Retour au numéro
Vue 578 fois
01 octobre 2019

MCO aéronautique : mise en perspective historique

Septembre 1997, à Cazaux, devant l’IHEDN et l’enseignement militaire supérieur, le général commandant la force aérienne de combat fait une déclaration « choc » sur l’indisponibilité de ses Mirage 2000 faute de pièces. Quelques semaines plus tard, le Canard enchaîné publiera « 14 Mirage 2000 indisponibles faute de pièces ». La « crise logistique » est sur la place publique. Le 11 décembre 2017, à Evreux, la Ministre déclare « ...30% de disponibilité. Cette situation n’est pas tenable, j’en ai donc fait une priorité personnelle. Avec l’appui du Premier Ministre et, pour ne pas vous mentir, une attention toute particulière du Président de la République, j’ai décidé de m’emparer du MCO aéronautique et de tout faire pour tenter de le guérir, enfin ».

Malédiction ou difficulté technique insurmontable ?


La guerre froide et les années qui ont suivi

Comme pour les autres MCO de milieu, l’organisation du MCO aéronautique a peu évolué pendant la guerre froide. Le MCO reposait sur des stocks très importants, du personnel, des entrepôts et des ateliers, de préférence armés par du personnel militaire. En 2000, le CGA estimera le stock de rechanges aéronautiques à deux annuités de LPM.

Rafale : le défi, remettre au standard la première tranche de production

Archaïsme ? Pas tant que cela. En effet, les circuits logistiques étaient extrêmement longs. La désorganisation des communications en cas de crise paraissant inéluctable, il était visé que les bases aériennes puissent fonctionner en autonomie pendant trente jours. Cette organisation était également adaptée aux contraintes de l’époque. A la fin des années 70, avoir une « ligne PTT » permettant de téléphoner à l’extérieur était l’apanage des chefs. L’informatique était lourde et centralisée et bien évidemment, inaccessible sur le terrain. Techniquement, bien des matériels réputés en bon état devaient être vérifiés et réglés avant le montage sur avion. Il était prudent de procéder ensuite à des vols de contrôle¹. La documentation de suivi était sous forme de fiches cartonnées. La pratique était que toute une unité, opérationnelle ou de maintenance, recevant un avion procédait à une visite ou un vol pour en connaître l’état réel².

A la fin des années 80, les marchés de service étaient inexistants. Les principaux marchés de rechanges et de réparation étaient passés par la DGA, la DCMAA gérait les stocks, effectuait ses calculs de prévisions et émettait vers la DGA un flux continu de télex de « demande de mise en commande » (DMC) qui donnaient lieu à des bons de commandes individuels. Le SIAr, présent dans les principales usines, commandait à l’unité les réparations des matériels lorsque ceux-ci arrivaient chez les constructeurs ou les réparateurs. Ces réparations étaient sur devis et faisaient l’objet de bons de commande individuels. Pour les réparations de rechanges de l’armée de l’air, tant que le SIAr n’avait pas passé de commande, le matériel était pointé « attendu non-ferme » dans SIGMA, le système de la DCMAA. Quand la commande est passée, il passait « attendu ferme » à la date figurant sur le bon de commande.

Au sein des armées, ce mode de fonctionnement était associé à des populations importantes de mécaniciens et des filières d’officiers cantonnés dans ces activités. Le cloisonnement entre les armées et la DGA était total. Si dans les unités de combat, il y avait une cohésion entre pilotes et mécanos, elle se diluait ensuite.

A la fin des années 80, la DGA cherche à améliorer la maintenance des avions pour en réduire le coût. Elle tente de promouvoir la démarche de soutien logistique intégré et monte des simulations de besoins en rechange au CAD. A la fin des années 90, elle convainc le Ministre de décider de la mise en place d’une « logistique commune air-marine » sur Rafale conduisant à la création du « CEntre Rafale de Logistique Intégrée » Air-Marine-DGA avec une direction tournante, précurseur des structures intégrées d’aujourd’hui.

