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02 juin 2025

CONNECTIVITÉ AÉRO : L’INDUSTRIE SUR LE PIED DE GUERRE

La capacité de communication des avions militaires a contribué de tout temps à la supériorité aérienne, comme l’illustre les révolutions qu’ont constitué le déploiement des liaisons de données tactiques (la « L16 » de l’OTAN) puis les liaisons avion missile. Aujourd’hui, la connectivité aéronautique mettra en œuvre le combat collaboratif, et intégrera des UCAV dans les futurs systèmes de combat aérien.


Comment passer de la radio du pilote à l’avion connecté ?

Un des défis à relever est de concilier souveraineté et interopérabilité, dans un cadre OTAN, US ou européen, pour ces nouvelles solutions de communication. Souveraineté dans un cadre national (pour les missions liées à la dissuasion), mais aussi international, pour les partenaires de la France qui lui achèteront ces nouveaux systèmes. Une souveraineté qui recouvre garantie d’intégrité et de confidentialité des données transmises, et autonomie d’emploi des communications, système nerveux des nouveaux systèmes de combat aérien.

Ces solutions doivent répondre aux exigences spécifiques des communications militaires (sécurisées, résilientes, faible latence, discrètes, résistantes au brouillage, etc.), et prendre en compte les contraintes propres au milieu aéronautique (navigabilité, environnement, intégration sur plusieurs générations de plateformes aux interfaces physiques et fonctionnelles multiples). Leur conception et production doivent s’accommoder d’une empreinte industrielle en France qui ne cesse de se réduire dans le domaine des communications, et plus généralement de la microélectronique. Ceci alors que les quantités à produire restent très limitées (encore plus dans le domaine aéronautique), et que les clients internationaux, dont les commandes généraient traditionnellement des volumes supplémentaires, ont de plus en plus d’exigences (intégration de protocoles de communication et de solutions de chiffrement souverains) et une demande de valeur locale accrue, pour constituer leur propre base industrielle et technologique de défense.

Les moyens de communication sur le Rafale F4

Comment disposer d’une offre souveraine, autonome d’emploi, soutenable et interopérable ?

Dans ce contexte, l’industrie française doit concevoir des solutions standardisées, facilement intégrables sur toutes les plateformes, reposant sur des éléments de solution communs (radio, routeur, chiffreur) pour assurer des volumes suffisants afin de préserver compétitivité et soutenabilité sur le long terme. Ceci pour garantir une liberté d’emploi aux utilisateurs, sans contrainte de pays tiers (e.g. réglementation ITAR). Dans le même temps, elles doivent permettre l’interopérabilité souhaitée, dans un cadre national souverain, ou OTAN ou de toute autre coalition.

L’une des clés pour relever le défi, c’est la définition d’architectures ouvertes, au niveau des systèmes ou des constituants, pour permettre modularité et évolutivité, mais aussi capacité à sous-traiter ou co-développer.

L’autre clé, c’est l’optimisation des supply chains et la mise en œuvre d’une politique make /team /buy pour concilier souveraineté et compétitivité.

La stratégie repose sur le maintien sur le territoire national des capacités de développement des équipements clés (radios, chiffreurs, serveurs de communications sécurisées, terminaux de liaisons de données, modems satcom souverains…), mais aussi des filières de conception et de réalisation des modules et composants sensibles, au premier rang desquels cartes et composants de sécurité, ainsi que les éléments les plus différenciants technologiquement en termes de performance. Thales peut compter sur l’effet volume pour s’organiser en interne (on peut citer ici la récente création d’un centre de production de cartes électroniques complexes à Pont-Audemer), ou piloter sa supply chain française.

Thales veille à donner à ses fournisseurs de la visibilité, en contractualisant à un horizon ferme de 4 à 6 mois, et partageant son prévisionnel à un horizon entre 12 et 18 mois via un outil numérique connectant son ERP avec ses fournisseurs. En cas de crise, comme celles du marché des composants ou de l’énergie, Thales trouve des solutions avec ses fournisseurs, comme l’accès à des revendeurs qu’il valide, ou à des conditions négociées de prix de l’énergie.

La recherche de compétitivité passe par la qualification de plusieurs sources d’approvisionnement et de sous-traitance en dehors des frontières, pour bénéficier d’un effet volume ou de compétitivité coût, en Asie ou en Europe, tout en veillant à préserver la sécurité d’approvisionnement et la capacité de montée en cadence, dans un contexte d’économie de guerre, ce qui peut induire une stratégie d’acquisition ou de relocalisation de certaines capacités.

Enfin, il faut profiter du levier des coopérations industrielles, dans un cadre transatlantique ou européen, comme pour les équipements de liaisons de données L16 (MIDS), les solutions de connectivité du SCAF, ou le volet souverain des capacités de la constellation IRIS2. Au-delà du modèle traditionnel de localisation de capacités de production ou de soutien dans les pays clients, Thales bâtit des partenariats stratégiques avec les champions industriels locaux pour codévelopper des solutions répondant à leurs besoins de souveraineté.

Comment maîtriser le développement de la connectivité aéro?

La maîtrise du développement et du déploiement de la connectivité aéronautique suppose une organisation, un fonctionnement et une gouvernance transverses qui fédèrent une large communauté d’acteurs étatiques et industriels (équipementiers, avionneurs, systémiers de combat et de C2). Elle exige une cohérence parfaite des standards de données, protocoles de communication, algorithmes de chiffrements et interfaces physiques et fonctionnelles entre toutes les composantes de la connectivité.

Le déploiement de la connectivité aéronautique, qui porte l’enjeu du maintien de la supériorité aérienne des prochaines décennies, est une formidable entreprise technologique, industrielle et humaine. Sa réussite nécessite de combiner les visions, les expertises, les compétences, tant techniques que d’ingénierie ou de conduite de grands programmes, les ressources et les moyens de tout l’écosystème de la défense : Armée de l’Air et de l’Espace, DGA et tout le tissu des industriels de défense français.

Photo de l auteur
Christophe DUMAS, Directeur Général de Thales SIX GTS France

X86, après un début de carrière à la DGA (dont un passage au cabinet du Délégué), il rejoint le groupe Thales en 2002, où il exerce différents postes à la direction de la stratégie et du marketing de Thales Communications & Security. Après avoir été vice-président opérations de Thales LAS, il occupe depuis février 2020 le poste de Directeur Général Adjoint, Opérations et Performances de Thales SIX.

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