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skis sur le Glacier Rongbuk pour l’ascension de la face nord de l’Everest par le couloir Hornbein (Chine)
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24 janvier 2025

ALPINISME D’EXPÉDITION, UN SPORT DE LONGUE HALEINE !

Il y a presque cinquante ans, encore élève en école d’application à l’ENSTA, dans l’ascension d’une belle voie glaciaire du massif du mont Blanc, j’ouvrais la voie en faisant la trace dans une neige vierge de début juin avec un de mes camarades de promotion. Deux inconnus nous suivirent profitant de la trace faite ; ils eurent la mauvaise idée de dévisser peu avant le sommet en partant sur une plaque à vent, ce qui nous obligea, à une période où le massif du mont Blanc était encore désert – la saison d’ouverture des refuges n’ayant pas encore commencé – et à une époque où les téléphones mobiles n’existaient pas, à marcher au total près de 40 heures pour prévenir le secours en montagne. Les deux imprudents furent sauvés, mon compagnon de cordée et moi y perdîmes la totalité des orteils d’un pied. Tout cela aurait dû me dégoûter de la montagne… mais ce ne fut pas le cas.


L’alpinisme d’expédition fut une manière élégante de marier deux passions : la montagne et la découverte de civilisations étrangères.

La vie professionnelle me donna la chance de vivre en Arabie et au Canada, et de voyager en de nombreux pays. Ma vie d’alpiniste me permit de découvrir de multiples sommets sur tous les continents, Argentine, Chili, Pérou, Bolivie, Équateur, Tanzanie, Kenya, République démocratique du Congo, Cameroun, Algérie, Niger, Pakistan, Union Soviétique (Tadjikistan), Chine,Inde, avec dans la plupart des pays une approche intéressante des autorités locales, passage obligé et souvent compliqué pour obtenir les autorisations nécessaires pour réaliser mes projets d’ascension.

LA PREPARATION

D’une expédition dans les Andes péruviennes à l’ascension d’un sommet de plus de 8000 mètres dans l’Himalaya, tout est dans la préparation individuelle et collective.

Pour s’accoutumer à la haute altitude et à des conditions météo qui pourront être rudes une fois sur place, rien de mieux qu’une ascension du Mont Blanc, avec un séjour en altitude sous la tente, si possible dans le mauvais temps, histoire de renforcer l’esprit d’équipe et de commencer à fabriquer des globules rouges moins de deux mois avant le départ.

Quelques ascensions de grands couloirs de glace tels que le couloir Couturier à l’aiguille Verte ou le couloir Gervasutti au Mont Blanc du Tacul, des courses mixtes comme l’arête Kuffner au mont Maudit et des courses de rocher comme l’éperon Frendo à l’aiguille du Midi, complètent notre préparation à l’altitude.

Des baignades dans l’eau froide (facile en Bretagne en hiver quand on est en poste à Lorient !) sont idéales pour endurcir le corps. Courir sur le bord de mer de rocher en rocher permet d’exercer le regard et le positionnement des pieds sur des rochers glissants et qui roulent, dans des conditions proches de ce que nous rencontrerons au cours des opérations de portage pendant la marche d’approche vers le camp de base.

De même, pour me préparer à l’ascension de la face nord de l’Everest entreprise au cours d’un poste à l’OTAN à Evere, l’ascension des dunes de Scheveningen des dizaines de fois d’affilée fut un bon moyen d’entraînement lors de missions au Shape Technical Center.

L’APPROCHE

Lors de l’ascension du Gasherbrum II, au Pakistan, à notre arrivée à Islamabad, nous faisons connaissance de notre officier de liaison, le major San Durrani. Commandant dans l’armée pakistanaise, sa présence est imposée par les autorités locales; il est heureux d’apprendre que je suis militaire et qu’avec mes quatre galons d’IPA nous avons le même grade. Il m’aide à recruter un sirdar, ancien sergent dans l’armée pakistanaise.

