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Projet ECOCAMP (EMA/SID) d’expérimentation de briques technologiques pour aller vers un camp autonome
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24 octobre 2023

LE SOUTIEN ENERGETIQUE DU FUTUR
LA LOGISTIQUE MILITAIRE S’APPUIERA SUR LE CIVIL, MAIS RESTERA UN CAS PARTICULIER

Publié par Luc Margotin - IGME et Samuel Borey - ICME | N° 130 - ENERGIES

L’énergie n’a quasiment jamais été un facteur limitant de premier ordre pour la planification et la conduite des opérations. Si la logistique carburant a pu parfois se révéler compliquée, la relative abondance des produits pétroliers a permis d’éviter que la logistique carburant soit une contrainte dimensionnante. Cependant la transition énergétique pourrait placer l’énergie au coeur des préoccupations des armées en opérations.


Des conditions d’accès à l’énergie de plus en plus difficiles

Rappelons tout d’abord que, pour des raisons logistiques, l’énergie est approvisionnée au plus près des forces. Les armées devant conserver leur aptitude à pouvoir intervenir en tous lieux, les systèmes d’armes doivent fonctionner avec les énergies disponibles partout dans le monde, comme sur le territoire national.

Or, la transition énergétique va induire peu à peu une divergence des sources énergétiques entre les pays les plus avancés (Europe, États-Unis…) et les pays en développement. L’exemple le plus emblématique est celui de la mobilité terrestre, très électrifiée en Europe mais qui continuera de s’appuyer sur des carburants fossiles dans de nombreux pays.

A cela s’ajoutera une compétition croissante pour l’accès aux ressources énergétiques, notamment pour les carburants d’origine fossile pour lesquels les compagnies pétrolières vont investir de moins en moins. Au final, la transition énergétique et l’accès rendu plus difficile aux carburants vont conduire à ce que l’énergie pourrait devenir un facteur limitant pour les opérations futures

Le carburéacteur, carburant opérationnel des trente prochaines années

Un point positif, qui fait désormais l’objet d’un large consensus, devrait nous permettre toutefois de passer le cap cette transition : le carburéacteur aviation (Jet A1), fossile dans un premier temps puis durable par la suite, perdurera pour opérer les vols commerciaux moyen et long-courriers. Ainsi, partout dans le monde, subsistera une logistique carburéacteur pour les aéroports internationaux, sur laquelle les armées pourront s’appuyer. La mise en œuvre de la politique du carburant unique fondée sur l’utilisation d’un seul carburant, le carburéacteur aviation, pour les matériels terrestres comme pour les aéronefs, permettra d’approvisionner l’ensemble des forces aéroterrestres quelle que soit leur zone d’intervention. Cette politique, mise en œuvre par l’OTAN dans les années 90, permet, outre l’intérêt logistique de ne déployer qu’une seule chaîne d’approvisionnement sur le champ de bataille, de disposer d‘un carburant aux spécifications exigeantes dont la qualité est garantie partout dans le monde.

Les systèmes d’armes qui seront développés dans les vingt prochaines années continueront donc d’être conçus sur la base de motorisations thermiques qui devront pouvoir fonctionner avec du carburéacteur.

Il n’en demeure pas moins que la ressource sera comptée et que son coût sera par conséquent de plus en plus élevé. Il existe peu de solutions hormis la sobriété et l’efficience énergétique des équipements pour limiter la demande en énergie. Sans remettre en question la nécessité absolue de garantir la supériorité opérationnelle de nos forces, ces principes devront néanmoins être dorénavant à l’esprit de tous les chefs militaires et acteurs du monde capacitaire.

D’autres difficultés sont également à appréhender, en liaison avec la base industrielle et technologique de défense : dans une France qui va peu à peu rompre avec les moteurs thermiques, aura-t-on encore la capacité à assurer le maintien en condition opérationnelle de nos équipements ? Nos industriels continueront-ils à entretenir des compétences spécifiques au profit des armées ? Disposera-t-on aisément des pièces détachées, de l’outillage, de la ressource humaine qualifiée pour les réparer et les entretenir ? Aussi, il nous appartient de réfléchir dès maintenant aux organisations et processus nous permettant de garantir la disponibilité des forces. <br>Centrale électrique hybride (thermique/solaire).

