Retour au numéro
Vue 315 fois
01 octobre 2018

UN IA DANS LE FONDS DEFINVEST

Entretien avec Nicolas Berdou, ICA, détaché auprès de BPI France pour le fonds Definvest, après une carrière de « rocket scientist » à DGA EP, puis comme architecte M88 et architecte de cohérence du Rafale.


 

La CAIA : La rédaction : pourquoi un fonds d’investissement dédié ?

Nicolas Berdou : L’initiative Definvest part du constat que le capital constitue un élément déterminant pour la croissance des entreprises sur lequel nous n’avions pas de levier direct. Definvest est donc un outil complémentaire pour améliorer l’efficacité de la politique de soutien à l’industrie de la DGA. Par ailleurs, la France dispose d’un bon système de R&T suite aux politiques incitatives mises en place par différents gouvernements et à la levée de restrictions qui s’imposaient jusqu’au tournant du siècle aux chercheurs du secteur public pour créer une startup pour faire fructifier leurs recherches. Mais ces startups peinent en général à réaliser les tours de table indispensables pour leur croissance. C’est notamment le cas des startups porteuses de solutions de rupture particulièrement technologiques qualifiées de « Deep Tech », que le ministère affectionne particulièrement mais que les fonds, notamment ceux de nature institutionnelle ou animés par des équipes de purs financiers, ont plus de mal à appréhender.

D’où une faible valorisation des startups françaises et plus généralement européennes, comparativement aux Etats-Unis, ce qui explique que de nombreux groupes étrangers, voire même des fonds souverains ou affiliés, viennent en Europe faire de bonnes affaires.

La CAIA : La rédaction : pourtant la DGA a mis en place les dispositifs RAPID et ASTRID, précisément dans l’idée de soutenir les porteurs d’innovations de rupture dans les technologies duales…

NB : C’est exact et c’est effectivement une avancée décisive. Ces systèmes ont prouvé leur efficacité pour soutenir des projets allant du stade de la preuve de concept jusqu’au démonstrateur. Mais les dispositifs RAPID et ASTRID ne permettent pas de soutenir des projets parvenus à un stade de maturité plus avancé (industrialisation par exemple) et qui présentent des besoins de financement bien plus conséquents. Faute de trouver un investisseur français voire européen pour les accompagner, des startups qui avaient pu déjà éprouver leurs inventions dans des contextes réels – y compris certaines qui ont bénéficié de financements RAPID ou ASTRID – n’ont pas eu d’autre choix que de se tourner vers l’étranger pour financer leur croissance, ou tout simplement pour ne pas mourir.

La CAIA : La rédaction : quel a donc été le déclencheur de la création d’un fonds dédié ?

NB : L’idée d’un fonds dédié aux PME intéressant la Défense a germé progressivement au sein de la DGA comme outil indispensable pour un meilleur soutien de la BITD. En 2016, elle a été évoquée publiquement par le ministre de la défense dans le cadre du forum DGA Innovation. La généralisation des « fonds corporate » a pu faciliter l’émergence d’une vision partagée parmi les décisionnaires concernés. Un accord avec Bpifrance a été passé courant 2017.

La CAIA : Comment fonctionne-t-il ?

NB : Concrètement, la DGA a souscrit à hauteur de 50 M€ et la gestion du fonds a été confiée à Bpifrance Investissement.

Definvest n’a pas vocation à investir seul mais au contraire à créer un effet de levier en suscitant d’autres financements provenant de fonds classiques, corporate ou autres. Cela oblige à une certaine rigueur, ne serait-ce que pour trouver un point d’équilibre viable entre les souhaits de la DGA, porteuse des intérêts de souveraineté nationale,

et les règles de fonctionnement des autres investisseurs, dont la mission première les porte à privilégier la maîtrise du niveau risque et l’espérance de gain. Il est essentiel de porter et de faire partager entre tous les intervenants d’une levée de fonds, une capacité de projection dans le futur, en ménageant pour chacun des portes de sortie attractives, ou du moins honorables. Une des clés de la réussite du fonds sera de d’effectuer des sorties qui conviennent à tous en les anticipant suffisamment avec les bons acteurs pour conserver un effet de levier maximal à l’entrée. Dans cette optique, j’anime le fonds en binôme avec un expert doté d’un profil de pur financier. C’est extrêmement stimulant, sans compter la richesse et la variété des dossiers traités.