La rupture

Ce système s’est effondré dans les années 96-98 sous l’effet conjugué de plusieurs facteurs. Juridiquement tout d’abord, le code des marchés publics n’a plus autorisé le type de marchés employé, de facto en dépense contrôlées. Budgétairement ensuite, la création des opérations budgétaires d’investissement a rigidifié le système. En effet lorsque la DGA commandait pour plusieurs armées, il lui fallait disposer du montant exact des crédits de chaque armée sur la bonne sous-OBI pour affermir la tranche conditionnelle. Enfin, le coup de grâce a été donné en 1996 avec les annulations massives d’AP et de CP nécessitées par la volonté de la France de satisfaire aux critères de convergence de Maastricht3. Les commandes ont été interrompues, des marchés résiliés. Si, sur les programmes, la DGA était en mesure d’annoncer à chaque fois les conséquences des résiliations, la DCMAA n’était pas en mesure d’annoncer de façon crédible les conséquences de ces amputations et cela d’autant plus que, par effet de stocks et de longueur des flux logistiques, l’interruption voire la résiliation des commandes n’avait aucune conséquence perceptible à court terme.

Deux ans plus tard, l’activité s’arrêtait et commençait ce qu’on a appelé les « crises logistiques ».

A400M : le problème de l'autonomie de l'Etat face à un fournisseur supra-national, le recours au SIAé pour la maintenance de l'A400M et son moteur

Bien que dans l’effondrement d’un système obsolète, les torts soient partagés, les armées en ont imputé la responsabilité à la DGA avec d’autant plus de facilité que, celle-ci ayant été extrêmement critiquée par ailleurs, Jean-Yves Helmer avait été appelé pour la réformer profondément. Une armée avait d’ailleurs proposé au Ministre de la transformer en réservoir de moyens à la disposition des états-majors. Constatant le cloisonnement total des structures celui qui exprimait le besoin à la DCMAA ne rencontrait jamais celui qui passait la commande à la DGA Jean-Yves Helmer a proposé de rapprocher les structures et de créer une structure intégrée. Ce fut la SIMMAD. Les marchés de rechange et de réparation de la DGA, les activités et les personnels associés, ont été transférés à la SIMMAD entre 2000 et 2001. Ce démembrement partiel de la DGA n’était pas spécifique au monde aéronautique puisque, dans le même temps, la direction des constructions navales était séparée en DCN étatique et DCN industrielle puis la partie soutien de la DCN étatique transférée à la Marine pour devenir le SSF.

A l’époque, il était clair que la faiblesse de la démarche était de « curiacer » l’acheteur public, les industriels ayant deux interlocuteurs, l’un pour l’acquisition et l’autre pour le soutien. Le pari était qu’une structure intégrée permettrait de fédérer les acteurs.

En opérations, un environnement parfois difficile

Nous ne sommes pas les seuls

Dans le même temps, en 2000, le Royaume Uni regroupait tous les organismes en charge du soutien dans les différents milieux au sein de la Defense Logistic Organization (DLO), la Defense Procurement Agency (DPA) conservant approximativement les attributions de la DGA. La création de la DLO a permis de profondes restructurations du secteur du soutien.

Avec le Royaume Uni nos routes se séparent ensuite. Les effets du cloisonnement entre DPA et DLO ont été tels que les deux structures ont été regroupées pour constituer la Defense Equipment and Support, DE&S, crée le 2 avril 2007.

La SIMMAD est rapidement devenue une structure de l’armée de l’air, à vocation interarmées, organisée et gérée comme telle avec ses contraintes et ses équilibres internes entre armées et entre corps d’officiers, la DGA n’étant sollicitée que pour fournir des « sherpas-acheteurs » Elle a, conformément aux vœux des armées, une relation directe avec les grands industriels dont elle est le deuxième client étatique.

