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L'avion du podium, un Extra 330, devant les Alphajets de la Patrouille de France !
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31 mai 2021

LE PILOTAGE, UNE ECOLE DE LA VIE
LA PASSION ET LA PATIENCE

Publié par Catherine Maunoury | N° 123 - COOPERATION AERONAUTIQUE EUROPEENNE

350 km/h : à cette vitesse, je sais que je dispose à peine d’une seconde pour réagir, avant de franchir les limites du box surveillé par les juges… et de perdre la compétition.


Je tire donc bien droit et fermement sur le manche pour mettre mon Cap 232 à la verticale. Du moins, c’est ce que les juges doivent voir du sol ; en réalité (mais n’en dites rien), je triche un peu et me suis mis en léger négatif, afin de contrer le prochain mouvement, lorsque je vais violemment pousser le manche. Je dispute la finale du championnat du monde et j’entame la dernière figure. Sous 9 g, respiration suspendue, j’ai tout de même le temps d’apercevoir au bout de mon aile un petit lac dans la campagne de Toulouse. S’il est à nouveau là et l’avion parfaitement vertical après la tempête du déclenché négatif de 360° à venir, j’aurai sans doute gagné mon second titre mondial... Mais je n’ai pas le temps d’y penser. Je me lance dans une succession d’ordres ultra-rapides : le manche plein avant légèrement à droite, le pied à fond à gauche, le manche ramené en arrière à droite. L’horizon bascule, impossible de le suivre. C’est mon cerveau devenu ordinateur qui calcule le temps que doit durer ce tour complet. Stop ! Pied opposé, manche ramené au neutre. Arrêt net. Dans l’axe de l’aile, le lac est là !!!

J’ai gagné. Tout à l’heure, je monterai sur le podium grâce à ces quelques dernières secondes… et à deux années d’entraînement.

Une fois posée, je rencontre un amateur éclairé qui me glisse à l’oreille, au lieu des compliments habituels : « Je me suis régalé ! J’ai regardé l’expérience voler. » Comment imaginer plus beau compliment. Nous, les pilotes de voltige aérienne, savons que le vol parfait n’existe pas ; nous cherchons seulement à faire le moins d’erreurs possibles. Et, pour y arriver, il n’y a pas d’autre solution que d’accumuler de l’expérience, d’acquérir la maîtrise de soi, de son appareil, de garder de l’audace sans prendre aucun risque inutile et de toujours garder sa lucidité, malgré des contraintes physiologiques éprouvantes et la pression psychologique de la compétition.

Je dois bien le reconnaître, mes débuts dans l’aviation n’ont pas été empreints d’une pareille maîtrise.

J’ai 15 ans, lorsque mon instructeur me dit : « Tu peux y aller ». Les jambes tremblantes, je mets donc seule les gaz pour la première fois, alors que je n’ai encore qu’un très petit nombre d’heures de vol. Devant moi, une piste en herbe dégagée et ma vie d’adulte. Je suis envahie d’une telle euphorie que, deux semaines plus tard et armée d’une expérience de dix heures de vol, je décide d’épater mes camarades de classe . Après avoir rendu une feuille quasiment blanche pour un contrôle scolaire, je fonce en vélo à l’aérodrome ou j’ai théoriquement le droit de faire trois « tours de piste » et l’interdiction de m’éloigner du terrain. Je m’en fiche : dès le décollage, je file en direction des rives de la Seine, remonte la rue principale qui mène à mon lycée au-dessus duquel je tourne à très basse altitude et de façon insistante, pour fanfaronner devant les fenêtres de notre salle de cours. J’ai les mains moites de peur de me perdre et d’excitation à l’idée d’enfreindre un interdit absolu. Une fois certaine que mes camarades m’ont bien vue, j’entame un demi-tour et file en direction de l’aérodrome, espérant que personne ne s’est rendu compte de rien. Mais j’ai oublié la gendarmerie, située juste en face du lycée. Sidérés de voir un avion tourner aussi bas en pleine ville, les gendarmes ont eu tout le temps de relever l’immatriculation. C’est donc un comité d’accueil fort peu sympathique qui m’attend, avec l’intention de me retirer ma licence. Mais je n’ai pas encore assez volé, ni passé d’examens pour en posséder une ; heureusement, sinon ma carrière aéronautique se serait peut-être arrêtée là !

