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01 mars 2018

MBDA, UN MODÈLE ORIGINAL D’INTÉGRATION INDUSTRIELLE POUR L’INDUSTRIE DE DÉFENSE EUROPÉENNE

 

A l’heure où l’Union européenne parle enfin d’autonomie stratégique et de souveraineté européenne et encourage le développement d’une base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), il apparait intéressant de présenter la société de défense européenne la plus intégrée, MBDA, qui répond au mieux aux objectifs tels qu’affichés par l’Union européenne dans le domaine de la défense, à savoir constituer un champion européen capable de proposer aux forces européennes des équipements de défense critiques de souveraineté (les systèmes de missiles)1.


 

La genèse – la création de MBD

Dans les années 90, de nombreux pays européens disposaient de un (Norvège) voire de deux sociétés missilières (BAe Dynamics et GEC Dynamics en Grande-Bretagne, Matra Défense et Aérospatiale missiles en France, …). Après une période de développement très importante initiée dans les années 70, la situation devint de plus en plus difficile pour ces entreprises comme pour toutes les entreprises de défense européenne devant la baisse importante des budgets de défense après la chute du mur de Berlin.

La situation de BAe Dynamics était même critique et son espoir de rebond passait alors par une alliance avec un autre missilier européen. Après l’échec du rapprochement avec Thomson-CSF (EuroDynamics), une perspective d’alliance se profilait avec Matra Défense au milieu des années 90. En effet, après une période d’achats sur étagère de missiles le plus souvent étrangers, le client britannique prévoyait alors d’acquérir les missiles destinés à équiper l’Eurofighter. Si ces missiles ont tous fait l’objet d’une compétition internationale, il était clair que le souhait britannique était de pouvoir bénéficier d’armements souverains pour l’Eurofighter, développé par l’industrie européenne et dont les importantes perspectives d’exportation devaient être préservées.

Ce souhait britannique s’est concrétisé pour la première fois par la décision de retenir en 1994 l’offre ASRAAM de BAe Dynamics contre le MICASRAAM proposé par GEC Dynamics en association avec Matra Défense.

La compétition CASOM pour le missile de croisière fut l’élément décisif au rapprochement entre BAe Dynamics et Matra Défense. BAe Dynamics avait pu mesurer la force de l’offre MICASRAAM qui reposait largement sur les acquis du missile MICA de Matra Défense et comprit que l’expérience de Matra Défense dans le domaine des missiles de croisière acquise grâce au développement du missile Apache pouvait constituer un atout important dans la compétition CASOM. Matra Défense était donc un partenaire de premier plan pour BAe, non seulement pour gagner la compétition CASOM mais également pour une alliance stratégique.

De son coté, Matra Défense avait compris l’importance de s’associer avec BAe Dynamics, champion britannique confirmé par le gain de l’ASRAAM, pour remporter la compétition CASOM. Par ailleurs, Jean-Luc Lagardère et Noël Forgeard avaient compris que le temps de la consolidation industrielle européenne était venu et avaient retenu le groupe britannique BAe comme partenaire de choix (similitude des politiques britannique et française de défense, d’exportation et d’investissements de défense). Ila avaient donc clairement indiqué aux autorités britanniques leur proposition de fusion de Matra Défense avec BAe Dynamics. Cette proposition de fusion était enfin assortie d’une condition claire, à savoir le gain de la compétition CASOM2, la fusion étant jugée sans intérêt s’il n’y avait pas au moins un programme en coopération permettant de faire travailler ensemble les équipes françaises et britanniques du futur ensemble. Si les autorités françaises soutenaient sans difficulté cette proposition de rapprochement, les autorités britanniques avaient également compris la nécessité pour BAe dynamics, alors en grande difficulté, de se renforcer en fusionnant avec un grand missilier européen.

C’est ainsi que le contrat Storm Shadow fut accordé en juillet 1996 à BAe Dynamics en association avec Matra Défenseet que la société MBD (50% Lagardère, 50% BAe) fut créée en août 1996.

