

MANAGEMENT ET PRATIQUE D’ARTS MARTIAUX
UNE CONVERGENCE DE VALEURS ?
Caveat : ce qui suit n’a aucune prétention théorique, il s’agit uniquement d’un modeste témoignage individuel. Certains pourront s’y retrouver, d’autres ne pas du tout s’y reconnaître. C’est la diversité qui produit la richesse !
Tous les parents qui ont choisi d’inscrire leur enfant au judo, au karaté, etc. le savent bien : ils ne le font pas pour leur apprendre à être les plus forts dans la cour de l’école, mais pour leur apporter bien autre chose – faire l’apprentissage d’une forme de discipline, canaliser leur énergie, vaincre leur timidité, mobiliser leur persévérance, accepter d’apprendre les règles sociales… Les arts martiaux ou les sports de combat comportent bien d’autres dimensions que le seul apprentissage des manières les plus efficaces d’affronter une adversité physique : il s’agit aussi d’adhérer à des valeurs, à un code moral, et d’y trouver de quoi construire son cheminement personnel et trouver sa place dans la société.
A partir de là, il n’est guère étonnant que ces fameuses valeurs, les fondamentaux de ces disciplines, puissent faire un écho à la perception et au positionnement d’un manager : manager, c’est se forger une place dans un certain périmètre social, définir un certain nombre de règles qui y régissent les échanges et les responsabilités, établir des relations interpersonnelles nécessairement empreintes de respect et de compréhension mutuelle.
« Entraide et prospérité mutuelle »
Pour ma part, j’ai pris les choses dans l’ordre inverse, en ayant été manager avant d’être judoka : j’ai pris mes premières responsabilités d’encadrement en 1995 à 26 ans, avant d’entreprendre la pratique du judo quatre ans plus tard. Et sans que j’en aie nécessairement conscience, la pratique du judo m’a aidé à m’améliorer en tant que manager : le difficile apprentissage de cette discipline commencé à l’âge adulte m’a ouvert les yeux sur l’impérieuse nécessité de tenir compte des aptitudes de chacun. Il était difficile, après trente années à surfer sur la reconnaissance sociale d’aptitudes intellectuelles sanctionnées par des diplômes, de me retrouver dans un contexte où au contraire j’avais tout à apprendre, avec des aptitudes naturelles inférieures à celles d’un enfant de cinq ans…
C’était, de ce fait, l’occasion d’initier d’autres types de relations, parfois hiérarchiques, dans un environnement où le respect et l’entraide sont des vertus omniprésentes.
Illustration : le code moral du judo
Le fondateur du judo en 1882, Jigoro Kano, voulait en faire avant tout une méthode d’éducation. La devise du judo, « entraide et prospérité mutuelle », est une manière de rappeler qu’il n’est possible de progresser qu’avec un partenaire de travail ou même un adversaire en compétition, et que seul il n’est pas possible d’aller bien loin. C’est d’ailleurs le sens du salut, scrupuleusement respecté, entre les combattants : une manière de témoigner son respect avant le combat, et de remercier pour les acquis de l’expérience après celui-ci.
Mieux se connaître et mieux comprendre les autres
Alors, finalement, pourquoi la pratique d’une activité consistant essentiellement à acquérir des gestes techniques destinés à obtenir la supériorité dans un affrontement physique peut-elle alimenter des qualités de manager ?
Cette activité nécessite régulièrement de sortir de sa zone de confort pour progresser. Il est facile, pour un manager expérimenté, d’être tenté de se reposer sur ses acquis techniques et son expérience, sans trop avoir à se poser de questions. Se remettre en cause est plus compliqué et nécessite plus d’effort. Là, pas le choix : lorsqu’on s’avance sur le tatami, à l’entraînement ou en compétition, il n’est pas d’autre voie que de donner le meilleur de soi-même et d’essayer de tirer profit de toute opportunité de progresser – c’est ce que l’on doit à son partenaire de travail à l’entraînement, quels que soient les niveaux respectifs, et c’est ce que l’on doit à soi-même et à son adversaire en compétition.
Un sillage de clubs
Équipe dans son dojo à l’AIA de Cuers - Pierrefeu
Au cours de ses dernières affectations, François Decourt a participé à la mise en place d’activités associatives liées aux arts martiaux : en 2016, avec la création, avec le LCL Fabien Bossus, de la section judo de l’association sportive de Balard, en 2017 avec la remise en place d’une activité judo loisirs résidente pour les élèves de l’ISAE-SUPAERO, en 2020 avec la mise en place d’un dojo et la création d’une activité d’initiation aux arts martiaux pour les personnels de l’AIA de Cuers-Pierrefeu, avec l’IETA Alexandre Rebet (4ème dan de karaté) et l’ouvrier de l’Etat HCB Christophe Occelli (2ème dan de judo).
Se confronter à l’autre, c’est aussi mieux se comprendre soi-même, identifier ce dont on est déjà capable et ce dont on a le potentiel ; c’est aussi le nécessaire effort pour le comprendre, cet autre si hermétique, identifier son jeu, ses options, ses actions. Comme un manager doit savoir le faire pour espérer convaincre, faire adhérer et orienter vers un but commun. Le contexte est certes différent, mais le principe convergent : il faut admettre que sa propre réalité est partielle et relative, et accepter la réalité d’autres points de vue, d’autres appréhensions du monde, d’autres tactiques… et leur accorder une véritable valeur, même si elles divergent des nôtres, parfois radicalement. Puis agir en conséquence : tirer profit des oppositions éventuelles, identifier les forces en présence, orienter son action en fonction de ce contexte lorsqu’on l’a bien appréhendé.
Construire des relations différentes avec des gens différents
Être un manager en n’étant que cela, c’est aussi potentiellement se condamner à vivre en huis clos, en n’échangeant qu’au sein d’une bulle uniforme : tout y est bien défini, bien pesé, bien orienté… c’est facile et confortable, mais désespérément pauvre. Heureusement, la vraie vie est bien différente : la pratique des arts martiaux apporte aussi beaucoup dans cet ordre d’idées. C’est l’occasion bien sûr de rencontrer d’autres personnes, d’autres profils personnels et professionnels, mais c’est ici l’occasion de partager avec eux quelque chose de très différent du monde professionnel, comme beaucoup d’autres activités, certes. La relation ainsi établie est ici très intime : pour être sans danger, elle nécessite une véritable confiance dans son partenaire de pratique, dans sa maîtrise de ses actions, dans son respect de l’engagement mutuel implicitement pris en acceptant de pratiquer ensemble. Le lien ainsi établi peut être très fort et très durable !
L’autre, indispensable pour progresser
En conclusion, je dirais de ma petite expérience de judoka que chacune de mes rencontres, avec des professeurs, des partenaires ou des adversaires, m’a d’une façon ou d’une autre aidé à progresser, à la fois en tant qu’être humain mais aussi que manager. Mieux connaître et comprendre les autres, mieux se comprendre soi-même, mieux percevoir la dynamique des actions individuelles, sont chaque fois des briques indispensables pour devenir un meilleur manager. En acceptant le risque, mais aussi la récompense, d’une indispensable mise en danger, fût-elle symbolique, dans la confrontation avec autrui.

X-Supaéro, après une carrière tournée vers les systèmes d’information et de communication et l’électronique, François Decourt a retrouvé l’aéronautique en 2016, comme directeur adjoint de l’ISAE-SUPAERO jusqu’en 2019, puis sous-directeur technique de l’AIA de Cuers-Pierrefeu, dont il est directeur depuis 2023. Judoka depuis 1999, il a reçu sa ceinture noire en 2010.
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.