Cette aventure de jeunesse a contribué à m’apprendre à toujours mesurer les limites de mes compétences, de mon expérience, des capacités d’un avion, des conditions d’un vol. C’est dans cet esprit que j’ai commencé à m’initier à la voltige aérienne : j’y ai vu un moyen d’apprendre à mieux maîtriser l’art de piloter, car j’ai commencé à éprouver rétrospectivement une sorte de peur de voler. Cette nouvelle inquiétude à sûrement été très utile et m’a définitivement rendu prudente ! Et c’est donc la voltige qui m’a offert véritablement le bonheur de voler.

Est-il besoin de préciser qu’il faut du temps, du travail, de la patience et bien d’autres choses pour passer d’une virée, fort imprudente, devant les fenêtres d’un lycée au podium d’un championnat du monde ? La compétition est à elle-même une rude école dont la première leçon est d’apprendre à perdre : pour gagner deux fois le titre mondial, j’ai accepté d’en perdre huit (car aucune place ne vous satisfait plus, même excellente, quand on a déjà eu la première !). S’est ajoutée, en ce qui me concerne, la nécessité d’apprivoiser, entre ces deux titres, une technologie notablement différente : en dix ans, nos avions ont évolué en puissance et en matériaux et n’ont plus du tout été les mêmes… et donc, par voie de conséquence, la façon de les piloter. Si la voltige aérienne a un caractère « académique » qui la rapproche du Cadre noir de Saumur, nous ne pouvons pas ignorer la dimension technique, ses contraintes, ses innovations. Notre mécanicien est aussi précieux qu’un palefrenier et même plus encore : notre sécurité, notre vie dépendent de sa compétence, de son coup d’œil. Avec lui, nous comptons aussi sur notre coach, notre mentor, notre instructeur : je le répète, aucun vol n’est parfait ; mais nous ne pouvons approcher la perfection que sous l’œil intraitable qui nous surveille et nous conseille depuis le sol. Aujourd’hui encore, lorsque je voltige pour mon plaisir, j’ai besoin de cet appui pour « garder la main » mais surtout pour apprendre, encore et encore. 

Je ne doute pas un instant que cette école de rigueur et d’exigence, cette écoute permanente, m’a préparée à m’engager sur des terrains auxquels je n’avais a priori jamais pensé. La direction du musée de l’Air et de l’Espace, sur l’aéroport du Bourget, est l’un d’entre eux. Évidemment, comme un ami pilote me l’a fait remarquer lors de ma prise de fonction, je ne pilotais plus un Extra 330 de voltige, mais je prenais le manche d’un Airbus 380 ! Avec un équipage plus nombreux que celui qui m’accompagnait en compétition, un box plus vaste, des échelles de temps différentes : un championnat du monde, ce sont quelques minutes de présentation pour lesquelles nous nous préparons longuement ; la rénovation de l’aérogare historique du Bourget, ce sont plus de dix ans entre une décision accordée par un ministre et la fin du chantier…

En fin de compte, les mêmes vertus sont nécessaires : l’analyse des conditions générales, la précision du pilotage, la qualité des programmes, la préparation de chaque geste, de chaque action, la gestion des impondérables et des risques. Mais peut-être avant tout, la passion et la patience.

 

      
Catherine Maunoury, présidente de l’Aéro-Club de France
A 17 ans, elle devient la plus jeune pilote de France en 1971. Elle se lance dans la compétition et devient double championne du monde de voltige à 12 ans d’écart. Habituée des présentations dans les meetings et les salons, elle devient directrice du Musée de l’Air et de l’Espace en 2011, puis présidente de l’aéroclub de France depuis 2016.
 

Auteur

Catherine Maunoury

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