A l’entrée de la vallée du Baltoro que nous allons remonter sur 150 kilomètres, il convient de répartir des charges de 25 kg pour chacun de nos trente porteurs.

La décision prise dès le début du projet de ne pas emporter d’oxygène pour le temps passé en très haute altitude, permet de prévoir dans le budget un nombre restreint de porteurs et d’envisager d’atteindre le sommet sans porteurs d’altitude.

De même, en Chine, nous remonterons la vallée du glacier Rongbuk sur plusieurs dizaines de kilomètres accompagnés de yacks pour établir notre camp de base à 5500 m au bord d’un petit lac de moraine, puis un camp de base avancé à 6000 mètres au pied de la face nord de l’Everest, camp dans lequel nous serons frôlés par de nombreuses avalanches au grondement inquiétant dans des tempêtes de neige successives.

En Amérique du Sud les négociations se font en espagnol, langue étrangère pour les deux parties, puisque nos muletiers péruviens parlent le quechua.

 

Passage d’un sérac vers 7000 mètres dans la face sud Gasherbrum II (8035m) (Pakistan)

LE SOMMET

C’est en arrivant au sommet, objet de nos rêves depuis plusieurs mois, que le rôle du chef d’expédition prend toute son importance pour rappeler à ses équipiers que nous n’avons fait que le quart des difficultés. En effet trois quarts des accidents sont à la descente, avec la fatigue cumulée, le relâchement de l’attention après avoir atteint le sommet, la probabilité d’un changement de la météo, et la réalité mécanique : en montant, on voit où on va mettre le pied, pas à la descente…

 

Rencontre imprévue avec le Dalaï Lama à 3000m sur les bords de la rivière Zanskar après l’ascension du Nun (7135m) (Inde)

Rencontre imprévue avec le Dalaï Lama à 3000m sur les bords de la rivière Zanskar après l’ascension du Nun (7135m) (Inde)

LE RETOUR À LA CIVILISATION

Après plusieurs semaines en haute altitude dans un univers minéral de roche et de glace, quel plaisir de retrouver le premier brin d’herbe, le premier buisson, le premier arbre, le premier être humain, non membre de l’expédition, les premiers champs cultivés, le premier village. Pour nous il représente la civilisation, alors que c’est un village isolé et perdu au bout d’une vallée.

Redescente depuis le sommet du Korjenevskaïa (7105m), au fond, les tentes du camp IV (Tadjikistan, à l’époque en URSS)

Redescente depuis le sommet du Korjenevskaïa (7105m), au fond, les tentes du camp IV (Tadjikistan, à l’époque en URSS)

Après un mois passé dans un paysage de glace et de roc, nous retrouvons avec plaisir et émotion la douceur des scènes champêtres. Que c’est beau toute cette verdure ! Quel émerveillement d’entendre chanter les oiseaux ! Ce n’est pas un des moindres intérêts des séjours en haute altitude que de redécouvrir la saveur des petits plaisirs qui passent inaperçus dans la vie courante.

Les relations avec les porteurs

Le rôle du chef d’expédition est essentiel et doit s’appuyer sur le sens de la justice pour établir de bonnes relations avec ceux qui nous accompagneront pendant plusieurs semaines.

Au Ruwenzori, après avoir réalisé la première ascension d’un éperon rocheux, nous le dédions aux porteurs qui nous ont accompagnés jusqu’au camp de base, en l’appelant éperon des Wanendé, du nom de la tribu des porteurs qui nous ont accompagnés jusqu’au camp de base.

J’ai retrouvé la même relation de confiance avec les porteurs ou les muletiers qu’avec les chameliers qui nous accompagnaient dans le Hoggar. La montagne et le désert sont deux mondes d’absolu qui ne pardonnent pas l’approximation. Une estime mutuelle s’instaure.