Centrale électrique hybride (thermique/solaire)

D’autres difficultés sont également à appréhender, en liaison avec la base industrielle et technologique de défense : dans une France qui va peu à peu rompre avec les moteurs thermiques, aura-t-on encore la capacité à assurer le maintien en condition opérationnelle de nos équipements ? Nos industriels continueront-ils à entretenir des compétences spécifiques au profit des armées ? Disposera-t-on aisément des pièces détachées, de l’outillage, de la ressource humaine qualifiée pour les réparer et les entretenir ? Aussi, il nous appartient de réfléchir dès maintenant aux organisations et processus nous permettant de garantir la disponibilité des forces.

L’impact des nouvelles technologies sur les futurs équipements

L’EMA et la DGA ont conduit plusieurs études prospectives afin d’évaluer l’intérêt des nouvelles technologies issues de la transition énergétique pour les applications militaires à l’horizon 2040. Les aspects techniques, les gains opérationnels potentiels et la soutenabilité logistique ont été analysés. Les risques liés à la disparition des technologies conventionnelles ont également été pris en compte.

A moyen terme :
- La propulsion des plateformes terrestres restera assurée par des moteurs thermiques, probablement hybridés. La propulsion hybride présente des opportunités en matière de mobilité et de survivabilité grâce à une diminution de la consommation, une veille silencieuse, un boost de puissance et une furtivité acoustique sur courte distance.
- Le besoin des aéronefs militaires en termes de compacité et de performance requerra toujours l’utilisation de carburants à très haute densité énergétique. Ainsi les futurs avions de combat, de transport et les hélicoptères fonctionneront encore avec du carburéacteur, qu’il soit d’origine fossile ou durable (jusqu’à 100 %).

- Dans le domaine maritime, les contraintes opérationnelles, logistiques et de sécurité des navires de guerre rendent la plupart des nouveaux combustibles (hydrogène, ammoniac, méthanol, GNL…) inadaptés à un usage militaire. Le gazole de navigation qu’il soit d’origine fossile ou durable restera l’énergie des bâtiments de 1er rang.

- Bien que son usage pour les plateformes militaires majeures reste exclu à ce stade (considérations techniques et logistiques), l’hydrogène pourrait devenir une source d’énergie intéressante pour certaines applications spécifiques (drones avec des profils de mission particuliers, stockage d’électricité sur les camps, génération autonome d’électricité pour les unités isolées).

- Enfin, les énergies renouvelables pourront contribuer à la production d’énergie des camps en phase de soutien au stationnement, mais également sur le territoire national pour limiter la consommation énergétique et gagner ainsi en résilience.

A plus long terme :
Le potentiel des technologies small et mini modular reactor (SMR/MMR) doit être évalué : autonomie énergétique d’un centre opérationnel, d’un camp projeté, fabrication de e-fuel à partir d’une plateforme marine sont autant de pistes qui pourraient faire de cette technologie un véritable game-changer énergétique.

Enfin, une veille technologique continue est indispensable car c’est bien du secteur civil que viendront les solutions qui permettront aux armées de s’adapter aux futurs défis énergétiques.

Le management de l’énergie, outil de commandement des chefs militaires

On l’aura bien compris, l’énergie va devenir un élément structurant du combat du futur. La supériorité énergétique sera un des facteurs clés qui permettra au chef militaire de remporter la victoire. Il lui importera par conséquent de mesurer et de maîtriser sa consommation d’énergie, de connaitre les ressources énergétiques de l’ennemi pour pouvoir les détruire ou les neutraliser. Pour ce faire, il devra disposer des compétences et des outils nécessaires, de nouvelles capacités de renseignement et de modes d’actions à inventer.

Photo de l auteur
Luc Margotin, IGME, Etat-major des armées

Saint-Cyrien (90-93), diplômé de l’IFP School (2002), après une première partie de carrière dans l’armée de terre, il a rejoint le service des essences des armées en 2002. Il a occupé des postes de commandement et d’expertise dans les domaines des produits pétroliers et des ressources humaines.

Photo de l auteur
Samuel Borey, ICME, Etat-major des armées

Saint-Cyrien (95-98), diplômé de l’IFP School (2008), après une première partie de carrière dans l’armée de terre, il a rejoint le service des essences des armées en 2008. Il a occupé des postes de commandement et d’expertise dans les domaines des produits pétroliers et du maintien en condition opérationnelle.

Auteurs

Luc Margotin - IGME
Samuel Borey - ICME
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