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la Cigogne termine son premier tour du monde
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07 janvier 2025

« EMBRASSE LA MER POUR MOI »
RENCONTRE AVEC JEAN-CHARLES LURO, CO-SKIPPER, BOAT CAPTAIN, SUPPLÉANT ET TEAM MANAGER D’ANTOINE CORNIC

Jean-Charles Luro, boat captain passionné de course au large

Une aventure comme le Vendée Globe, c’est bien sûr un skipper et un bateau, mais aussi une équipe et un projet complexe sur le long terme. 4 années de préparation, trois courses, un budget… Rencontre avec Jean-Charles Luro, co-skipper, boat captain, suppléant et team manager d’Antoine Cornic sur son Imoca Human.


Quelle a été ta rencontre avec Antoine Cornic ?

Ma passion, c’est la course au large. Mon métier, c’est depuis 20 ans d’être responsable de courses au large. Je connais les péripéties, les emm…, ce qui peut se passer. J’ai accompagné cinq Vendée Globe, avec Yves Parlier, Marc Thiercelin et d’autres. J’ai rencontré de nombreux skippers et de nombreuses équipes. Et j’ai souvent navigué.

J’ai rencontré Antoine en 2001, lors de sa première « mini ». Contrairement à d’autres, il n’est pas issu du moule commun « course du Figaro ». C’est un passionné qui rêvait de faire le Vendée Globe. Il y a un peu plus de quatre ans, il a eu la chance de trouver un partenaire, Ebac, qui lui a fait confiance. Il y avait à La Rochelle cet Imoca, qui avait démâté lors du Vendée Globe en 2008, et qui était disponible. Il l’a acheté et est venu me voir. Je lui ai d’abord dit non. Il ne se rendait pas compte de tout ce qui restait à faire. Par exemple, le bateau n’avait plus son certificat de jauge. D’ailleurs, si on avait fait la liste, il se serait peut-être découragé. Mais nous avons eu un bon feeling et sommes partis ensemble.

Le Vendée Globe, un rêve, une victoire ?

Dans un Vendée Globe, il y a trois victoires. La première c’est d’être admis à prendre le départ des Sables d’Olonne. La deuxième, c’est de prendre effectivement le départ. Et la troisième, c’est d’arriver ! Je ne parle pas de la quatrième qui serait d’arriver premier…

Il faut se rappeler qu’il y a moins de navigateurs du Vendée Globe que d’astronautes. Et sur les 200 qui ont pris le départ jusqu’à cette édition, à peine 115 sont arrivés au bout.

Être admis à prendre le départ, c’est tout le travail invisible de préparation qui dure des années.

Prendre le départ, c’est vivre un mois aux Sables d’Olonne entouré d’une foule qui vous prend pour des héros des temps modernes. C’est ensuite un début de course, où l’on scande votre nom, puis l’équipe débarque et c’est le silence, il ne reste que vous et le bateau.

L’humain n’est pas le bienvenu dans les mers, particulièrement au sud. D’ailleurs, ne dit-on pas « la mer m’a laissé passer » ? Le bateau est notre ami, on lui parle en course, on compte sur lui. Les Anglais lui donnent même le pronom she.

Pour les navigateurs, qui sont souvent des compétiteurs, comme Antoine, c’est très dur de ne pas terminer, terriblement frustrant comme la dernière transat CIC où ses voiles s’étaient déchirées.

Pour ce qui me concerne, tous les bateaux que j’ai préparés ont terminé leur Vendée Globe. On veut terminer. On est programmé pour cela. Et puis au final, il y a les finishers, les cap-horniers…, et les autres.

La préparation

Cette préparation est un projet complexe, mêlant ingénierie, hydraulique, mécanique, électronique, sur la durée. C’est une entreprise, avec les difficultés classiques, sans avoir les moyens des grandes écuries. Nous sommes une équipe de quatre personnes à l’année en plus du skipper, et cela monte à 12 personnes en période de chantier. L’aventure dure quatre ans. De mon point de vue, quand on a embarqué une équipe, on se doit à elle, et on trouve des solutions ensemble. Je connais chaque personne de l’équipe, leur famille, leurs chiens, leurs soucis de santé, c’est ma manière de faire.

