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Jean-Marie en 1998, première année de l’X
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16 janvier 2025

PRESQUE OLYMPIQUE

« On n’existe que par les personnes qu’on rencontre ». J’ai appris cette maxime d’un de mes sous-officiers. Elle s’applique à merveille à ce que j’ai eu la chance de vivre comme sportif.


Mardi 6 février 2024, église d’Hossegor. Je suis là, en costume noir, chemise blanche et cravate noire, avec Maman. Pour rendre un dernier hommage à mon entraineur, celui qui m’a marqué, m’a fait en tant que sportif et en tant qu’homme.

Michel Jazy est sans doute un nom qui ne parle plus. Et pourtant ! Médaillé d’argent sur 1500 m aux Jeux Olympiques de Rome en 1960. 9 records du monde. Un nombre de record d’Europe et de France qui donne le vertige. Une carrière qui s’achève en 1966 en apothéose, avec un dernier record du monde :2000 m en 4’56. Rappelez-vous de votre temps sur 1000 m (ou 800 m) au concours d’entrée pour comparer !

Un jour de septembre 1994, Dax, stade Maurice Boyau. Les parents viennent de s’installer dans les Landes. Je viens de réussir -lamentablement- mon bac C, et fort de mes deux ans d’avance et de mon immaturité les parents ne m’ont pas laissé faire n’importe quoi. Je fais donc la seule chose que je sais faire à peu près correctement : courir. Il faut dire que j’ai la chance d’avoir des prédispositions, avec une Maman championne de France de 800 m (devenue infirmière militaire, plombier et dentelière), et un grand-père champion du monde de cross et de pentathlon militaire.

J’arpente donc la piste synthétique autour du terrain de rugby. Terrain fréquenté à l’époque par « les » Dourthe, Mola, Roumat, Ibanez, Lacroix, Pelous, Magne … soit la moitié du XV de France qui sera vice-champion du monde en 1999 après avoir battu les All Blacks en demi…

Je suis en train de faire du fractionné. Des séries de 10x100 m. Je suis gentiment interpellé pendant une phase de repos par un Monsieur aux cheveux blancs, à la bouille toute ronde et à la gentillesse débordante. « Bonjour, tu as l’habitude de courir ? ». « Ce T-shirt (j’avais ce jour-là un T-shirt « 10 km Perrier de Metz » non pas gagné mais offert ! et j’ai appris plus tard que Michel avait effectué sa deuxième partie de carrière dans cette société dans l’événementiel), tu l’as eu comment ? ». « Tu as quelqu’un qui t’entraine ? ». Et voilà comment, sans même connaitre son nom, vous êtes pris sous sa coupe par un ancien champion, entraîneur hors pair.

Lorsque Maman est venue me chercher à la fin de l’entraînement, je lui ai présenté mon nouvel entraîneur. J’ai cru qu’elle allait faire une syncope … car elle, elle le connaissait ! À l’entrainement suivant, elle est venue avec l’autobiographie de Michel pour se la faire dédicacer.

Voilà comment on passe de séries qu’on fait seul à un groupe structuré. Nous étions 6, un senior, un espoir et 4 cadets. Ce petit groupe a appris à souffrir ensemble, à se soutenir. A faire ce qui aujourd’hui me semble impossible. Et qui d’ailleurs l’était aussi à l’époque. Ma pire séance ? Celle que je n’ai jamais réussi à finir : deux enchainements de dix 1000 m, en 3 minutes chacun, séparés de 1 minute de repos. Plus d’une fois j’ai vomi sur la piste ; jamais je n’ai fini cette séance … Avis aux amateurs ! sachant que certains font le marathon à ce rythme sans les périodes de repos. Ou alors vous avez beau aller courir 2 fois par jour, tous les jours, vous découvrez encore de nouveaux muscles après une séance d’1h dans les gradins à monter et descendre les « marches » constituées par les bancs des spectateurs. Bon Dieu que c’est gigantesque une tribune de 2000 places vu sous cet angle !

Que de bonheur aussi. Être seul dans la forêt landaise, à croiser chevreuils et faisans. Être heureux d’être 4 fous à courir le 1er janvier à 8h du matin par -5°. L’insouciance de la jeunesse qui s’épanouit pleinement dans une activité saine. Celle qui a du mal à se raconter au travers de mots, mais qui se vit pleinement, intensément.