La LOLF a encore aggravé ce cloisonnement avec un P178 perçu comme le budget des armées, le P146, bien que copiloté, étant perçu comme le budget de la DGA.

Les tentatives d’amélioration

Face au problème de la disponibilité des matériels, les tentatives se multiplieront pour améliorer la situation autour de deux axes.

Le premier axe est celui de la modernisation des processus. L’effort le plus notable a été la « Mission de modernisation du MCO Aéronautique » confiée par Michelle Alliot-Marie à Louis-Alain Roche. A la tête de la SIMMAD, de brillantes personnalités, n’ont pas non plus ménagé leurs efforts pour la faire progresser malgré les réticences au sein des armées4.

Le deuxième axe visait à rapprocher acquisition et soutien, comme l’ont fait les Britanniques à la fois pour une meilleure cohérence technique et pour une meilleure cohérence d’action vis-à-vis d’une industrie ravie de l’acharnement du ministère à rester curiacé.

La SIMMAD ayant été créée en 2000, la première tentative de prise en compte du soutien dans les programmes d’armement date de 2004. Elle ne franchira pas le jalon de l’inscription dans la 1514. Nouvelle tentative en 2009 avec une feuille de route EMA-DGA puis l’instruction 1516 de 2010. Une dynamique s’engage. Il faudra moins de 6 mois aux organismes concernés pour l’enrayer. Nouvelle tentative en 2014 avec une nouvelle feuille de route EMA-DGA. Nouvel échec. Entre, à deux reprises, la DGA a proposé de reprendre les activités de MCO avec les réactions que l’on imagine. « Chacun chez soi » reste donc la règle.

L’outil dont personne ne veut : le coût global.

En 2005, EMA et DGA réussissent à fédérer dans un texte unique les « instructions 800 » par armée qui déclinaient l’instruction 1514 sur la conduite des programmes d’armement. Il indique « L’objectif de la maîtrise du coût global est de réduire le coût des opérations par l’évaluation et la caractérisation en terme financier de toute décision prise durant le cycle de vie du système. ». La principale réticence est qu’en matière de maintenance il faut déclarer les coûts de personnels, ce qui ne sera jamais admis. L’instruction 1516 codifiera ce que l’on doit mettre dans ce coût global. Restons lucide. Décider aujourd’hui d’un programme en ayant estimé ce que coûtera son soutien et l’infrastructure associée n’est pas encore acquis.

A la décharge du ministère, dans toute l’action publique, budgets et effectifs constituent toujours deux données politiquement distinctes.

La technique nous sauvera-t-elle ?

De la maintenance prédictive à l’impression 3D en passant par l’intelligence artificielle pour gérer la maintenance, à en croire certains auteurs, l’innovation transformera le MCO aéronautique en vallée de roses. Hélas, les rosiers ont des épines avant d’avoir des fleurs. Les problèmes de demain s’appellent « propriété des données », « autonomie de l’Etat », « compétence de l’acheteur public ». Dans le MCO, le problème n’est jamais celui du premier contrat, le véritable enjeu est son renouvellement dans de bonnes conditions.

Le premier problème du MCO aéronautique militaire est un problème de management. La technique peut rendre certains problèmes de management caducs. Ainsi, elle nous a libéré du problème de gestion de la documentation associée aux aéronefs. La testabilité des équipements nous a également soulagés de bien des problèmes de formation des personnels et de gestion des testeurs spécifiques.

En revanche, l’erreur la plus fréquente est de négliger la dimension humaine et les réticences du corps social dont on entend réformer l’activité. C’est comme si l’on parlait de réforme de la SCNF sans jamais évoquer les cheminots. Là, la technique devient dangereuse car elle crée l’illusion des solutions de demain qui permettraient d’économiser le courage managérial nécessaire aujourd’hui.

Et les autres pays ?

Le tableau brossé pouvant inciter au pessimisme, on suggèrera au lecteur de se reporter aux publications parlementaires ou d’autorités de contrôle de nos voisins. L’herbe n’est pas plus verte ailleurs.

