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Illustration d’une opération de dépose de pales d’éolienne en vol stationnaire par échange de charges.
24 mai 2025

FLYING WHALES : UNE STRUCTURE AÉRONAUTIQUE INNOVANTE POUR ACCOMPAGNER LA RENAISSANCE D’UNE FILIÈRE.
OU COMMENT TIRER LE MEILLEUR DE CHAQUE ACTEUR DU CONSORTIUM INDUSTRIEL ?

Flying Whales est née en 2012 à la suite d’une discussion entre le directeur général de l’ONF (Office National des Forêts) et Sébastien Bougon, président et fondateur de la société. Le constat était que la France importait des grumes, alors qu’un tiers du territoire est composé de forêts et en capacité de répondre à la demande. La difficulté résidait dans le manque d’accès pour sortir les grumes des forêts. Une solution à base de dirigeable s’est alors avérée être la plus séduisante. Mais il fallait aussi qu’elle soit la plus pertinente. Dans ce cadre, comment lancer et financer un programme aéronautique de cette ampleur en partant de la feuille blanche ? Et sur quels industriels, qui seraient d’ailleurs plus partenaires que sous-traitants, s’appuyer pour en réduire les risques et maximiser les performances ?


Une étude de faisabilité exhaustive

Le projet a d’abord pris la forme d’une étude de faisabilité qui s’est déroulée sur 4 ans et a permis de statuer sur les cinq axes majeurs du programme :

  • Faisabilité technique : les travaux ont été menés avec les grands acteurs de l’aéronautique française et ont montré une absence de verrou technologique ;
  • Aspects financiers : une estimation du coût du programme et des coûts d’exploitation a été réalisée, en vue d’alimenter le bilan financier. Le coût du développement a notamment été estimé à 500 M€ ;
  • Aspects marchés : des travaux avec les grands industriels français ont permis d’identifier une bonne dizaine d’applications principales pour une solution de transport industriel par dirigeable. Ils ont également parmi d’évaluer les revenus d’exploitation et ont conclu alors sur un besoin mondial autour de 300 machines. Une étude indépendante de 2023 évalue maintenant ce marché à 750 machines ;
  • Aspect certification : il s’agissait d’obtenir l’accord de l’EASA (European Union Aviation Safety Agency) de s’engager dans la certification de la machine, ce qui supposait au préalable de définir la base réglementaire de certification qui n’existait pas. Après 4 ans de travaux, celle-ci a finalement été publiée en 2022, sous le nom de la SC GAS (Special Condition for Gas AirShip) ;
  • Consortium : il était nécessaire d’identifier les acteurs les plus pertinents pour participer au développement du programme et à la production des appareils.

La solution

Le bilan de ces travaux a démontré la pertinence d’une solution à base de dirigeable, d’une charge utile autour de 60 tonnes, et devant s’affranchir de toute infrastructure particulière au sol, c’est-à-dire agir comme une grue volante. Pour un dirigeable, cela revient à réaliser des transferts de charge en vol stationnaire. Les travaux de conception se sont donc attachés à satisfaire cette exigence majeure et particulièrement innovante pour un dirigeable. Le projet s’est également matérialisé autour du désenclavement des territoires en déficit d’infrastructures, et de la décarbonation du transport aérien grâce à une propulsion innovante hybride-électrique, qui permet de réduire entre 50 et 90 % les émissions de gaz à effet de serre selon les cas d’usage, par rapport aux solutions actuelles. Le business plan s’est ensuite construit sur la production de 160 dirigeables, soit environ 1/6 du marché identifié, avec le principe d’exploiter en interne les dirigeables au travers de services de transport offerts aux clients par une filiale d’exploitation créée en juillet 2024 : Flying Whales Services.

Flying Whales

Entreprise créée en 2012 implantée aujourd’hui à Suresnes, Bordeaux et Montréal

Conception de l’architecture de l’aéronef, développement des algorithmes et de la structure - sous-traitance du développement des systèmes

Développement du dirigeable LCA 60T (Large Capacity Airship)

Transfert de charges en vol stationnaire : grumes, pales d’éoliennes, conteneurs, hôpital mobile

LCA60T : dirigeable de 200 m de longueur, 50 m de diamètre - 180000 m3 d’hélium – plafond de vol à 3000 mètres - Structure rigide (treillis carbone) recouverte d’un textile innovant -propulsion électrique distribuée sur 32 hélices avec moteurs électriques (turbogénératrices puis demain piles à hydrogène)

Début des essais en vol programmé en 2026

La mise en place du consortium industriel : une approche innovante

La mise en place d’un consortium industriel répond à un double objectif, et même à un triple objectif pour un jeune industriel aéronautique qui lance la conception de son premier aéronef :

  • Identifier les industriels qui seront les meilleurs pour concevoir ou adapter les équipements dont ils auront la charge,
  • Assurer une cohérence technique et financière du consortium afin de concevoir une machine qui réponde aux besoins pour un coût maitrisé,
  • Assurer une crédibilité technique du consortium en vue des travaux de certification qui seront réalisés avec l’autorité en vue de l’obtention du certificat de type.