Il fait un soleil éclatant. Froid aussi. Nous ne sommes pas très nombreux aujourd’hui. Pas plus que sur un cross départemental. Mais, hormis les petits-enfants, je semble être le plus jeune, et de loin, avec mes 45 ans. Sur le cercueil, une photo éclatante, Michel en chemise blanche rayonnant de bonheur, une coupe de champagne à la main. Nous ne sommes que deux de notre groupe à avoir pu venir. Détail qui me redonne le sourire, le représentant local de l’Ordre de la Légion d’Honneur est venu, avec le drapeau bleu – blanc – rouge. Moi qui ne crois que peu aux décorations, mais respecte celles gagnées par la sueur du sport ou le sang versé – et j’ai eu la douleur de perdre des camarades d’affectation –, je suis heureux de ce témoignage de la Nation.

Je reconnais quelques « veilles têtes » dont les noms ne diront rien à personne. Jean Wadoux est là. Pas Michel Bernard, décédé quelques années auparavant. Ces trois-là … quelles batailles ! Jamais un pour s’avouer vaincu. Quand l’un gagnait une course, il fallait impérativement qu’un autre prenne sa revanche à la suivante ! Bilan ? Rome, 1960 : l’australien Elliott est le grand favori. Deux français en finale. Le jeune Jazy (24 ans) et Bernard, 29 ans, un peu plus expérimenté et sans doute un peu au-dessus. Et Bernard fit le train permettant au finisher Jazy d’empocher la seule médaille française de cette olympiade … 

Médaille d’argent aux JO de 1960 derrière Herb Elliott, intouchable ; l’or restera son regret...

Médaille d’argent aux JO de 1960 derrière Herb Elliott, intouchable ; l’or restera son regret...

 

Transcender un sport individuel au profit du collectif est à mes yeux la plus belle chose qui soit. Cet état d’esprit de dépassement de soi au profit de l’équipe est vrai partout. Cela saute aux yeux dans le monde militaire. C’est aussi vrai dans le monde industriel. Je suis aujourd’hui responsable chez Airbus du « ramp up » de la famille A320. A tous ceux qui me demandent ce que je fais concrètement, je réponds que je mets tous les rivets de tous les avions tout seul. Suivent généralement 10 à 15 secondes d’incrédulité ; auxquelles je mets fin en expliquant que je suis une sorte d’entraineur qui doit permettre à l’équipe de surperformer. Et ça parle même à ceux qui ne connaissent rien aux avions !

« …Transcender un sport individuel au profit du collectif… »

Juin 1995. Nous avons surper performé. Champions de France de Cross par équipe, montée en division 1 aux interclubs. Quelle que soit la course, aucun ne finit au-delà de la 6e place. Deux Français médaillés mondiaux et olympiques, Mehdi Baala et Bob Tahri sont eux aussi nés en 1978… ;nous avions un peu de concurrence ! Pour l’anecdote, Mehdi a reçu sa médaille d’argent aux championnats du monde de 2003 à Paris des mains de Michel, et j’étais bien évidemment dans le stade, mais dans les gradins cette fois … Juin c’est l’époque des dossiers pour l’INSEP. Et là c’est la douche froide.

Une habitude s’était installée naturellement. Sur la piste, c’était « Michel, tu ». En dehors c’était « Monsieur, vous ». Sans doute que sous l’effort mon cerveau n’était pas capable de gérer à la fois le tutoiement de mes camarades et le vouvoiement de l’entraineur. Cette schizophrénie est d’ailleurs la racine du sport : premier et humble, s’entrainer et garder de la fraicheur, individualité au service du collectif …

Jean-Marie, tu ne seras jamais champion Olympique

« Jean-Marie, tu ne seras jamais champion Olympique. Si tu continues tu arriveras sans doute à faire une finale, mais jamais tu ne la gagneras. » Ce rêve qu’il n’a jamais réussi à réaliser – et qui fut aussi mon graal inatteignable –, il me soulignait très justement qu’il fallait certes rêver, en grand !, mais aussi être lucide. Lucide sur ses forces, ambitieux pour ses résultats. Comme sur la piste. Comme dans la vie, personnelle et professionnelle.

