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23 octobre 2023

L’ÉNERGIE, UNE DIMENSION DU CAPACITAIRE
LA FIN DE L’OR NOIR

Publié par Fabien Michelin, ingénieur docteur | N° 130 - ENERGIES

Alors que le point culminant de la demande en énergie fossile se matérialise, l’Occident entame, à coup de feuilles de route bas carbone, sa mue énergétique. Dans le même temps, les secousses géopolitiques, en particulier en Europe de l’Est et en Afrique, engendrent des tensions et une flambée des prix, éclairant les vulnérabilités. Les énergies fossiles seront de plus en plus chères, de plus en plus décriées aussi. Les chaînes logistiques de fourniture d’énergie, sous des formes diverses, seront d’une complexité croissante et la vision à long terme de la DGA sera un atout fondamental pour leur maîtrise.


Les besoins énergétiques militaires, de surcroît opérationnels, ont longtemps reposé sur le paradigme d’un carburant unique, accessible partout dans le monde et pour un coût raisonnable. Les énergies bas carbone candidates portent une même ambition : abaisser l’empreinte carbone, au détriment, néanmoins, d’une efficacité énergétique globale en retrait, tant au niveau de la densité énergétique finale véhiculée qu’au niveau des processus de transformation amont, très énergivores.

Cette attrition est alors rendue acceptable par le recours à une énergie électrique primaire décarbonée portée par le pari d’énergies renouvelables massivement déployées. Une contrainte dont le monde civil pourra peut-être se satisfaire, mais qui pose pour le monde militaire la question, à terme, de l’impact sur les performances opérationnelles : régression des performances intrinsèques, baisse de l’autonomie/rayon d’action, logistique complexe, coût plus élevé et nouvelles dépendances minérales, le lithium, le platine ou le cobalt succédant à l’or noir.

Malgré ces contraintes, il est illusoire de considérer que le monde militaire pourra s’exclure de cette tectonique énergétique. Les mouvements de fond sont déjà engagés, qu’ils résultent d’une dynamique règlementaire ou de tensions d’approvisionnement déjà palpables. A ce titre, la réglementation environnementale européenne ne marque pas de pause, comme en témoigne la fin prévue des motorisations thermiques dans l’UE fixée à 2035, et le projet de règlement européen « ReFuelEU Aviation », actuellement en discussion, qui fixera les obligations d’incorporation de carburant d’aviation durable (SAF) d’ici à 2050.

« LA DGA S’ATTACHE À ANTICIPER CES ÉVOLUTIONS »

La disparition des motorisations thermiques fait peser un risque d’obsolescence important pour les plateformes militaires terrestres, ces technologies étant fortement duales. Certes, cette mesure ne concerne pas, pour le moment, les véhicules routiers et véhicules spéciaux dont font partie les véhicules militaires. Elle prévoit également la possibilité de maintenir le recours à des motorisations fonctionnant aux carburants synthétiques durables. Pour autant, il est observé, en Europe, un très fort intérêt vers l’électrification des propulsions. Il semble peu probable que les quelques usages de niche puissent permettre le maintien des investissements et des lignes de production industrielle en Europe, avec un impact à craindre sur le MCO.

La voie hydrogène, incluant les carburants hydrogénés, se déploie en parallèle. Elle pourrait devenir une alternative crédible pour le transport routier lourd ou maritime. Elle est cependant associée à des contraintes fortes qui pourront nuire aux performances attendues dans les emplois militaires (autonomie réduite, enjeux logistiques et de sécurité importants). Elle ne représente cependant pas une solution crédible pour l’aéronautique, de surcroît militaire. Les grands avionneurs axent la décarbonation de leurs plateformes en misant sur le SAF, l’avion électrique à hydrogène n’étant possible que pour de petits aéronefs régionaux. La capacité des filières biosourcées à fournir les volumes attendus est par ailleurs largement mise en doute.

Le e-carburant, carburant synthétisé à partir d’hydrogène vert, qui devient un vecteur intermédiaire, et d’une source de CO2 capté, apparaît ainsi comme une technologie clé pour accompagner cette transition, mais nécessitera de fortes capacités de production électrique décarbonées. Ceci soutient le renouveau du nucléaire en France, notamment dans le domaine des réacteurs de petites puissances de type SMR et MMR.

