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01 mars 2019

VRAIE EUROPE, FAUSSE EUROPE

De grands projets ? En fait sans l’UE. Normes absurdes ? Pas pire qu’en France. Machine infernale ? Laxisme des pays. L’Europe est selon les cas une institution, le cadre d’activités intergouvernementales, ou simplement le périmètre géographique de coopérations.


A première vue : Bravo, Haro

Dans les discussions enflammées sur l’Europe, deux extrêmes reviennent souvent :

  •  des succès incontestables, comme Airbus ou Ariane

  • une règlementation abusive, des bananes aux chasses d’eau en passant par les fromages, ou au contraire laxiste, comme sur les pesticides

    Voyons la réalité : Airbus et Ariane ont en commun de ne rien à devoir à l’UE. Pire, Airbus n’aurait jamais vu le jour s’il avait respecté les règles de la CEE (aides publiques, mises en concurrence, antitrust). De même Ariane applique des règles de retour industriel incompatibles avec un marché commun.

    Quant à la règlementation, ce que nous reprochons à Bruxelles, nous l’avons déjà chez nous, parfois en mieux ! (voir encadré) Avouons quand même qu’en France comme à Bruxelles, il est difficile de ne pas penser que si des fonctionnaires ont du temps pour étudier et émettre de tels textes, ils sont certainement trop nombreux... et s’ils n’ont pas le temps de les étudier, ils sont certainement à la merci des groupes de pression. Certes l’étude d’impact est obligatoire en France depuis 2009, mais seulement pour les lois. L’équivalent européen REFIT (pour une réglementation affûtée et performante) date de 2014. Et il y a codécision (commission + parlement + conseil) depuis 1999

    On peut critiquer l’imprécision du texte européen, qui ne précise ni la courbure tolérable, ni la courbure gauche tolérable...

    On peut lire aussi la décision 2013/641UE du 7 novembre 2013 au JO du 9 novembre "sur les toilettes à chasse d’eau et urinoirs" (20 pages de performances primordiales et souhaitables) qui s’impose pour les MPE (marchés publics écologiques), ou le document "Critères MPE de l’Union européenne pour les toilettes à chasse d’eau et urinoirs", plus accessible.

    Ils n’ont d’européen que le nom, mais cela fait du bien à l’UE.

    Ces choses là nous dépassent feignons d’en être à l’origine(Talleyrand, repris par Cocteau)

    L’ESA (agence spatiale européenne) malgré son nom est dans le même cas, comme l'EMBL (laboratoire de biologie moléculaire) ou le CERN (conseil pour la recherche nucléaire) : elle fonctionne grâce à des règles inacceptables par la Commission européenne ! Si on veut chipoter, on peut seulement noter que les membres non UE de l'ESA sont européens, ce qui en fait bien une institution européenne mais pas une institution de l’UE.

    Aux débuts de Galileo, lancé pour être stratégiquement indépendant du GPS, la Commission voulait faire les appels d'offres correspondants en compétition ouverte sur le marché mondial ! Il a fallu beaucoup d'interventions musclées pour que les appels d'offre soient restreints à l'industrie européenne (en s'appuyant sur des considérations de sécurité). Depuis, la commission a compris la valeur d’une politique industrielle pour Galileo II ou pour la surveillance de l’environnement Copernicus.

    L’Europe des projets est vitale, mais reste à construire. Pour les projets stratégiques, l’essentiel est leur réussite en coopération... et non l’accord avec les règles de l’UE. Les modalités restent à inventer, nouveaux traités spécifiques réunissant les pays concernés... ou pourquoi pas un soutien de l’UE.

    Les succès ne sont pas là où on les avait prévus : ils viennent plutôt de la facilité, créée par l’UE, de se rencontrer entre pays, et la publicité politique qu’appellent ces rencontres.

    Oui, l’Europe a été utile, mais souvent indirectement

    Dans des notes de réunion avec des parlementaires d’il y a une quinzaine d’années, sous la rubrique « Europe » figuraient en réalité des coopérations n’ayant rien à voir avec l’UE. De même en italien oral, "en coopération" se disait "NATO". Aujourd’hui on a au moins l’honnêteté de distinguer coopération et Europe, et donc de ne pas imputer à l’UE les écueils des projets menés en Europe

    Qui tire la couverture ? Vraie Europe, rien n’est simple

    La vraie Europe existe, nous le voyons tout au long de ce magazine : contrôle aérien, Galileo, observatoire du Chili, AED, recherche et bientôt incitation à coopérer en équipements de défense, quand l’intérêt global vaut mieux que l’intérêt national... et ce qu’on oublie souvent mais qui est une des missions de la Commission : le côté Erasmus pour adultes des échanges : avec l’UE, on bouge, on voyage et on apprend à se connaître. Encore mieux, à terme les couples qui se sont rencontrés grâce à l’Europe produiront de vrais Européens à la génération suivante.