Jugeant que j’avais des capacités intellectuelles qui me permettraient d’avoir un métier où je gagnerais suffisamment ma vie, et non pas à avoir toute ma vie des difficultés à joindre les deux bouts comme ce fut le cas pour lui, pigiste à l’Équipe pour survivre en dépit de son statut. Le sport, je pourrais en faire autant que je voudrais pour mon plaisir. Il a donc refusé de signer mon dossier. Je me suis retrouvé « contraint » d’aller en classe prépa. J’ai gardé ce goût du sport, continué pendant quelques années à un bon niveau, manquant la qualification pour les jeux d’Atlanta de quelques secondes sur 1500 m. Quelques secondes dérisoires quand je regarde mes temps aujourd’hui, mais quelques secondes suffisamment grosses pour ne pas me laisser de regrets et savoir qu’effectivement cette marche était trop haute pour moi. Lorsqu’aujourd’hui je transite par Atlanta pour rejoindre notre usine de Mobile, j’ai toujours ma madeleine de Proust avec moi.

La page du sport n’a jamais été tournée en ce qui me concerne. Celle du haut niveau si, assez rapidement d’ailleurs. Le service militaire en a été le fossoyeur : il faut bien muscler un peu le reste du corps, et cette masse il faut ensuite la trainer.

Mais je dois tant au sport. A commencer par mon intégration à l’X et donc dans le Corps : vu mon rang de classement, le peu d’écart entre les candidats et ma note en sport, aucun doute ce fut bien ma matière discriminante ! La persévérance a même été en amont … Après tout, j’ai bien un camarade de terminale qui a intégré deux promos avant moi ! Certains appelleraient cela la résilience.

Michel Jazy, la passion de se dépasser

Michel Jazy, né le 13 juin 1936 dans le Pas-de-Calais, et d’origine polonaise était un athlète français de demi-fond. Il a marqué l'athlétisme français des années 1960 par ses performances exceptionnelles et sa rivalité avec d'autres grands coureurs.

Il fut :

Champion de France cadet du 1000 m en 1953

Champion de France junior du 1500 m en 1955

Vice-champion olympique du 1500 m à Rome en 1960

Champion d'Europe du 1500 m en 1962 et du 5000 m en 1966

Détenteur de 9 records du monde, 17 records d'Europe et 43 records de France.

Il fut médaillé d'argent aux Jeux Olympiques de Rome en 1960 sur 1 500m derrière l’Australien Herbert Elliot qui battit à cette occasion le record du monde en 3’35’’6 dixièmes.

Après sa carrière sportive, Michel Jazy travailla au journal L'Équipe et occupa des postes dans la communication pour des marques comme PerrierLe Coq Sportif et Adidas. Il fut également administrateur du Parc des Princes.

Pour lui, le coureur à pied est « un homme devenu différent des autres » qui n’a besoin que de deux qualités pour devenir bon : l' et l'envie de se dépenser.

photo : Michel Jazy tel que je l’ai rencontré sur « ma » piste de Dax, © Sud-Ouest

La volonté de se dépasser, l’esprit d’équipe m’ont énormément servi, tant à la DGA que dans d’autres affectations. Mais surtout, la Passion. Passion transmise par des Hommes extraordinaires au sens littéral. Passion dans mon travail, qui l’a rendu systématiquement semblable à une course de demi-fond : on part en sprint, on accélère pour doubler ceux qui ont eu l’outrecuidance de partir plus vite. Peu importe si les poumons brûlent, si la vue s’obscurcit, si les jambes sont dures à en faire mal. On s’arrache, on se force à sourire – ça permet de mieux supporter la douleur, essayez, vous verrez ! –, et on ne s’arrête jamais avant la ligne d’arrivée franchie. On peut alors goûter aux joies simples de l’effort accompli : « Je suis combien ? », « Ils sont où les autres ? ».

Comme le rappelait Michel dans « Mes victoires, mes défaites, ma vie » : « J’ai couru pour cela, pour faire connaître les grandes joies du sport et de l’amitié telles que je les ai connues ».

 

Photo de l auteur
Jean-Marie Desmartis, ICA, Head of A320 Family Ramp up, Airbus

Un début de carrière aux essais en vol, un virage vers la cyber avec une succession de postes tantôt opérationnels, tantôt en gestion de programme, puis un poste de conseiller au SGDSN avant d’atterrir chez Airbus, à la sûreté puis sur la remontée en cadence post-COVID de la famille A320.

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