisation du gouvernement dont la demande est instruite par le CNES.

 

Le satellite franco-italien Athena fidus.

 

L’espace, un outil au service de la souveraineté de défense

Le livre blanc de 2013 sur la défense et la sécurité nationale confirme la place des satellites de renseignement et de télécommunication dans les capacités militaires. Ils fournissent de façon continue des données de toute zone géographique en temps de paix comme en temps de crise/guerre sans contraintes de survol. Ils permettent d’établir des communications de longue élongation (notamment entre théâtres d’opération et la métropole) avec un niveau de sécurité satisfaisant et sans recourir aux infrastructures terrestres des zones d’intervention.

Une des spécificités du spatial est la diversité des modes de possession de cette capacité spatiale : certains satellites sont pour un usage exclusif de la défense française, d’autres sont partagés avec des défenses européennes et d’autres encore sont d’usage dual tout en satisfaisant les exigences de sécurité de la défense.

 

Le futur satellite franco-allemand MERLIN.

 

Le système CERES pour le renseignement d’origine électromagnétique et COMSAT NG pour les télécommunications militaires, tous les deux en cours de développement, relèvent à ce jour de la première catégorie. D’ici la fin de la décennie, le système CSO sera conjointement exploité avec d’autres partenaires européens comme l’est actuellement le système Hélios 2. Le système opérationnel Pléiades (observation optique haute résolution) est utilisé par la défense (avec un accès prioritaire et spécifique) et le secteur civil, et le système Athéna fidus (télécommunications) fait l’objet d’une utilisation franco-italienne duale.

 

L’espace également au service d’autres secteurs de souveraineté

Pour assurer la sécurité aérienne, le satellite peut compléter ou se substituer à des moyens sol de radionavigation dès lors que les performances sont suffisantes et que la fiabilité du service atteint le niveau requis.

Dans le domaine de la lutte contre le changement climatique, les accords internationaux, destinés à engager les Etats dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre par exemple, requiert une appréciation précise de la situation, de comprendre le fonctionnement de notre système Terre, de consolider les prévisions des évolutions futures et d’examiner l’efficacité des politiques mises en œuvre. Les satellites qui permettent de mesurer plus des 50% des variables climatiques essentielles apportent une contribution majeure. Grâce aux progrès scientifiques et technologiques, on est aujourd’hui capable de mesurer à l’échelle régionale les flux de CO2 et de CH4, et demain d’accéder à la mesure des émissions anthropiques.

Dans ces domaines où les exigences de sécurité différent de celles de la défense, une approche européenne a tout son sens. Les souverainetés des Etats européens peuvent trouver une convergence. L’Europe a répondu en particulier aux demandes des organismes nationaux de sécurité aérienne avec le programme Galileo. Les Etats-Unis ne s’engageaient pas sur la fiabilité de leur système GPS pour la gestion du trafic aérien. Dans le domaine de la mesure des gaz à effet de serre, la France et l’Allemagne travaillent déjà ensemble avec le projet MERLIN, l’Union européenne envisage de compléter sa famille de sentinelles Copernicus avec une capacité de mesure du CO2.

 

Les conséquences en matière d’accès et de surveillance de l’espace, et de compétences industrielles

Les satellites sont donc de véritables outils au service de la souveraineté nationale ou de la souveraineté européenne. Leur caractère stratégique pour les besoins de défense et la dépendance croissante de la société vis-à-vis du spatial ont comme corolaires :

  • Disposer d’un accès autonome à l’espace qui permet à la fois de maîtriser la sécurité de lancement de nos satellites, notamment militaires, et de garantir les dates de lancement (le marché des services de lancement repose sur des capacités très largement financés par les Etats qui exigent en retour un accès prioritaire) ;
  • Etre capable de protéger les infrastructures spatiales des collisions avec des débris, c'est-à-dire identifier les risques de collision, définir le besoin réel de manœuvre sur nos satellites et les réaliser ; les deux derniers points requièrent une autonomie d’action pour ne pas effectuer de manœuvres d’évitement inutiles et consommatrices d’énergie satellite ;
  • Posséder une industrie compétitive en mesure de concevoir et réaliser les satellites afin de garantir leur confidentialité, leur intégrité et leurs performances tout en minimisant leur coût de possession pour l’Etat, la compétitivité assurant de surcroit un accès aux du marchés commerciaux et export, qui allège la charge financière du maintien des compétences industrielles.  

 

L’espace est ainsi étroitement lié à la souveraineté. L’utilisation de l’espace est sous la responsabilité de l’Etat et l’espace sert de nombreux domaines d’intervention de l’Etat. Cette situation se renforce avec les performances des satellites qui offrent des opportunités incontournables pour certains secteurs. La défense n’est pas le seul domaine de souveraineté qui utilise l’espace. Cette situation renforce le besoin d’autonomie d’accès à l’espace et l’existence d’une base industrielle forte et compétitive.

 

    
Thierry Duquesne, IGA, Directeur au CNES.
Après un début de carrière au CNES, il rejoint en 1996 la DGA pour occuper des postes de responsabilité dans le domaine du renseignement spatial et terrestre, puis celui d’architecte du système de forces « contrôle et maîtrise de l’information », et en 2005 il prend la direction de DGA/MI (ex CELAR). En 2009, il retourne au CNES comme directeur de la stratégie, des programmes et des relations internationales, il est depuis 2016 directeur de la programmation, de l’international et de la qualité.
 

 

Auteur

Thierry DUQUESNE (1960)

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