FLYING WHALES s’est donc structurée en maîtrise d’œuvre du projet, en pilotant d’une part la conception globale du dirigeable et d’autre part l’intégration de l’ensemble des différents Work Packages (équipements ou sous-systèmes) à la charge des membres du consortium (génération électrique, propulsion, système de treuils, avionique, …). A noter que FLYING WHALES a souhaité garder à sa main la conception de la structure, des commandes de vol et du système d’équilibrage.

La construction du consortium devait donc répondre à ces trois objectifs. Du fait de l’aspect novateur du projet, il a été décidé d’appliquer une méthode un peu différente de celle basée sur la déclinaison de spécifications depuis les exigences de plus haut niveau et d’appels d’offres. Comme ce type de dirigeable, et surtout le type d’opérations attendues n’existaient pas, l’idée était d’abord de se concentrer sur les futurs clients, de bien comprendre leurs besoins avec le plus de finesse possible. Et avant toute rédaction de spécification, itérer avec des industriels, équipementiers ou systémiers, directement sur la base de ces besoins clients, afin d’identifier comment tirer le meilleur de leurs produits pour répondre à ces besoins.

Coté clients, il fallait les connaitre suffisamment bien, et s’assurer qu’ils s’affranchissent bien de certaines contraintes qu’ils pouvaient s’imposer jusqu’alors, comme par exemple le découpage en tronçons de certains équipements, afin qu’ils puissent exprimer un besoin brut, débarrassé de toute considération liée aux solutions de transport actuelles.

Côté industriels, sur la base de ce besoin brut obtenu, nous avons identifié des entreprises disposant de points forts pour répondre aux enjeux techniques liés à la satisfaction de ces besoins. Là aussi, il s’agissait d’orienter la réflexion pour s’affranchir de certaines contraintes classiques de l’aéronautique. Par exemple, une panne moteur sur un dirigeable n’a pas les mêmes conséquences que sur un avion ou un hélicoptère, car le dirigeable n’a pas besoin d’énergie pour voler (il flotte). Et c’est bien sûr en travaillant sur ses domaines d’excellence qu’un industriel va pouvoir penser différemment et prendre des risques qu’il saura mesurer sur une application différente de ses produits.

Cette approche a permis d’identifier les entreprises disposant de la meilleure maîtrise technique pour concevoir ou adapter les systèmes nécessaires pour répondre aux besoins désinhibés des clients de FLYING WHALES. C’est ainsi qu’ont été sélectionnés les membres du consortium, dont la première tâche a finalement été de contribuer, aux côtés de FLYING WHALES, à la rédaction des spécifications techniques de la partie les concernant.

La conception de l’appareil étant terminée, l’activité principale actuelle est la réalisation de tests individuels et interconnectés des équipements et systèmes, avant la construction de l’usine et l’assemblage du premier appareil.

La conception de l’appareil étant terminée, l’activité principale actuelle est la réalisation de tests individuels et interconnectés des équipements et systèmes, avant la construction de l’usine et l’assemblage du premier appareil.

Au bilan

Le consortium FLYING WHALES compte aujourd’hui une cinquantaine d’entreprises, qui adressent les domaines de l’énergie et de la propulsion, de l’aérodynamique, du levage de charges, des systèmes sol d’arrimage, de la météorologie,… Un tiers d’entre elles sont intéressées au succès du projet, et financent ainsi leur propre part du développement contre une exclusivité de production. Pour chaque membre du consortium, un enjeu fort est de relâcher les marges techniques inutiles par rapport à la spécificité d’un dirigeable, pour en optimiser la solution.

In fine, cette approche permet d’identifier la meilleure solution technique, maîtriser les risques, et rester compétitif, FLYING WHALES portant les risques résiduels. Même si le domaine est particulièrement normé, penser en dehors de la boîte reste indispensable en aéronautique !

« Il est essentiel d’assurer une crédibilité technique du consortium en vue des travaux de certifiation. »

Photo de l auteur
Tanguy Lestienne, IGA

Après une première partie de carrière au centre d’essais en vol sur les programmes M2000 et Rafale, il occupe le poste d’architecte A400M avant de devenir chef de la section JISR à l’OTAN à Norfolk. A son retour des Etats-Unis, il est nommé DP A400M.

Après le CHEM, il est nommé directeur de l’AIA de Clermont-Ferrand, puis du SIAé. Il est maintenant directeur général de Flying Whales Services.

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