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01 février 2017

RISQUES BIOLOGIQUES ET CHIMIQUES EN VITICULTURE

Une jolie vigne pour un bon rendement et une belle qualité
Seize ans après notre installation dans le vignoble bordelais, les paroles rassurantes de mon conseiller viticole résonnent encore à mes oreilles : « Tu peux acheter cette propriété sans crainte car elle est bien entretenue : les feuilles sont vertes, pas de maladies, pas de ravageurs, le sol est bien désherbé et bien nourri par les engrais ; tu feras le rendement ! »
En 2001, pour obtenir un tel résultat, un bon vigneron bordelais avait besoin de l’aide précieuse, jugée indispensable, des produits chimiques communément appelés pesticides. Il était courant de traiter et de désherber sans discernement pour soigner sa vigne et augurer d’un bon rendement. Les vignes représentent 3,7 % de la surface agricole française et consomment 14 % des pesticides utilisés. Cherchez l’erreur !

Les pesticides, au service d’un bon rendement… mais source d’une dépendance excessive
Dérivé de l’anglais « pest » (ravageurs) et de « cide » (tuer), le terme pesticide regroupe l’ensemble des substances utilisées pour prévenir, contrôler ou éliminer les organismes jugés indésirables. Majoritairement utilisés en agriculture, ils sont classés par type d’usage : herbicides, insecticides, fongicides (contre les champignons comme le mildiou ou l’oïdium) ou encore engrais. La plupart de ces pesticides, plus noblement appelés produits phytosanitaires, sont des molécules organiques de synthèse : plus de 500 substances actives entrent dans la formulation de près de 3 000 produits commercialisés. Ceux-ci bénéficient d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) après une procédure d’évaluation du risque pour le consommateur, l’utilisateur et l’environnement. Ainsi, si régulièrement des substances sont interdites à l’usage, parallèlement de nouvelles substances sont autorisées. Contribuant à l’essor considérable des rendements de la production agricole ces cinquante dernières années, les pesticides ont aussi constitué un progrès pour la santé publique dans leur élimination de certains insectes vecteurs de maladies. Faciles d’accès et d’emploi, ils se sont révélés très efficaces pour lutter contre les mauvaises herbes, champignons ou insectes nuisibles. Ainsi de 1945 à 1985, leur consommation a doublé tous les dix ans, la France devenant le troisième consommateur mondial de pesticides et le premier utilisateur en Europe.
Rendant ainsi de fiers services à la production agricole, les pesticides nous ont cependant entraînés dans une dépendance excessive à leur usage qui porte atteinte à l’environnement et à la santé des hommes.

« RENDANT AINSI DE FIERS SERVICES À LA PRODUCTION AGRICOLE, LES PESTICIDES NOUS ONT CEPENDANT ENTRAÎNÉS DANS UNE DÉPENDANCE EXCESSIVE À LEUR USAGE QUI PORTE ATTEINTE À L’ENVIRONNEMENT ET À LA SANTÉ DES HOMMES »

Les pesticides induisent de nombreux risques pour l’homme et l’environnement
Emportés par les eaux de ruissellement, diffusés dans les eaux souterraines, volatilisés dans l’atmosphère ou stockés dans les sols, les pesticides se retrouvent dans de nombreux écosystèmes et dans les aliments.
Bien qu’au départ utilisés contre un nuisible, leur cumul tout au long de la chaîne alimentaire et dans l’environnement peut présenter des risques pour l’homme ou les êtres vivants à court ou long terme. Dès 1962, la biologiste américaine Rachel Carson tire pour la première fois la sonnette d’alarme en démontrant l’effet délétère des pesticides (en particulier du DTT, insecticide interdit en 1972) sur l’environnement, les oiseaux et certains batraciens, provoquant aussi des difficultés de reproduction d’invertébrés.
Agriculteurs, écoliers, cyclistes, consommateurs, environnement : personne ne peut se soustraire aux dangers des pesticides ! Les professionnels, agriculteurs, viticulteurs ou concepteurs en manipulant, pulvérisant ou respirant ces produits, se retrouvent les premiers exposés et forment la catégorie la plus à risques et la plus surveillée. Les impacts d’une contamination accidentelle massive sont connus : cela passe de l’irritation cutanée à l’atteinte du système nerveux central.
Mais on ne cerne pas encore bien les effets d’une contamination chronique. L’évaluation de l’impact sanitaire s’avère délicate car les doses absorbées sont souvent faibles et il est nécessaire de les étudier sur le long terme. D’autant plus que l’on n’ingère pas qu’un seul type de pesticide ! Les scientifiques s’attachent actuellement à mesurer l’effet « cocktail », c’est-à dire l’effet combiné de pesticides de familles chimiques différentes et aux effets toxicologiques distincts. L’Inserm a publié en 2013 une synthèse basée sur trente ans de travaux épidémiologiques et toxicologiques, menés sur une population professionnelle. Le rapport met en évidence une quinzaine de pathologies induites par une exposition aux pesticides : maladie de Parkinson, lymphome non hodgkinien, cancer de la prostate ou myélome multiple (sorte de cancer du sang). Il existe aussi des preuves assez fortes pour les leucémies, la maladie d’Alzheimer ou autres troubles cognitifs.
Les riverains, habitants voisins de domaines agricoles peuvent eux aussi être contaminés soit par voie respiratoire ou par voie cutanée (par aspersion directe ou le plus souvent en touchant les plantes traitées). Ceux qui vivent à moins de 250 mètres des ceps traités portent en moyenne trois résidus de pesticides dans leurs cheveux. Ces travaux montrent que les pesticides passent la barrière placentaire et que les enfants, exposés in utero, peuvent en subir les conséquences (tumeurs cérébrales, leucémies, malformations congénitales ou encore troubles neuro-développementaux).