    Le tableau des principaux financements européens est compliqué....

    Et encore plus si on sait que sur chaque liaison il y a une demi douzaine de comités où sévissent une demi-douzaine de responsables qui n’ont pas le temps de s’en occuper eux-mêmes mais qui ne veulent surtout pas que d’autres s’en occupent. Sachons simplement faire le tri, trouver les vrais auteurs des textes européens (cf l’article sur l’influence). La partie obscure de la complexité est que les pays (par leurs représentants ou leurs visas) acquiescent souvent en silence (en termes techniques, valident le classement en catégorie A, celle qui n’est pas discutée) pour ne pas faire de vagues, parfois sans même lire des propositions de la commission qui sont des recopies de textes issues de lobbying sur des sujets où elle n’a aucune compétence...

    Ce n’est pas négligeable, puisque le plan Juncker a investi en France 11 G€ pour l’innovation depuis 2015, autant que le 3e PIA plan d’investissements d’avenir. Du côté industriel, on progresse, avec le GEIE (groupement d’intérêt économique européen), les transferts transfrontaliers... mais il reste des pans entiers à traiter : fiscalité, droit des affaires, cyber sécurité, définition d’une société européenne... et leur lot de complexité

    Brexit : et pourtant, on les regrettera...

    Dans les instances thématiques de l’UE, les Britanniques ont deux spécialités : une remarquable compétence dans les groupes de travail techniques, et une capacité à bloquer les progrès des mêmes groupes. Mais ils restent réalistes : dans les programmes de recherche financés par l’UE, ils sont de loin les premiers bénéficiaires. Depuis peu, ayant réalisé que les programmes d’étude interrégionaux lancés avant le Brexit continueraient à être financés au-delà du Brexit, ils cessent d’en bloquer le processus de décision. Mais leurs centres de recherche, qui caracolent en tête des études amont européennes (sur 18 mois, 23% des sujets de recherche financés par la Commission, loin devant l’Italie et l’Espagne) devront se reconfigurer sévèrement.

    En un mot, avec le Brexit et dans l’UE on perd en compétence et on gagne en décision... Toutefois le Brexit, quelle que soit la phase transitoire, ne changera pas l’emploi du globish english comme langue vernaculaire facilitant les contacts avec les pays de l’UE, et changera peu les avancées de défense.

    Vrai Brexit, faux Brexit : la confusion est la même que pour l’Europe. Je lis dans la presse que "Malgré le Brexit, la France et le Royaume-Uni font missile commun" ! Evidement, cela n’a rien à voir.

    Coopérer ou faire l’Europe, il faut choisir

    Par rapport à une action européenne pur jus, les coopérations présentent des avantages : on évite d’optimiser et donc on continue à alimenter tous les bureaux d’étude ; on réalise des programmes qui n’existeraient pas s’ils étaient nationaux (même s’ils étaient moins chers) ; enfin il est plus difficile d’arrêter un programme lancé en coopération qu’un programme national (1). A l’inverse les projets hors UE, affranchis des règles contraignantes, s’en inventent, comme le note la Cour des comptes. Lors d’une séance du CPRA, un sénateur demande à la DGA si on a tiré les enseignements d’un programme en coopération pour son successeur. La réponse a été claire : "oui, on n’a pas coopéré". De nombreuses coopérations capotent après leur annonce, mais pas plus qu’ailleurs : les coopérations futures MGCS, FCAS, MALE, UAV... sont bien incertaines, comme l’ont été leurs aînées MRAV, avion de combat européen, frégate NFR90, système de missile LAMS : le plus souvent pour des raisons de partage industriel, cachées derrière des écarts de concept d’emploi.

    On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment (Cardinal de Retz)

    Oui, il faut tous ces machins, organisations européennes intergouvernementales sans lien organique avec l'UE, mais souvent en coopération avec celle-ci ; niveaux national, intergouvernemental, communautaire... et en plus, au cas, par cas des organismes de coordination. Il n’y a pas de recette unique.