Mon obsession, c’était de ne pas perdre l’objectif de vue, et l’objectif, c’était le Vendée Globe ! Combien de fois j’ai sermonné Antoine et l’équipe pour rester focalisés, pour ne pas abandonner.

En 2022, Antoine a trouvé le sponsor Human Immobilier, qui a été séduit par son profil et son projet. Nous avons pu rencontrer les équipes, leur faire visiter le chantier, le bateau, partager notre passion. Parfois, on se demande si, pour les terriens, derrière l’île de Ré, la mer ne tombe pas à la verticale… Nous, nous racontons une histoire. Je me souviens d’Arnaud Boissières, autre grand navigateur, disant à Antoine, « Va écrire ta première histoire de mer ».

La préparation, c’est aussi les courses pour s’affûter : une Route du Rhum en solitaire, deux Transats Jacques Vabre où j’ai accompagné Antoine, l’équivalent d’un tour du monde.

La course

Mon métier, c’est depuis quelques mois de vivre avec mon téléphone, mon ordinateur, les données du bateau. Antoine est parti en solitaire, mais il navigue avec une partie de moi, une partie de l’équipe. On reste dans l’action.

Nous communiquons 4 fois par jour quand ça va bien, 50 fois si besoin, essentiellement par WhatsApp, très peu d’appels ou de visios.

Quand le rail de grand-voile s’arrache, j’ai un appel à 2 h du matin. Je réveille l’équipe, on réfléchit, on décide de s’arrêter à Saint Paul, on organise toute l’opération : faire l’inventaire des pièces et des outils, mettre le bateau en configuration, obtenir l’autorisation de mouiller car c’est normalement interdit dans cette île protégée.

Quelques jours plus tard, Antoine m’informe qu’on a tapé quelque chose. La cloison longitudinale est décollée, une cloison qui tient le mât est cassée. Je réveille les boat-builders, l’architecte du bateau en Nouvelle-Zélande, et nous mettons au point une solution et un process. En quatre heures, le bateau est mis en phase de réparation cap et voiles, la direction de course est informée, et en 30 h, tout est réparé.

Mi-janvier, le bateau est à 95 % de son potentiel, mais la fatigue se fait sentir. C’est là que j’ai aussi un rôle de coach : Antoine m’appelle pour me dire « j’ai un coup de mou terrible ». C’est bien sûr la compensation de ces deux accidents qui auraient pu être gravissimes. Je lui demande s’il a pris du café, du sucre, de l’eau chaude… Je lui ordonne de croquer deux tablettes de chocolat, je lui parle de son chien… 24 h plus tard, il va mieux.

À ce moment, il est proche du point Némo, le point le plus loin de toute terre habitée, et je lui dis « je n’ai pas de solution pour te chercher s’il se passe quelque chose ». Il doit trouver ses ressorts.

Avec deux ris et foc J3 © Antoine Roulleau

Avec deux ris et foc J3 © Antoine Roulleau

Après

Le retour est un choc. Une fois le bateau amarré, le skipper change de planète, il est médiatisé, embarqué par ses sponsors. Le bateau doit être vendu pour clôturer à zéro, j’espère qu’il servira à un jeune skipper pour le prochain Vendée Globe. L’équipe sera dissoute. Pour ma part, je garderai l’image des albatros, ces immenses voiliers de 2,4 m d’envergure qui vivent en vol, planant au-dessus des mers sans un coup d’aile, ou qui franchissent des océans en altitude. Je leur dirai, comme à Antoine et aux cap-horniers « embrassez la mer pour moi ».

Auteur

Rédacteur en chef du magazine des ingénieurs de l'Armement.
Coach professionnel certifié et accrédité "master practitioner" par l'EMCC.
Fondateur de Blue Work Partners SAS qui propose :<br>
- Formation au leadership
- Coaching de dirigeants
- Accompagnement d'équipes projets
X84, ENSTA, coach certifié IFOD,
Auteur du guide de survie du chef de projet (Dunod 2017).
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