

BOAS, GAZELLES ET ÉLÉPHANTS
REGARDS SUR LES PME DU XXÈME SIÈCLE
Extraits de l’article « De l'utilité des "gazelles" dans la bataille des coûts » paru en juillet 1997 dans le numéro 58 de la revue « L’Armement » Pages 129 à 132
par Louis LE PIVAIN, ICA, Sous-directeur PME-PMI et Action régionale, Direction de la coopération et des affaires industrielles
Dans un article récent de la presse économique, le dirigeant d'une association professionnelle de PME de hautes technologies comparait les PME à des gazelles à la merci des grands groupes prédateurs. « Laissons courir les gazelles ! », concluait-il.
Nous analyserons dans cet article l'apport des PME à la réduction des coûts des armements.
Avant d'en arriver au milieu de l'armement, examinons brièvement comment a évolué le rôle des PME dans la réduction des coûts de l'industrie automobile au cours des dernières années. Le cas des sous-traitants de l'automobile est intéressant car il permet d'imaginer ce qui pourrait se passer à une échéance plus brève que d'aucuns l'imaginent dans l'industrie de défense. Les sous-traitants de premier rang ont été amenés à se regrouper pour devenir des fournisseurs de fonctions complètes. Associés très en amont par les constructeurs dans la conception des véhicules, ils dépassent une taille critique qui est largement au-delà de la définition communément admise pour une PME et s'appuient parmi leurs sous-traitants sur un tissu de PME performantes. Seules quelques PME innovantes restent en contact direct avec des constructeurs.
Nous aborderons successivement trois volets : l'apport des PME à la réduction des coûts des armements par des gains de productivité, puis l'apport des PME dans l'innovation. Enfin, nous terminerons en évoquant le rôle d'aiguillon des PME.
Grâce à leurs structures légères et flexibles, à leur personnel fortement motivé et à leur capacité de réaction face aux évolutions des besoins, les PME offrent des produits dont le rapport performance/coût est optimisé. Leurs faibles coûts de structure leur permettent de proposer des prix en dessous de ceux des grands groupes.
On peut constater que les PME sont particulièrement bien placées pour les prestations qui gravitent autour d'un produit de base : ensemble de simulation, outillage de maintenance ou de manutention, équipement de stockage, système d'expérimentation. Leur capacité d'adaptation joue alors pleinement. Dans un programme récent, un banc d'essais infrarouge était proposé à 150 MF par le grand groupe industriel maître d'œuvre, une PME l'a proposé – et réalisé – pour 50 MF, à la satisfaction de la DGA, en accord avec le maître d'œuvre.
La mémoire collective récente de la DGA fourmille de cas similaires. Ne soyons pourtant pas angéliques et naïfs, tout n'est pas blanc du côté des PME, et noir du côté des grands groupes. Il convient de ne pas opposer les bonnes petites PME victimes du méchant grand groupe. Chacun a besoin de l'autre. Il reste à trouver l'équilibre optimum entre la production par les grands groupes, mieux placés pour élaborer et produire des ensembles complexes en série, et la production d'éléments de moindre complexité et en série limitée par les PME où les qualités de ces dernières permettent d'obtenir des prix de revient minimaux. Encore, s'agit-il de veiller à ce que les substantiels avantages de coût des PME ne se transforment pas en bénéfice caché au profit du maître d'œuvre, mais soient intégralement répercutés par ce dernier vers la DGA, à l'exemple de cet industriel qui a su associer à un grand programme de préparation de mission une PME spécialisée dans la réalisation de calculateurs militaires, en intégrant à son offre les prix de cette dernière sans majoration, faisant réaliser ainsi à la DGA une économie de 3,5 MF.
Penchons-nous maintenant sur l'apport des PME dans la réduction des coûts grâce à leurs capacités d'innovation, en particulier dans le domaine des innovations dites de rupture. L'innovation peut être au niveau du procédé proposé pour répondre à un besoin. Ainsi, grâce à une PME de 350 personnes spécialisée dans les vêtements de protection, les Armées peuvent désormais acquérir des tenues de décontamination NBC, dont le prix d'achat est passé de 4 000 FF à 456 FF l'unité.
L'innovation peut aussi radicalement transformer l'approche d'un problème en ouvrant des horizons technologiques insoupçonnés. C'est alors une innovation de rupture : l'avion et les P.C. ont vu le jour dans de petites structures.
Il est à noter que dans les cas d'innovations de rupture, l'indépendance de la PME évite toute tentation que pourrait avoir un grand groupe d'enterrer une innovation qui prendrait à contrepied sa stratégie commerciale à court terme. En particulier, les PME de haute technologie innovent pour exister. Ni la nécessité de rentabiliser leurs investissements passés, ni celle de préserver des positions acquises ne les incitent à occulter des innovations, porteuses de fortes améliorations de compétitivité.
Voilà pourquoi il est intéressant d'observer le passage du statut de PME indépendante à celui de filiale de grand groupe. Chacun connaît quelques cas de grands groupes qui rachètent une PME innovante et performante pour mieux étouffer une innovation qui les dérange. "Le boa tente d'avaler la gazelle", serait-on tenté de dire, si nous ne devions pas garder à l'esprit que la gazelle est parfois consentante : l'adossement capitalistique d'une PME à un grand groupe n'est pas nécessairement sous-tendu de noirs desseins. Il peut aussi représenter une étape logique du développement d'une PME qui a vocation à grossir.
Enfin, examinons brièvement l'apport indirect des PME à la réduction des coûts par leur rôle d'aiguillon, qui n'est qu'une vision en contrepoint des deux volets précédents. L'efficacité des PME stimule la compétitivité des grands groupes et leur évite la tentation de transformer leur monopole en rente. Sous la pression des offres de prix des PME, les grands groupes sont amenés à rechercher des gains de productivité supplémentaires et à réduire leurs marges. Encore, faut-il veiller à une concurrence équitable pour éviter au grand groupe la tentation d'écraser la PME en pratiquant au départ une politique d'autofinancement - qu'une PME, même performante, n'aurait pas les moyens de suivre pour se rattraper ultérieurement une fois une situation de monopole acquise à la disparition de ce petit concurrent gênant.
Cette diversité du tissu industriel de l'armement est une force qu'il convient de préserver, comme l'a rappelé Jean-Yves Helmer lors d'une intervention auprès de dirigeants de PME.
Quelques pistes pourraient être approfondies pour renforcer à l'avenir l'efficacité du couple PME-grand groupe ; nous en citerons deux. Tout d'abord, des regroupements de PME pourraient avoir lieu en particulier au niveau européen, dans des structures qui permettent de garder les qualités de souplesse et de réactivité. Le travail en réseau permettrait à des groupements de PME d'aller jusqu'à la fourniture d'une fonction complète et d'être associés très en amont dans les études.
Enfin, des gains substantiels pourraient être obtenus en améliorant les relations de confiance entre donneurs d'ordre et sous-traitants et en instituant un véritable partenariat entre ces deux niveaux, comme c'est le cas chez les industriels japonais, très attentifs à la bonne santé de leur tissu de sous-traitants. Transformons les grands fauves en herbivores. Les éléphants vivront en bonne entente avec les gazelles.
Auteur

Membre de l’Academie de marine
Président de Kermenez SAS
Conseiller du commerce extérieur de la France
De 1978 à 1989 a travaillé pour DCN à Lorient, en Arabie et au Canada. 1997/99 Directeur au SGDSN chargé de la coordination interministérielle de l’intelligence économique et du soutien à l’export Président de Raidco Marine de 2006 à 2018 Voir les 16 Voir les autres publications de l’auteur(trice)
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