    La difficulté principale pour nous ingénieurs est que la Commission européenne a l’argent, mais pas la compétence : nous avons un doute sur la façon dont cette dernière est empruntée, et nous préférons alors agir seuls.

    Un peu de défense

    L’Europe de la défense, comme concept unique et partagé dans l’UE, est aujourd’hui impossible car les intérêts diffèrent : interventions françaises dans les anciennes colonies, force plus qu’autonomie en Allemagne, protection rapprochée chez les PECOs, confiance plus ou moins grande dans l’OTAN ou les USA... A moyen terme, il faut bien continuer les machins.

    Hors UE, des concepts naissent pour s’y intégrer ultérieurement : "armée européenne" concept évoqué par la France sans cadre précis : c’est à dire faire quelque chose ensemble avec nos armées : pas plus que dans l’OTAN, où il y a pourtant un commandement intégré, les armées des pays ne peuvent se fondre en une organisation unique intégrée. L’Europe ne pourra pas éternellement compter sur les USA. L’idée est donc une plus grande autonomie de l’Europe en matière de défense. Evidemment, renforcer les capacités de défense européenne c’est renforcer l’OTAN, puisque les moyens sont les mêmes.

    Initiative européenne d’intervention (lancée en juin 2018, hors UE) : Suite de rencontres pour prévoir ensemble ce qu’on ferait au cas où une action commune serait nécessaire. C’est une planification à froid. C’est hors UE, donc même les Britanniques pourraient participer.

    Dans l’UE l’avance est lente, mais sensible. Le Fonds européen de défense (lancé en juin 2017, dans le cadre de l’UE) est un financement, ou plutôt un abondement, de R&D et d’équipements de défense à partir de 2019, visant à augmenter la part des coopérations. Le budget à terme (dans 10 ans) sera d’environ 2 Md€ par an, soit environ 1 % du total des budgets de défense. (moins qu’une TVA sur les achats d’armements aux USA...)

    En bref, sur la plupart des sujets où l’Europe est critiquée, elle est encore à construire. C’est bien sûr le cas de l’Europe de la défense, qui commence enfin à émerger après plus de 60 ans de cahots. Travaillons sans relâche pour l’amélioration de la construction imparfaite que reste l’UE.

     

    Règlementation : France – Europe, 1 partout

    Arrêté du 27 août 2015 sur les avertisseurs sonores des véhicules d’urgence à gyrophare (hors police, pompiers et SAMU) au JO du 6 septembre 2015

    (...) Les niveaux de la fréquence fondamentale et des harmoniques entre 1 000 et 4 000 Hz sont mesurés en utilisant l'auto-spectre issu de la transformée de Fourier du signal acoustique avec les caracté- ristiques suivantes :

    • -  la fréquence d'échantillonnage du système d'acquisition doit être au moins de 48 kHz ;

    • -  la résolution fréquentielle d'au moins 1 Hz ;

    • -  l'utilisation d'une fenêtre de Hanning.

      (NDR : la fenêtre de Hanning est une fonction convoluée avec le si- gnal pour appliquer une FFT minimisant les lobes secondaires de spectre dans une observation de durée finie)

      Règlement (CE) n° 2257/94 de la Commission, du 16 septembre 1994

      (Les bananes sont caractérisées par) la longueur du fruit, exprimée en centimètres et mesurée le long de la face convexe, depuis le point d’in- sertion du pédoncule sur le coussinet jusqu’à l’apex, le grade, c’est-à- dire la mesure, exprimée en millimètres, de l’épaisseur d’une section transversale du fruit pratiquée entre ses faces latérales et son milieu, perpendiculairement à l’axe longitudinal. Le fruit de référence servant à la mesure de la longueur et du grade est le doigt médian situé sur la rangée extérieure de la main, le doigt situé à côté de la coupe, qui a servi à sectionner la main, sur la rangée extérieure du bouquet. La longueur et le grade minimaux sont respectivement fixés à 14 cm et 27 mm

      Les bananes doivent être exemptes de malformations et de courbure anormale. Elles peuvent présenter en catégorie I de légers défauts de forme, et en catégorie II des défauts de forme

Auteur

Denis Plane, a commencé sa carrière sous le signe du naval à Toulon puis au STCAN. Passant par les missiles, le service technique des systèmes navals puis le service technique des technologies communes, il dirige la direction des programmes de la DGA jusqu’en 2003. Voir les 30 autres publications de l'auteur

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