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Une refonte complète du site de Fléac est en cours, ici la future usine d’AEVA
04 juin 2025

AECE GROUP : QUAND LE SOUTIEN DE L’ÉTAT FAÇONNE L’AVENIR D’UNE PME INDUSTRIELLE
« ALORS, ÇA FAIT QUOI DE PASSER DANS UNE PME ? »

Depuis que j’ai quitté Safran en 2021, après vingt années dans un grand groupe, cette question revient souvent dans les conversations. C’est vrai que ce changement peut surprendre. Passer d’un géant de l’industrie aéronautique à la direction de deux PME — Aquitaine Électronique (200 salariés) et AEVA (80 salariés), réunies sous la bannière d’AECE Group — représente un véritable tournant. Un défi, mais aussi une formidable opportunité.


Je pourrais résumer ce saut en trois grandes idées.

D’abord, l’agilité. Ce qui frappe immédiatement dans une PME, c’est la rapidité des décisions. Les circuits sont courts, les arbitrages se prennent vite, parfois dans la même journée. Embaucher, investir, réorienter une stratégie industrielle : tout cela se fait sans les lourdeurs hiérarchiques propres aux grandes structures. C’est grisant et responsabilisant. C’est aussi, très honnêtement, ce que je cherchais en me lançant dans cette aventure.

Mais cette liberté a un prix : les décisions que je prends engagent directement l’avenir de l’entreprise et impactent les équipes. Il n’y a plus de filet de sécurité, plus de distance entre la décision stratégique et ses conséquences humaines et financières. C’est une source d’excitation… et parfois d’insomnies.

Enfin, malgré ce changement de décor, je n’ai pas vraiment quitté mon ancien monde. L’aéronautique et la défense sont des secteurs intégrés, avec des écosystèmes bien établis. Mes interlocuteurs sont souvent d’anciens collègues. Les relations entre les grands donneurs d’ordre (Safran, Thales, Dassault…) et leurs sous-traitants sont tellement interconnectées que l’on se sent parfois une unité de production déportée, presque comme si on appartenait toujours à leur organisation.

C’est d’ailleurs dans cette nouvelle position de carrefour entre les clients industriels et les acteurs publics que j’ai pu prendre la pleine mesure de la structure de la filière Aéronautique & Défense en France. Le soutien est là, tangible, incarné par des dispositifs concrets et des relations solides. Et paradoxalement, dans ce foisonnement d’aides et d’accompagnements, il m’arrive de manquer davantage de ressources internes que d’offres d’appui…

Une trajectoire industrielle bâtie pas à pas au sein de la filière

L’histoire d’AECE Group s’inscrit pleinement dans celle de la sous-traitance aéronautique française. Elle commence dans les années 1980, dans le Sud-Ouest, quand d’anciens ingénieurs de Turbomeca (aujourd’hui Safran Helicopter Engines) créent Aquitaine Électronique. Leur savoir-faire s’oriente d’emblée vers l’électronique embarquée, notamment pour la régulation numérique des moteurs d’hélicoptères.

Sous la direction visionnaire de Christian Houel, l’entreprise connaît une croissance continue. Dès les années 2000, elle noue un partenariat structurant avec Thales, pour la fabrication et l’intégration de composants critiques dans les radars tactiques GF300, GM200, GM400. Par la suite, de nouveaux clients majeurs intègrent le portefeuille : Dassault Aviation, Naval Group, KNDS… Autant d’acteurs qui reconnaissent à Aquitaine Électronique une expertise précieuse et un positionnement stratégique sur des fonctions critiques.

En 2019, un événement déterminant vient renforcer le groupe. Le site de Fléac, près d’Angoulême, propriété du Britannique Meggitt, est mis en vente. Ce site conçoit et produit les systèmes d’allumage de moteurs aéronautiques français (M88 du Rafale, M53 du Mirage, turbines d’hélicoptères). Pour la DGA et les industriels concernés, il est hors de question que cette activité stratégique quitte le territoire national. C’est dans ce contexte qu’un rapprochement est organisé avec Aquitaine Électronique. Le site devient AEVA, et ensemble, AEVA et Aquitaine Électronique constituent AECE Group.

L’année 2021 marque une autre étape décisive : AECE est racheté par le groupe Gérard Perrier Industrie (GPI), une ETI familiale française, spécialiste de l’électronique et de l’électrotechnique. Pour GPI, c’est une première incursion dans l’aéronautique. Pour AECE, c’est l’opportunité d’appartenir à un groupe solide, aux capacités d’investissement importantes, avec une vraie culture industrielle. AECE devient le pôle Aéronautique & Défense du groupe.

La future usine d’AEVA en cours de construction. L’inauguration est prévue en octobre 2025.