Cela étant dit, Definvest vise un panel très large d’opérations diverses concernant des entreprises stratégiques, porteuses d’une innovation disruptive ou critiques pour la supply-chain de défense. Il peut s’agir par exemple d’aide à l’amorçage, au développement, à la transmission de PME comme à l’internationalisation qui permet de réduire le niveau de dépendance à un client unique ou au secteur étroit de la défense. Le montant des tickets investis va typiquement de 500 k€ à 5 M€, ce qui permet en principe de réaliser un nombre conséquent d’opérations.

La CAIA : Peux-tu nous évoquer un dossier typique qui illustre l’action de Definvest ?

NB : La première acquisition du fonds concerne Kalray, une spin-off du CEA devenue un acteur clé du numérique. Les puces qu’ils développent sont au coeur de systèmes très gourmands en puissance de calcul et critiques en termes de sécurité et sûreté, comme certains que l’on trouve déjà dans la défense et l’aéronautique, et d’autres qui émergent dans le civil, qu’ils soient embarqués comme la voiture autonome ou fixes comme des centres dédiés au traitement de données en masse.

En Europe, les intégrateurs de ce type de systèmes sont relativement au fait des enjeux d’indépendance économique associés à un acteur comme Kalray. Mais vu que la maturation industrielle de ses produits est lente et très consommatrice de ressources financières, il s’agit d’un projet perçu par les investisseurs comme « early-stage » et dépensier, comparable, en ces termes, à des projets de biotechnologies par exemple … mais en électronique ! C’est donc clairement un projet hors norme dont, malgré l’importance des enjeux et des perspectives de marché, les dernières étapes de maturation sortaient du champ d’action des fonds privés français.

Alors que la société paraissait en mauvaise posture et en voie d’être rachetée par des acteurs étrangers, nous nous sommes mobilisés pour apporter un premier ticket qui a permis d’attirer le fonds « corporate » de l’Alliance Renault Nissan Mitsubishi, crédibilisant les débouchés autour de la voiture autonome. Dans un second temps, fort de ces actionnaires de référence, Kalray a pu lever 47,7 M€ le 12 juin dernier, soit la somme la plus importante jamais levée pour une introduction sur l’Euronext Growth à Paris, dépassant de loin nos espérances ! La société dispose à présent de plus de 24 mois de trésorerie pour finaliser le développement de sa prochaine puce « Coolidge » et accélérer sa commercialisation.

La CAIA : Quelles conclusions tires-tu de ta presque première année d’expérience avec Definvest ?

NB : Animer un projet comme Definvest est extrêmement stimulant au jour le jour, et j’estime que c’est une chance d’être ainsi à l’interface entre les stratèges industriels de la DGA et les fonds privés.

Je suis également très fier de l’opération de recapitalisation de Kalray. Tout en restant modeste par rapport à l’ampleur de ce qui nous attend, j’espère qu’elle constitue un premier test d’efficacité convaincant, par rapport à l’intérêt de continuer et pourquoi pas prolonger l’expérience avec d’autres acteurs au niveau européen.

Il me semble que je verrai sans doute d’autres dossiers de ce type, probablement dans le secteur du numérique mais aussi dans d’autres secteurs, même si je vois plus souvent au quotidien des dossiers de startups ou de PME plus classiques portant des projets plus ciblés en termes d’enjeux ou moins longs et complexes.

Propos recueillis par Frédéric Tatout, ICA.

Auteur

Commentaires

Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.