De MBD à MBDA

Toute fusion industrielle connait des premières années difficiles. Celles de MBD furent encore plus complexes car nous construisions pour la première fois en Europe une fusion industrielle dans le secteur de la défense, entre deux industriels de nationalité différente, sur une base actionnariale paritaire et dans un secteur souverain.

Après l’euphorie de la victoire dans la compétition CASOM, la société MBD dut faire face à une triple méfiance de fait : la méfiance de ses clients domestiques, de ses actionnaires et même de ses salariés qui chacun souhaitait voir son « camp » (français ou britannique) l’emporter sur l’autre, compte tenu notamment de la structure actionnariale paritaire. Cette situation était en partie due à l’organisation retenue à l’époque au sein de MBD : une organisation basée sur des entités nationales fortes avec une structure intégrée limitée4. S’il n’était pas réaliste d’envisager dans les premières années une autre organisation pour MBD, il était clair que celle-ci ne favorisait pas l’intégration entre les équipes opérationnelles françaises et britanniques. Seul le programme Scalp EG / Storm Shadow échappait à la règle et reposait sur une organisation programme et technique réellement intégrée et dirigée alors par Didier Evrard et Dave Armstrong.

Finalement, après plusieurs années de tension interne, deux évènements majeurs permirent de sortir de ce statu quo et de reprendre la marche en avant vers le renforcement de MBD et la transformation vers MBDA.

Ce fut tout d’abord le succès du développement du programme Scalp / Storm Shadow dont le système (missile / intégration avion / préparation de mission) fut livré six ans plus tard à la Royal Air Force et connut ses premiers succès opérationnels lors de la seconde guerre du Golfe en 2003. Ce programme fut effectivement livré conformément aux spécifications initiales, dans les délais et pour un budget moindre que le budget initialement prévu. Ce fut donc la démonstration par l’exemple que les équipes opérationnelles françaises et britanniques pouvaient travailler ensemble de façon très efficace dans une organisation projet commune.

Missile Scalp-EG sous Rafale

Ce fut également l’arrivée de la troisième consultation lancée par la Royal Air Force pour l’équipement de l’Eurofighter : le missile air-air d’interception longue portée dont l’importance stratégique exigeait la mobilisation de l’ensemble de la société pour l’emporter face à la concurrence américaine. Cette consultation fit l’objet d’une féroce et fut finalement remportée par le missile Meteor de MBD, maitre d’œuvre associé à l’italien Alenia Marconi Systems, l’allemand LFK/Bayern Chemie, l’espagnol Inmize et au suédois SAAB.

Ces deux évènements concomitants conduisirent alors en 2001 à la création de MBDA, résultat de la fusion entre MBD, Aérospatiale Missiles5, AMS6 et LFK7, qui, à l’instar de ce que fit MBD lors du programme Storm Shadow / SCALP, permit le pilotage parfaitement réussi du développement très complexe du missile Meteor8.

Missile Meteor sous Rafale

La consolidation de MBDA

A sa création au début de la décennie 2000, MBDA était donc le résultat de la consolidation industrielle de six missiliers nationaux et se trouvait en charge du développement des systèmes de missiles majeurs au niveau européens et notamment les coopérations européennes avec le missile de frappe dans la profondeur Scalp / Storm Shadow, le missile d’interception longue portée Meteor et le système de défense aérienne naval et terrestre Aster franco-italien auquel s’était rallié la Grande-Bretagne en 1998.

Systèmes Aster naval et terrestre

Il convenait alors de digérer au mieux cette fusion entre ces six missiliers et de bâtir une organisation industrielle à même de piloter au mieux l’ensemble de ces programmes et notamment les trois programmes majeurs Meteor, Scalp et Aster. Sous la direction de Marwan Lahoud, MBDA s’est organisée en renonçant temporairement à l’organisation intégrée franco-britannique de MBD pour adopter une organisation par entité nationale, plus adaptée pour opérer les optimisations industrielles qu’il convenait de mener rapidement dans chacun de ses pays. En France, ceci aboutit principalement au regroupement des équipes de MBD et d’Aérospatiale Missiles en région parisienne sur le site unique du Plessis Robinson9, au transfert des activités de production mécanique et électromécanique du site de Salbris vers le site de Bourges et au transfert des activités de production électronique du site de Bourges vers le site de Matra Electronique (MEL) près de Compiègne.

