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31 mai 2021

« A LA CHÂSSE, BORDEL ! »
LE PARCOURS D’UN INGÉNIEUR DE L’ARMEMENT DANS SA FORMATION DE PILOTE DE CHASSE

Chaque année, un ingénieur de l’armement a la possibilité de rejoindre la formation de pilote de chasse en intégrant une promotion de l’Ecole de l’Air. Retour sur une immersion sans égale au sein des forces, et sur son apport dans le quotidien d’un jeune ingénieur aux essais en vol.


Une formation riche et exigeante, au cœur de l’Armée de l’Air et de l’Espace.

Il est 07h30, le jour se lève à peine sur la Base Aérienne 705 de Tours, encore recouverte d’une nappe de brouillard en ce jour de février 2019. Des mécaniciens s’activent pour sortir les Alphajets sur le tarmac. Je me presse pour ouvrir l’escadron, préparer la documentation aéronautique et les salles de briefing. Tout doit être prêt pour débuter cette journée, qui pour moi est exceptionnelle : je fais mon dernier test en vol avant de recevoir le précieux macaron de pilote de chasse.

Cette journée vient conclure une période d’environ trois ans passée au sein d’une promotion de l’Ecole de l’Air. J’ai tout d’abord rencontré mes nouveaux camarades élèves-pilotes à Salon-de-Provence, où nous avons effectué une longue formation théorique, avant de débuter les vols sur avions légers, semblables aux avions d’aéroclub, pour acquérir les bases. J’ai alors découvert l’exigence, la rigueur et l’adaptabilité, fortement nécessaires à cette formation, ainsi que le peu de place laissé à l’erreur. J’ai également pu tisser des liens très forts avec mes camarades de l’AAE, une entraide quotidienne pour progresser ensemble étant indispensable. La progression en vol a ensuite continué à Cognac, sur Grob 120, où la promotion doit se mesurer à la voltige et autres vols aux instruments, afin que les élèves soient orientés vers la spécialité chasse ou transport. J’ai eu la chance d’être accepté dans la filière chasse, m’ouvrant ainsi la voie à un vieux rêve…

La progression en vol dans la filière chasse requiert de maitriser rapidement des concepts nouveaux, comme la navigation à très basse altitude et à haute vitesse, ainsi que le vol en formation, où les appareils évoluent à quelques mètres l’un de l’autre. Ce genre de discipline s’acquiert d’abord sur avion léger à hélice TB30 Epsilon, toujours à Cognac, avant de passer sur avion de chasse à proprement parler : l’Alphajet sur la base aérienne de Tours.

Je garde un souvenir particulièrement fort des premières heures de vol sur Alphajet. Il faut une bonne dose d’entrainement pour maitriser les nouveaux ordres de grandeur de vitesse et d’altitude : 550 kt (>1000km/h) et jusqu’à 45 000 ft (>13 000m)… Là encore, il faut toujours progresser, avec de nouveaux exercices à chaque vol, et un champ des possibles décuplé par les performances d’un avion à réaction : il est récurrent de traverser l’équivalent de la France entière pendant un vol de navigation de 1h30… Chaque discipline est sanctionnée par un test en vol, et plusieurs de mes camarades ont malheureusement été évincés après avoir connu trop d’échecs à ces tests.

Au bout d’un an sur Alphajet, ma progression terminée, j’ai enfin décroché le brevet tant convoité et j’ai pu débuter mon activité d’ingénieur d’essai. J’ai alors quitté cette vie en escadron, en repartant avec énormément de souvenirs, et surtout en ayant tissé des liens indéfectibles avec mes camarades de promotion, qui ont continué leur progression lors de la phase de transition opérationnelle sur Alphajet, puis sur leur avion d’arme : Rafale ou Mirage 2000. Leur formation étant très loin d’être terminée, ils sont encore aujourd’hui en progression, afin de devenir in fine leader d’une patrouille de quatre avions sur un théâtre d’opération, 4 ans après leur brevet.

 


La nouvelle politique de formation et d’entrainement des pilotes corps techniques de la DGA a instauré la mise en place d’un insigne de poitrine à porter sur l’uniforme, en particulier à des fins de valorisation vis-à-vis des personnels des armées. Cet insigne a été homologué par le service historique de la défense en janvier 2021, sous le numéro GS 389. Sa définition héraldique est la suivante : « couronne de lauriers d’argent timbrée en chef d’une étoile d’or et brochée d’un vol surchargé d’une pointe de flèche d’or aussi ». Il représente les éléments de l’insigne de l’armement, à savoir une couronne de laurier et cinq point disposés au sommet d’un pentagone régulier, sur laquelle sont rajoutés une étoile dorée − qui guide le pilote − et une paire d’ailes déployées -qui le porte- avec en son centre la flèche de la DGA, mêlant ainsi les symboles de l’armement et de l’activité aérienne.

Le Corps Technique Militaire :

Cette spécialité a pour objectif de fournir à des ingénieurs OCA occupant des postes à vocation aéronautique, une culture et une spécialisation poussées. Mais tous les corps techniques ne sont pas pilotes de chasse ! En effet, il y a deux types de formation : une branche ENAC et une branche Armée de l’Air, dite « pilotage militaire ». Dans la première, les stagiaires sont pris en charge environ 6 mois par l’Ecole Nationale de l’Aviation Civile pour passer le 1er degré du Corps Technique, correspondant à un brevet de pilote privé et certains poursuivent 5 ans plus tard pour obtenir une qualification de vol aux instruments sur avion bimoteur bien plus complexe. Dans la seconde, les stagiaires sont intégrés environ 3 ans dans l’Armée de l’Air afin d’obtenir le brevet de pilotes de chasse ou de transport.


Le « macaron » de pilote des corps techniques militaires

 

Un jeune ingénieur breveté pilote de chasse dans les essais en vol.

La double casquette acquise durant mes années de formation en écoles d’ingénieurs d’une part, et à l’Ecole de l’Aviation de Chasse d’autre part, me permet aujourd’hui d’exercer mon métier d’ingénieur d’essais en restant très proche du milieu opérationnel, grâce aux nombreux contacts solides établis avec mes camarades des forces et avec certains de mes instructeurs.

De plus, la culture aéronautique militaire très poussée, acquise durant ces quelques années, permet de devenir rapidement opérationnel dans la conduite des essais, en assimilant les enjeux relatifs aux différents programmes et en permettant, dans une certaine mesure, de se projeter à la place de l’équipage devant effectuer la mission. Cette formation induit également une grande sensibilisation à la sécurité aérienne, concept central dans l’enjeu plus global de la maitrise des risques inhérents aux essais en vol, et permet à l’ingénieur d’être pleinement légitime lorsqu’il briefe les pilotes d’essais.

Enfin, les qualifications acquises permettent aux stagiaires issus de cette filière de participer à l’activité aérienne des sites de DGA Essais en Vol, en effectuant des vols de liaison pour du personnel et du matériel, des vols d’entrainement pour des membres d’équipages d’essais, et d’accompagnement pour des aéronefs nécessitant un point de vue extérieur durant le vol.

Le cursus de formation des pilotes de chasse a changé définitivement en 2020 avec le nouveau programme FOMEDEC sur Pilatus PC21, et le retrait en cours des Alphajets. Ce nouveau programme de formation permet aux stagiaires d’aller encore plus loin dans la réalisation de missions types, grâce au système embarqué de nouvelle génération du PC21. En effet, ce dernier a la possibilité de générer des situations tactiques et de simuler un capteur radar ainsi que de l’armement. Nul doute que l’apport pour les ingénieurs de l’armement issus de cette filière n’en sera que plus bénéfique.

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