Moins de pesticides, mais plus de travail : Stéphane sur son tracteur


Et les consommateurs ? Les pesticides pénètrent dans les sols, mais aussi et surtout dans les plantes, fruits et légumes qu’ils traitent. C’est donc en mangeant des aliments traités que les consommateurs se retrouvent aussi exposés. Concernant le vin, à l’issue de la fermentation alcoolique, les résidus de pesticides sont mesurés à un niveau bien nettement plus faible que pour les fruits et légumes… Mais cet argument, acceptable en 2001, l’est-il encore aujourd’hui où le danger des perturbateurs endocriniens est mis en avant ? Pour ces derniers, le débit de dose infime peut être plus dangereux qu’une dose importante. Le risque dépend aussi de la période à laquelle on se retrouve imprégné. La grossesse et l’enfance jusqu’à la fin de la puberté sont des moments où il faut être particulièrement vigilant, ce qui est au moins cohérent avec la recommandation faite aux femmes enceintes et aux enfants de ne pas consommer d’alcool !
Même s’il reste difficile d’avoir une idée claire sur les risques encourus par le consommateur, les études réalisées en 2013 par l’Institut de veille sanitaire démontrent néanmoins que la population française est largement imprégnée par certains pesticides (organophosphorés et pyréthrinoïdes).

« L’AGRICULTURE RAISONNÉE EST UNE DÉMARCHE QUI PREND EN COMPTE LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT, LA SANTÉ ET LE BIEN-ÊTRE ANIMAL »

La balance bénéfices-risques induit aujourd’hui un changement profond de comportement
Alors que faire pour se protéger ? Comment maîtriser ces risques ? Quelle démarche environnementale adopter ?
L’usage excessif et systématique des produits phytosanitaires est remis en cause bien sûr pour ses atteintes graves aux écosystèmes (terre, air, eau, plantes) et à l’homme, mais aussi du fait du développement de résistances aux pesticides des maladies ou insectes (phénomène comparable à celui constaté chez l’homme pour les antibiotiques vis-à-vis de certaines bactéries).
Dès les années 80, l’INRA s’est tourné vers les recherches autour de nouveaux modèles agricoles. L’agriculture raisonnée est une démarche qui prend en compte la protection de l’environnement, la santé et le bien-être animal. Le concept se rapproche de celui d’agriculture intégrée utilisé hors de France. Son principe central est d’optimiser le résultat économique en maîtrisant les quantités de produits utilisés (les intrants). Réglementée depuis 2002 par les pouvoirs publics, la certification « agriculture raisonnée » a été abrogée en 2013 au profit de la certification environnementale, dont le niveau le plus élevé est le label agriculture à Haute Valeur Environnementale (HVE). Son référentiel met l’accent sur la maîtrise des risques sanitaires, la santé et la sécurité au travail. Parallèlement, le plan Écophyto 2018, l’une des mesures proposées par le Grenelle de l’environnement fin 2007, a pour objectif de réduire de 50 % l’utilisation de pesticides en France d’ici à 2018. Le résultat ne sera sans doute pas au rendez-vous, mais la tendance est lancée.
Une formation diplômante (Certiphyto) est maintenant obligatoire pour acheter et utiliser ces produits de traitement. Des mesures simples se mettent également en place : l’installation de haies ou de filets brisants, des distances minimale de pulvérisation, l’interdiction de pulvérisation lorsque le vent est fort, l’amélioration des équipements de protection individuelle pour les salariés agricoles, l’utilisation de panneaux récupérateurs (pulvérisation confinée qui réduit de 40 % la quantité de produits utilisée).