A l’issue de cette phase de consolidation nationale qui fut également effective en Grande-Bretagne et en Italie, MBDA a repris en 2007 sa marche en avant vers une organisation industrielle intégrée avec la constitution d’un centre de profit unique au niveau du groupe MBDA (et non plus au niveau de chaque entité nationale) et des directions opérationnelles intégrant les équipes françaises, britanniques et italiennes.

L’intégration et la spécialisation de MBDA

Depuis 2007, MBDA fonctionne donc comme une entreprise de défense européenne intégrée sous l’autorité d’un management unique transnational piloté par Antoine Bouvier. Son objectif premier est d’être le partenaire de confiance de ses clients domestiques européens et responsable de la fourniture de capacités de défense souveraines : les systèmes de missiles.

Dans un premier temps, MBDA s’est donc efforcé de renforcer dans chacun de ses pays domestiques sa capacité autonome à fournir les systèmes de missiles répondant aux besoins souverains de ses clients.

Cette relation a pris en Grande – Bretagne la forme d’un partenariat Etat – Industrie structuré, la « Team Complex Weapons » créée en 2006 et regroupant le client britannique, le maitre d’œuvre MBDA et sa chaine d’approvisionnement en Grande Bretagne (Qinetiq, Roxel et Thales). Ce partenariat s’est structuré autour d’un contrat cadre, le Portfolio Management Agreement, mis en place en 2010, et visant à satisfaire les besoins en systèmes de missiles des forces armées britanniques identifiés au cours de la décennie à venir. Ce partenariat  repose sur un dialogue ouvert et transparent entre le client et le maitre d’œuvre prenant en compte la flexibilité requise dans la satisfaction des besoins clients, les capacités budgétaires de ce dernier et le nécessaire maintien des compétences industrielles. Après une décennie d’existence, ce partenariat a été jugé suffisamment fructueux par le Client britannique pour qu’il fût renouvelé à deux reprises et soit toujours en vigueur aujourd’hui.

Cette relation a pris en France la forme d’un partenariat État – Industrie de même nature mais plus informel, la « Filière Missile » mise en place en 2011. Ce partenariat s’appuie également sur un dialogue transparent entre la DGA et MBDA permettant de présenter les besoins à satisfaire dans la décennie à venir et d’identifier collectivement le moyen optimum pour satisfaire ces besoins en prenant en compte les capacités budgétaires disponibles et les besoins de maintien des capacités techniques et industrielles de la filière missile. Là encore, après une première phase de 5 ans entre 2011 et 2015 qui vit le lancement des programmes de modernisation de l’Exocet (Exocet B3C), de l’Anti-Navire Léger (ANL) en coopération avec la Grande-Bretagne, du Missile Moyenne Portée (MMP) successeur du Milan et de la modernisation de l’Aster (Aster B1NT), la DGA a décidé de poursuivre ce partenariat réussi sur la période 2016 – 2020 autour des programmes ASMPA mi-vie, SCALP mi-vie, MICA Nouvelle Génération pour le Rafale F4 et la préparation du renouvellement de la frappe dans la profondeur FMAN/FMC10.

Enfin et de façon originale car mis en place en 2010 entre deux pays (France et Grande-Bretagne) et un industriel (MBDA) après la signature du Traité de Lancaster House, le partenariat « One MBDA » vise explicitement à renforcer la coopération franco-britannique dans le domaine des systèmes de missiles11 via notamment le développement des programmes en coopération (ANL/FASGW et FMAN-FMC /FCASW, …) et à permettre à MBDA de spécialiser plusieurs de ses activités industrielles en les concentrant en France pour certaines d’entre elles et en Grande-Bretagne pour d’autres12. Cette politique de mutuelle dépendance acceptée par les deux pays permet ainsi de réduire les doublons industriels et ainsi de renforcer la compétitivité de MBDA sur ses marchés domestiques et export.