La ligne CMS modernisée d’Aquitaine Electronique

Quand France Relance devient levier de transformation industrielle

Comme beaucoup d’industriels, AECE subit de plein fouet la crise du COVID-19. Carnets de commandes en chute, sous-activité, tensions de trésorerie… Face à cette situation, l’État intervient de manière décisive, permettant une relance rapide et le financement de deux projets majeurs : MAEL et MAEVA.

MAEVA (Modernisation d’AEVA) vise une refonte complète du site de Fléac : nouvelles lignes de production, automatisation, digitalisation et surtout relocalisation de toute la chaîne de fabrication des bougies aéronautiques, jusqu’à la production des céramiques semi-conductrices. Grâce à l’appui de Bpifrance, une nouvelle usine verra le jour d’ici octobre 2025, augmentant de 50 % les surfaces de production.

MAEL (Modernisation d’Aquitaine Électronique) bénéficie également d’un soutien public. Il permet de rééquiper la ligne de fabrication de cartes électroniques avec les standards technologiques les plus récents, en intégrant des équipements de pose, de contrôle et de stockage à la pointe.

Les briques technologiques du projet Sens’AEVA

Les briques technologiques du projet Sens’AEVA

Innover pour l’avenir : Sens’AEVA, une relance technologique soutenue par le CORAC

Au-delà de l’outil industriel, une PME comme AEVA doit aussi penser au long terme. Depuis plusieurs années, nous concevons et fabriquons des capteurs de pression, de température et de vitesse pour l’aéronautique. Mais cette gamme vieillit. Les investissements ont manqué, et il est temps de réinventer l’offre.

En 2022, Aerospace Valley organise une série de rencontres avec la DGAC dans le cadre du CORAC PME. L’objectif : financer des projets d’innovation portés par des acteurs industriels de taille modeste mais à fort potentiel stratégique.

C’est là que germe le projet Sens’AEVA. L’ambition est forte : développer une nouvelle gamme de capteurs totalement souverains, depuis le packaging jusqu’à l’élément piézorésistif, en passant par l’électronique embarquée. Un projet qui renoue avec l’exigence de souveraineté industrielle, dans la lignée de MAEVA.

Le CORAC impose une méthodologie rigoureuse :

  • Le sponsoring de grands donneurs d’ordre, garants de l’adéquation au marché.
  • Une prise en charge complète du cycle d’innovation, de la R&D à l’industrialisation.
  • Des partenariats avec des laboratoires publics et privés, pour intégrer les technologies de rupture.

Après plusieurs mois de structuration, la convention est signée en octobre 2024. Une nouvelle étape commence pour AEVA.

 

Fabrication de céramiques semi-conductrices pour bougies aéronautiques

Fabrication de céramiques semi-conductrices pour bougies aéronautiques

L’État, les grands groupes et les PME : une filière qui coopère

Les exemples de MAEL, MAEVA et Sens’AEVA démontrent une chose essentielle : la réussite des PME industrielles repose sur un triptyque solide — l’État, les grands groupes, et les PME elles-mêmes.

L’État agit ici comme catalyseur : soutien financier, relais stratégique, garant de la souveraineté industrielle. Les grands groupes, eux, jouent un rôle d’entraînement, de co-construction, parfois même d’accompagnement opérationnel. Quant aux PME, elles apportent leur agilité, leur savoir-faire spécifique, leur enracinement local.

Aujourd’hui, un nouveau défi émerge : la relance massive des programmes d’armement, en France comme en Europe. Les volumes de commande explosent. Les cadences s’accélèrent. Mais pour une PME, répondre à cette dynamique n’est pas simple. Il faut :

  • Recruter dans un marché tendu.
  • Structurer les processus industriels pour assurer qualité et délais.
  • Mobiliser des ressources financières pour absorber la montée en charge.

Heureusement, les relations de confiance que nous avons avec nos donneurs d’ordre portent leurs fruits. Ils sont présents, à l’écoute, parfois même physiquement dans nos murs, pour nous aider à tenir les objectifs. Ce partenariat est clé. Il repose sur la reconnaissance croissante de notre rôle stratégique dans la chaîne de valeur.

Et c’est aussi là que le choix de Gérard Perrier Industrie prend tout son sens. Ce groupe familial, français, indépendant, est capable d’investir, de soutenir, d’amplifier l’effort collectif. Avec lui, nous avons les moyens d’aligner notre outil de production sur les enjeux de souveraineté, de performance industrielle, et de compétitivité nationale.

 

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Cyrille Poetsch, ICA, directeur Aéro défense d’AECE Group

X Sup-Aéro, Cyrille Poetsch débute sa carrière en 1995 au Centre d’Essais des Landes à Biscarrosse. En 2002, il intègre le groupe SAFRAN pour diriger la filiale Essais en vol, puis le Centre de compétences Systèmes de Régulation, et enfin la Direction des Programmes de SAFRAN Helicopter Engines. En 2017, il devient Directeur du Support Client des moteurs civils de SAFRAN Aircraft Engines et de CFM International, avant de prendre en 2021 la direction d’AECE Group.

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