Le vignoble

Mais pourquoi continuer à traiter la vigne et le vin ?
Il est clair que les herbicides pourraient être totalement supprimés, comme nous l’avons fait dans notre propriété et comme le faisaient nos anciens. Ce ne sont que des considérations économiques qui retardent le processus, le travail du sol à la charrue ou à la décavaillonneuse coûtant quatre fois plus cher qu’un passage de désherbant !
De même, les insecticides peuvent être très diminués, voire également supprimés, si l’on accepte un feuillage légèrement endommagé. La lutte contre les ravageurs de la vigne (Cochylis, Eudémis, araignées) peut se faire, non pas en les détruisant, mais en maîtrisant leur population, grâce à l’action de la faune auxiliaire revigorée par la présence de l’herbe (coccinelles, typhlodromes, abeilles) ou par confusion sexuelle.
Les engrais eux aussi peuvent être choisis avec plus de respect pour l’environnement (organique, marc de raisin, fumier, purin d’orties…). En revanche, les fongicides sont beaucoup plus difficiles à supprimer car sans protection, à Bordeaux par exemple, la vigne ne produirait certaines années presque aucun raisin ! Les maladies cryptogamiques, mildiou et oïdium, peuvent attaquer ou détruire toutes les feuilles et les grappes du vignoble, si les conditions météorologiques sont propices (chaud et humide). Le choix des matières actives, leur dosage ainsi que le nombre de traitements représentent les variables d’ajustement.
Parallèlement, la vinification et l’élevage du vin peut plus facilement se prêter à une meilleure maîtrise de la quantité d’intrants pour revenir à un produit moins standardisé et plus naturel ; en particulier le plus dangereux et allergène -  mots de tête ou crampes  - d’entre eux le sulfi te, destiné à éviter toute déviation bactérienne. A noter cependant qu’une déviation bactérienne aura pour effet de modifier l’arôme et le goût du vin mais jamais de le rendre dangereux - sauf abus d’alcool - pour le consommateur car aucune bactérie dangereuse (listeria, salmonelle, escherichia coli…) ne pourra se développer dans ce milieu alcoolique et acide (pH entre 3,2 et 3,8).
Pour le guider dans cette démarche, à côté de la démarche Haute Valeur Environnementale, il existe :
- le label Terra Vitis, intégrant des spécifications issues du label HVE et de l’agriculture durable et entièrement dédié à la vigne et au vin ;
- le label bio limitant l’emploi des pesticides à ceux qui sont répertoriés dans le tableau de classification périodique des éléments de Mendeleïev (comme la bouillie bordelaise à base de cuivre ou le soufre) ; le label limite également les quantités d’intrants dans le vin (levures, enzymes, sulfi tes, acides…) ;
- le label biodynamie, dont le cahier des charges est inspiré du bio et dont la méthode fait appel à des pratiques, mêlant écologie (traitement par des plantes) et spiritualisme, et utilisant des rites ésotériques, fondées sur l’influence des forces cosmiques, dont la lune, et terrestres sur la vie organique de la terre ;
- le label vin naturel, issu d’une vigne en biodynamie et qui interdit tout intrant dans le vin, dont le sulfite.
Que de progrès réalisés dans l’utilisation des pesticides par la filière viti-vinicole depuis notre installation en 2001 ! Les risques sont mieux identifiés. Il faudra du temps pour mieux les maîtriser mais la démarche est engagée. Il en va de la santé des professionnels et des consommateurs et de la sauvegarde de notre patrimoine environnemental. A titre personnel, nous nous sommes engagés dans la démarche à Haute Valeur Environnementale et plus spécifiquement Terra Vitis. Cet engagement ne pouvait se faire sans un minimum de connaissance, de compétence et d’appétence. Cette mutation va prendre quelques années… mais elle est nécessaire et inéluctable !

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