Conclusion

Ayant su parfaitement regrouper et intégrer depuis 1996 six champions nationaux européens dans le secteur des systèmes de missiles, MBDA est aujourd’hui sans conteste le champion européen dans ce domaine et l’un des très rares industriels européens à être leader mondial à l’exportation et à faire jeu égal avec ses concurrents américains. Ce résultat démontre la solidité et l’efficacité du modèle MBDA qui a su devenir un partenaire de confiance reconnu de ses clients domestiques et renforcer ses performances sur le marché export. Au cours des années à venir, il conviendra de tout faire pour préserver cet acquis remarquable, potentiellement menacé par les impacts négatifs du Brexit qu’il conviendra de réduire au mieux dans l’intérêt commun des autorités britanniques, françaises et européennes, mais aussi de renforcer sa position en Europe via le développement de partenariats encore plus étroits avec ses clients allemands, italiens et espagnols et enfin en utilisant au mieux les dispositions de soutien de la BITDE en cours de mise en place par l’Union européenne.

 

Système de défense anti-aérienne bicouche Mistral / VL Mica

 
Olivier Martin, IGA
Après plusieurs années à la DGA comme Directeur du programme Mesures du Monge, puis officier de zone à la DRI, il occupe diverses responsabilités chez Matra Défense (Offsets, Business Development puis Programmes Anti-Surface). Après 5 ans chez EADS Cassidian, il rejoint MBDA en 2007 comme Secrétaire Général.
 

 

[1] Petite ironie de l’histoire, il convient de souligner que la volonté de l’UE de disposer d’une BITDE souveraine intervient après la décision de la Grande-Bretagne de quitter cette Union, alors que l’existence même de MBDA procède de la volonté britannique affichée en 1996 de disposer d’un champion national autonome dans le domaine des missiles tactiques.

[2] No Casom, no merge » déclarait alors Noël Forgeard aux autorités britanniques

[3] Les contrats Storm Shadow et Scalp EG ont été notifiés à MBD, respectivement en février et décembre 1997.

[4] La structure intégrée était alors limitée à la stratégie, la finance et au commerce export.

[5] Activités apportées à MBD en 2001 après la création du groupe Aerospatiale Matra en 1999

[6] Activités missiles d’Alenia Marconi Systems, regroupent les activités de GEC Marconi et d’Alenia Difesa

[7] Activités apportées à MBDA en 2005 après la création d’EADS entre Aérospatiale Matra et DASA en 2000.

[8] Le missile Meteor constitue encore aujourd’hui le missile le plus performant au monde dans cette catégorie et qui équipe aujourd’hui les trois principales plates-formes européennes avec l’Eurofighter, le Typhoon et le Gripen.

[9] Ces équipes parisiennes étaient réparties préalablement sur trois sites : Chatillon pour Aéropsatiale Missiles, Vélizy la Source et Vélizy le Bois pour MBD France.

[10] Futur Missile Anti-Navire / Futur Missile de Croisière

[11] « Nous allons travailler à la mise en place d’un maitre d'œuvre industriel européen unique dans le domaine des systèmes de missiles » Extrait de la déclaration commune franco-britannique lors de la signature du Traite de Lancaster House

[12] Le développement et la production des calculateurs de missiles et des bancs de test pour l’ensemble des besoins français et britanniques sont réalisés en France tandis que celles des actionneurs de gouvernes et des liaisons de données missiles sont effectués en Grande-Bretagne.

Auteur

Olivier Martin a débuté sa carrière en 1983 à la DGA notamment comme Directeur du programme Mesures du BEM Monge, puis responsable Allemagne, Italie, Pays-Bas, Scandinavie à la Délégation aux Relations Internationales.
En 1991, il rejoint Matra Défense comme Directeur des Opérations Internationales, puis responsable Business Development du secteur anti-surface, puis directeur des programmes anti-surface.
En 2003, il dirige l’entité Defence Electronics France d’EADS, puis la stratégie de l’entité DS SAS d’EADS.
En 2007, il rejoint MBDA en tant que Secrétaire Général du groupe.
En 2021, il crée la société de conseil ICARION Consulting dont il est le Président.

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