" LE MINARM REPRESENTE 0,5% DE LA CONSOMMATION D'ENERGIE NATIONALE "

A ce titre, le MINARM représente 0,5% de la consommation d’énergie nationale, dont les 2/3 sont liés au carburéacteur destiné à l’armée de l’air et à l’aéronavale. Si l’approvisionnement énergétique sur le territoire national ne semble pas menacé à court terme, la baisse prévue des ressources disponibles, conjuguée à une forte inflation des prix, pourrait militer pour le développement d’une capacité autonome de fabrication de carburants synthétiques, à usage domestique ou mobile, pour couvrir tout ou partie des besoins en carburant.
Si la question de la mutation des énergies primaires est problématique pour le monde militaire, l’électrification de l’énergie finale est une opportunité qui permettra d’apporter une réponse à l’un des défis des armées : l’accroissement des besoins en énergie électrique liés à l’emploi de nouveaux systèmes d’armes à travers la digitalisation, l’emploi de l’IA, les armes à énergie dirigée, le canon électromagnétique, les drones et robots, ou plus prosaïquement pour les besoins de plus en plus massifs en énergie de bord des plateformes et pour soutenir les fonctions C4ISR. Ces usages portent un fort besoin en termes de puissance électrique, alors même que le couple historique moteur thermique/alternateur plafonne. Au demeurant, les enjeux techniques associés sont nombreux: militarisation des batteries de puissance, dimensionnement des réseaux de bord, management de l’énergie, survivabilité ; ils doivent être appréhendés.

La transition énergétique des plateformes militaires ne sera pas une transposition des solutions sur étagère civiles. Les performances d’emploi d’un véhicule de tourisme électrique optimisé pour être utilisé selon un scénario d’usage bien borné, n’est, par exemple, pas comparable à un véhicule militaire parcourant annuellement un nombre limité de kilomètres en environnement sévère.

Une démarche d’analyse coût/bénéfice/risques/objectifs doit être implémentée, au cœur des opérations d’armement, à la fois dans les réflexions capacitaires amont, dans la sélection des architectures candidates et en termes de captation et adaptation des innovations duales.

Dans le domaine capacitaire, la multiplication des vecteurs énergétiques primaires sur les théâtres opérationnels et l’électrification des besoins imposent une réflexion d’ensemble englobant les enjeux de logistique, d’infrastructure et moyens supports, de ressource RH et de MCO, et nécessiteront la revue des concepts d’appui au déploiement et d’appui au stationnement. Ce champ de bataille électrique nécessitera, au-delà de la question de la capacité autonome de production d’énergie primaire, de revoir en profondeur la distribution énergétique, auparavant purement pétrolière du berceau à la tombe, pour intégrer des technologies de réseaux intelligents (smart grid), des moyens de stockage tampons et l’interface camp/système d’armes dans un environnement tactique contraint et disputé.

En terme d’architecture, la DGA développe à travers le projet technique de défense GENOPTAIRE un outil d’assistance à maîtrise d’ouvrage permettant d’identifier les meilleures architectures énergétiques pour une plateforme et un profil de mission considérés, en orientant le bon niveau de réponse technologique par rapport aux fonctions recherchées.

En termes d’innovation, la stratégie de captation et d’adaptation doit être réalisée selon un momentum opportun dans un contexte très concurrentiel entre les filières, et où les investissements privés et étatiques massifs ne sont pas un gage de passage à l’échelle. Ainsi, l’hybridation des motorisations terrestres, en vogue il y a encore quelques mois, est aujourd’hui balayée par la rationalisation des gammes vers le tout électrique, portée par des infrastructures de recharge de plus en plus denses et performantes. Au-delà de l’évaluation de la maturité des technologies duales et de faisabilité de leur implémentation dans un environnement opérationnel, la démarche d’innovation doit aussi s’attacher à éclairer les bénéfices opérationnels associés. Ainsi, le soutien de l’AID au développement des drones de contact à hydrogène participe à l'accroissement de leur autonomie. La réalisation d’un démonstrateur de Griffon hybride permettra, en 2025, d’évaluer l’intérêt de ces nouvelles architectures en termes de réduction de la consommation carburant mais aussi d’accroissement des capacités de veille silencieuse et d’approche de zone discrète via une mobilité tout électrique sur quelques kilomètres.

Ainsi la transition énergétique renforce le rôle de l’énergie opérationnelle, jusqu’ici réduite à un rôle de servitude.
La multiplication à venir des filières, des flux, des approvisionnements, sera un vecteur de complexification pour les opérations. Le rôle de la DGA sera alors de garantir la capacité des plateformes à employer ces nouveaux carburants en accentuant la versatilité des systèmes de propulsion. Cette mutation représente néanmoins une opportunité pour répondre aux besoins des armées, et est de nature à réduire nos dépendances par une meilleure maîtrise de la chaîne de valeur énergétique. La DGA s’attache à anticiper ces évolutions en amont des opérations d’armement, en plaçant la dimension énergétique au cœur des réflexions capacitaires et industrielles.

Photo de l auteur
Fabien Michelin, architecte capacitaire énergie DGA/SASD

Ingénieur en matériaux, docteur en mécanique avancé, Fabien Michelin a rejoint la DGA en 2017 en tant qu’expert écoconception à la direction technique. Depuis 2021, il est architecte capacitaire énergie et technologies transverses au sein du service d’architecture du système de défense, en charge notamment de la déclinaison de la stratégie énergétique de défense dans la démarche capacitaire et au sein des coopérations européennes.

Auteur

Fabien Michelin, ingénieur docteur
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