Enfin, je terminerai par quelques anecdotes personnelles

Je me souviens du regard surpris d’un de mes chefs auquel, lors d’un entretien annuel de notation, j’avais répondu qu’un poste qui me passionnerait serait à terme d’être nommé administrateur des terres australes et antarctiques françaises. Avais-je déjà en tête la notion qui n’existait pas encore des « Seven Summits », ascension des 7 sommets des 7 continents : Elbrouz pour L’Europe, Kilimandjaro en Afrique, Aconcagua et Denali en Amérique du sud et du nord, pic Carstenz en Océanie, Everest en Asie et mont Vinson à 4892m pour l’Antarctique? Plus simplement, la découverte de l’archipel des Kerguelen et de Crozet m’auraient aussi fasciné, mais ma carrière a pris une autre orientation, sans regret. On ne peut pas être partout !

L’ascension du Chimborazo avec mon fils ainé, fut un cadeau réalisé le jour de ses vingt ans. Nous étions tous les deux seuls sur la voie que j’avais choisie, ce qui était plutôt rassurant puisque le principal danger au Chimborazo, au-delà de l’altitude, est le risque de chutes de pierres déclenchées par d’autres cordées éventuelles. Le sommet du Chimborazo, point culminant de l’Equateur, a la caractéristique d’être présenté comme le point le plus éloigné du centre de la terre avec ses 6310 mètres pile sur l’Equateur, le léger renflement de la terre sur l’équateur permettrait de dépasser les 8848 mètres de l’Everest… Je ne l’ai pas vérifié.

Puis quelques années plus tard l’ascension de l’Aconcagua avec un autre de mes fils, fut aussi une belle aventure. L’Aconcagua est le point culminant des Amériques et le plus haut sommet du monde, hors Asie qui possède 14 sommets de plus de 8000 mètres et plus de 400 sommets de plus de 7000 mètres

Plusieurs de nos grands anciens pratiquèrent en leur temps l’alpinisme d’expédition, ainsi deux ingénieurs de l’air. Jean Couzy et André Vialatte furent membres d’expéditions nationales dans l’Himalaya au début des années 1950 sur l’Annapurna et le Makalu.

Jean Couzy était membre de l’expédition de Maurice Hertzog qui eut un retentissement mondial en réussissant pour la première fois en 1950 l’ascension d’un sommet de 8000 décrite dans le livre « Annapurna, 1er 8000 ».

Couzy fut victime d’une chute de pierres quelques années plus tard lors d’une escalade dans le Dévoluy. Notre camarade Vincent Ginabat, qui a organisé avec Christian Franot une expédition mémorable au Ruwenzori en 1990, a écrit en 2009 un article dans la Jaune et la Rouge sur la carrière d’alpiniste de Jean Couzy.

Vialatte fut le directeur du.. pendant de nombreuses années, puis termina sa carrière comme inspecteur de l’armement.

Nombre de nos camarades ingénieurs de l’armement pratiquent l’alpinisme d’expédition qui, plus qu’un sport, est un art de vivre.

 

Photo de l auteur
Louis Le Pivain IGA

Chef d’expéditions: Hoggar (Algérie), Aïr (Niger), Ruwenzori (RDC), Huascaran, Yerupaja Grande et Salcantay (Pérou), Mont Kenya, Kilimandjaro, Nun (Inde), Korjenevskaia (Pamir), Gasherbrum (Pakistan), Orohena, Mont Fosheim (île Ellesmere), Aconcagua (Chili); Face nord de l’Everest (Chine).

Auteur des livres : Expéditions, Nomades et pasteurs, Pakistan ombres et lumières, Aux portes de l’Everest, Canada mer et glace.

Auteur

IGA, Vice-président du GICAN
Membre de l’Academie de marine
Président de Kermenez SAS
Conseiller du commerce extérieur de la France
De 1978 à 1989 a travaillé pour DCN à Lorient, en Arabie et au Canada. 1997/99 Directeur au SGDSN chargé de la coordination interministérielle de l’intelligence économique et du soutien à l’export Président de Raidco Marine de 2006 à 2018 Voir les 14 Voir les autres publications de l’auteur(trice)

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