« La technique ne permet pas... d’économiser le courage managérial »

En terme de résultats, les aéronefs de combat français sont engagés sur de multiples théâtres d’opération avec des résultats incontestables. Ils ne sont pas simplement « déployés ». Ils tirent. Comparer le volume des armements délivrés par le Rafale et le Typhoon serait particulièrement illustratif5 . Il serait également intéressant de comparer le nombre d’aéronefs projetés et la taille du parc dont les nations disposent. Bien que les données objectives soit rares, il semble également que les aéronefs français imposent des flux logistiques vers les théâtres plus modestes que bien d’autres aéronefs.

A quel coût les autres nations assurent-elles la disponibilité de leurs aéronefs ? La lucidité commande de dire que nous n’en savons rien. Comparer le coût de programmes d’armement est déjà extrêmement difficile. Il n’existe aucune étude sérieuse permettant de comparer sinon les coûts de soutien, au moins les coûts des contrats de soutien entre différents avions de combat. C’est dommage.

Et demain ?

Florence Parly a pris le sujet à bras le corps dès sa nomination. Une nouvelle équipe est en place. Elle a le soutien de la Ministre. La démarche en cours conduit à s’appuyer beaucoup plus sur l’industrie privée, en particulier en réduisant le foisonnement des contrats. Elle conduira indubitablement à des améliorations. De leur côté les armées font évoluer leurs structures et sont beaucoup moins réticentes à l’externalisation des soutiens d’autant qu’elles sont soumises à une forte pression opérationnelle et qu’elles ont leur propre dialogue avec les industriels. L’armée de l’air a relancé une réflexion sur son « niveau de soutien opérationnel », concrètement, les mécaniciens qui sont au pied des avions dans les unités.

Les verrous culturels se lèvent. La nouvelle équipe peut et doit réussir. Le véritable enjeu maintenant est l’adhésion de la communauté en charge du MCO dans les armées, adhésion qui a fait défaut aux équipes précédentes.

« A moins de faire table rase par la dictature ou la révolution, aucune institution ne peut être vraiment réformée si ses membres n’y consentent pas. » Charles de Gaulle, Mémoires d’Espoir

 

Les conditions de maintenance en opérations sont parfois rustiques ... mais cela a un coût en métropole

 

1 : Ce n’est que dans la décennie actuelle que les « Visites de Mise en Service » en vigueur dans l’aéronautique navale seront progressivement abandonnées.

2 : Encore aujourd’hui, les règles prévoient que certains aéronefs arrivés en vol au SIAé pour maintenance doivent faire l’objet d’un « vol de constat » pour vérifier leur état réel.

3 : Déficit inférieur à 60% du PIB...

4 : Le code de la défense disposait que la SIMMAD était un service de soutien or, le code dispose également que « Les services de soutien sont subordonnés au commandement... ». En substance, s’agissant de maintenance réalisée par les armées, la maîtrise d’ouvrage était réputée subordonnée à la maîtrise d’œuvre.

5 : On pourrait également comparer les volumes de munitions tirés par les hélicoptères Tigre de l’ALAT et Apache de la RAF pendant l’opération Harmattan en Lybie.

    
Patrick Dufour, IGA, contrôleur général des armées en mission extraordinaire
 
X77, Sup’Aéro, auditeur du CHEAr, de l’IHEDN et du CHEM, Patrick Dufour a débuté au centre d’essais des propulseurs puis a consacré vingt ans aux programmes aéronautiques. Il a été directeur des programmes Mirage 2000 puis Rafale. Il a servi à l’état-major de l’armée de l’air et dirigé le service du maintien en condition opérationnelle de la DGA puis le service industriel de l’aéronautique. Il est contrôleur général des armées en mission extraordinaire depuis septembre 2016. 
 

 

Auteur

Articles liés par des tags

Commentaires

Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.