

L’ACCOMPAGNEMENT DES PME INNOVANTES JUSQU’AU PASSAGE À L’ÉCHELLE
Aéroplanes Voisin, Turbomeca à ses débuts. De petites entreprises à l’origine de technologies qui ont bouleversé l’action des armées. Des arcs d’Azincourt au fusil Chassepot, l’innovation a toujours été déterminante, mais dans un monde où elle s’accélère et n’est plus l’atout exclusif des grandes puissances, nous devons porter une attention renforcée à nos PME innovantes. Le conflit ukrainien a démontré la nécessité de combiner hautes technologies militaires et technologies civiles adaptées.
Le soutien aux PME suppose de les avoir identifiées
Soutenir une PME suppose de l’avoir identifiée, particulièrement si elle vise d’abord un marché civil. Cette détection prend deux formes, désignées sous forme imagée : la « chasse », une recherche dirigée ; la « pêche », une disposition à recevoir les propositions spontanées. Un guichet unique facilite ce recueil.
L’étendue du tissu industriel d’intérêt est telle que l’AID ne peut la couvrir seule. Elle s’appuie donc sur des relais multiples pour l’acculturer aux besoins du ministère des Armées, faire connaître ses modes d’action et favoriser la détection des PME. Ce sont par exemple :
- les clusters d’innovation des centres techniques de la DGA qui fédèrent en régions les acteurs industriels, institutionnels et académiques de l’innovation,
- les pôles de compétitivité, qui permettent de tenir plus de 150 entretiens par an sur le territoire,
- les groupements industriels.
Connues, ces entreprises peuvent alors bénéficier d’accompagnements variés, selon la maturité de l’entreprise, celle de la technologie, son intérêt militaire prospectif ou avéré, son rang : un système dont le client serait l’État, ou une brique à intégrer dans un système d’armes par un maître d’œuvre industriel.
Pour les PME de la Base industrielle et technologique de défense (BITD), les études amont et les projets du Fonds Européen de Défense sont les supports habituels de maturation. Cet article ne les développera pas.
Pour le développement de technologies d’abord pensées pour le marché civil, l’AID déploie :
- des subventions « RAPID » pour les entreprises de moins de 2 000 personnes, avec ou sans partenaire. En 2023, 36 projets ont été sélectionnés.
- des contrats d’accélération de l’innovation, pour leur expérimentation et leur adaptation au besoin militaire.
L’Agence s’attache à développer des modes d’action qui stimulent et écoutent les bonnes idées extérieures. Ainsi, un appel à projet peut susciter une grande variété de solutions pour répondre à un besoin exprimé brièvement sous forme opérationnelle et non descriptive. Les appels Colibri et Larinae lancés en 2022 sur les munitions téléopérées ont permis de :
- faire surgir des solutions nouvelles expérimentées rapidement avec succès ;
- manifester à l’industrie l’intérêt général porté par le Ministère à ces moyens.
Cette stimulation a permis de lancer une première acquisition opérationnelle avant même leur terme.
Enfin, selon les enjeux de souveraineté et la situation de l’entreprise, le Ministère pourra envisager un investissement au capital par l’un de ses fonds opérés par Bpifrance : Definvest et le Fonds Innovation Défense. Cet investissement a alors un effet vertueux d’entraînement auprès d’autres investisseurs.
Le soutien peut prendre d’autres formes
En phase amont, le transfert à l’industrie des travaux de recherche soutenus par l’AID est un facteur de compétitivité. Les jeunes pousses françaises des technologies quantiques sont ainsi largement dans la filiation de la recherche financée par le Ministère depuis 25 ans. Différents dispositifs favorisent ce transfert des laboratoires vers les PME jusqu’à l’industrialisation au profit d’un grand maître d’œuvre. Par exemple, la PME Marion Technologies a profité de travaux de recherche sur des matériaux innovants financés par le Ministère auprès de l’Institut de Physique et Chimie des Matériaux de Strasbourg du CNRS. L’industrialisation est maintenant en cours au titre d’une subvention RAPID, en lien avec Dassault Aviation qui intégrera l’innovation.
En aval, la participation à des expérimentations opérationnelles ou des exercices militaires est déterminante dans la progression de la PME vers un produit adapté au contexte militaire. Ainsi, depuis 2023, la Marine nationale réunit marins, ingénieurs et industriels sur ses bâtiments pour transformer des idées en solutions opérationnelles et délivre des labels Perseus aux plus prometteuses.
L’initiative LAD L@b de EMA et de l’AID ouvre des terrains de test en ambiance représentative pour faire s’affronter concepteurs de drones et de systèmes anti-drones sur des scénarios militaires. Elle crée un contexte très favorable aux progrès de la communauté.
De même, le partenariat signé à Kyiv en février 2025 entre l’AID et le cluster ukrainien Brave1 permet l’évaluation d’innovations françaises dans le contexte le plus contraignant du moment, avec une opportunité à l’export en cas de succès.
Le drone Black Bird de la société Alseamar est opéré depuis un sous-marin en immersion (Perseus 2023) © Alseamar
Le passage à l’échelle est une étape délicate
Lorsque le produit a atteint une maturité suffisante, son adoption en série reste délicate. Il faut distinguer les innovations qui constituent des systèmes employables par les Forces des briques technologiques à intégrer dans un système par un maître d’œuvre.
Dans le premier cas, le Ministère agit sur deux leviers permettant désormais d’adopter une quinzaine d’innovations chaque année : une allocation financière dédiée ; une évolution des modes de commande publique : relèvement du seuil de mise en concurrence pour les produits innovants, enchaînement compétitif conception - développement - acquisition sans remise en concurrence : les partenariats d’innovation.
Dans le second cas, il faut permettre au maître d’œuvre de s’approprier l’innovation en l’associant en amont à son évaluation. C’est l’objet d’opérations telles que Centurion pour accompagner la recherche et l’évaluation d’innovations externes pour l’équipement du combattant débarqué.
Conclusion
Depuis 2018, l'Agence de l'innovation de défense s’attache à intégrer les innovations des PME au profit de la Défense, en améliorant ses dispositifs pour susciter ou détecter précocement les technologies, établir des relations de confiance et proposer des collaborations au moment opportun. La tâche est vaste mais passionnante, et indispensable à nos armées !

Après quelques années au Centre d’essais en vol, Nicolas Cordier-Lallouet se tourne vers la conduite de programme, dans des fonctions techniques puis de management. Il a notamment été directeur des programmes de drones, directeur du programme M51 puis directeur adjoint de l’Unité de management « Hélicoptères et Missiles ». Après avoir été architecte du système de défense Aéromobilité – surveillance – protection, il a rejoint l’ AID en 2023.
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