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Dampierre et Sully, nucléaire et château-fort : inutile en opex !
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28 octobre 2023

STOCKAGE DE L’ÉNERGIE
PLUS FACILE A DIRE QU’A FAIRE

L’énergie ça se stocke : seconde par seconde, par minute, par heure, par jour, par saison, par lustre, par siècle !


De la milliseconde au quart d’heure

Le stockage d’électricité le plus permanent et indispensable, qu’on ne voit pas, est celui qui permet la fourniture d’électricité à 50 Hz exactement, quelles que soient les variations instantanées de consommation. A très court terme (moins de la seconde), c’est l’énergie cinétique des machines tournantes, et un peu les batteries. Sur plusieurs secondes, c’est la chaleur de la vapeur qui alimente les turbines. Lorsqu’on passe à la minute c’est le surplus de chaleur produisant de la vapeur, qu’il provienne du pilotage de centrale nucléaire ou de l’alimentation de centrale thermique au gaz. Pour les centrales nucléaires, c’est nouveau, car il faut compenser les variations de demande dues certes aux variations de consommation, mais surtout aux variations inopinées de la puissance fournie par l’éolien (et dans une moindre mesure par le photovoltaïque). L’arrivée de l’éolien conduit à des évolutions importantes et rapides de la puissance fournie, et il a fallu, au-delà de la très grande flexibilité de la houille blanche, raccourcir la constante de temps du pilotage des centrales nucléaires pour qu’elles puissent diminuer ou augmenter rapidement leur puissance afin de s’adapter à une variation incontrôlable des énergies renouvelables. Dit autrement le nucléaire doit s’effacer devant les renouvelables. C’est de l’effacement à l’envers : le délicat équilibre commence dès la production d’électricité !

Bien sûr dans un cadre étendu, la gestion instantanée du réseau, incluant les importations d’électricité, est aussi une partie de la réponse : le nécessaire stockage de ressources est fait ailleurs, le plus probablement par des énergies non renouvelables.

L’effacement équivalent des véhicules hybrides ne pose pas de problème, car la batterie stocke une énergie immédiatement disponible. Si on voulait comparer avec le réseau électrique, il faudrait imaginer un véhicule sans batterie alimenté par des panneaux solaires qui passerait sans préavis sous un tunnel : il est certain que l’optimisation du pilotage du moteur serait alors une exigence essentielle.

Un peu hors sujet, une mention spéciale aux énergies militaires ultra fiables, sans entretien et d’accès instantané : les matériaux énergétiques (voir le magazine des IA n°16 de juin 2022 «Boum !») et les piles thermiques, totalement inertes à froid qui sont activées par un bref échauffement. Les armes les plus sophistiquées en sont dotées.

Un jour, stockage local, ça tient sur la batterie

Partout dans le monde, nous sommes habitués à tenir un jour : ordinateur, téléphone, radio, appareil photo, trajet en voiture, packs de réfrigération dans la glacière ; la multiplicité des usages exige de plus en plus de petits stockages. On peut simplement constater que l’accélération des techniques augmente le nombre d’équipements électriques, et donc les risques de perte d’autonomie globale, même si les consommations unitaires diminuent. Les petites batteries complémentaires, que la plupart d’entre nous possèdent, ne font que reculer le problème. D’ailleurs le premier facteur de poids de l’équipement de base du premier «Felin» était la batterie.

Indirectement, l’accès à une énergie demande une autre énergie intermédiaire, la plupart du temps une batterie, par exemple pour faire démarrer un moteur. C’est également un signe de dépendance multipliée. Les voitures d’il y a 70 ans se démarraient souvent à la manivelle, les moteurs de certains chars démarraient par embrayage sur un lourd volant d’inertie lancé à la main en une dizaine de secondes d’efforts.

Tout s’améliore, surtout dans les techniques récentes : avec les premiers véhicules électriques du ministère de la Défense, l’indicateur de niveau de charge de la batterie plongeait de façon inquiétante sur les quelques kilomètres de l’autoroute qui monte à Villacoublay. Mais fondamentalement le problème est le même : rien dans la durée.

En séjour long : le plein, s’il vous plaît

Lorsqu’on est loin des sources habituelles et fiables d’énergie il est indispensable de la trouver sur place ou de la stocker, en petites ou grosse quantités. L’assurance d’une disponibilité sur place n’est pas toujours au rendez-vous.

Pour l’électricité des petits équipements, fonctionnant sur piles, il fallait stocker d’énormes quantités de grosses piles R20 (celles des vieux jouets) bien sûr spécifiques des armées par leur tenue au froid mais utilisées avec parcimonie en métropole tempérée… et détruites sans avoir été utilisées à la date de leur péremption.

Le stockage peut-il être durable ? L’énergie primaire se stocke bien, l’énergie directement utilisable moins bien, sauf les carburants, qui demandent toutefois une transformation complexe (les moteurs). 

Stocker, cela coûte de l’énergie, surtout si les carburants sont spécifiques.

 

Carburéacteur ou hydrogène à long terme, donc toujours des traînées de condensation pour les avions

Carburéacteur ou hydrogène à long terme, donc toujours des traînées de condensation pour les avions

A très long terme : dans la terre

L’énergie disponible à long terme se trouve dans la terre, directement ou pas. On peut penser que c’est gratuit et n’est pas un problème à moyen terme ? En fait il faut déjà commencer par faire des réserves par crainte d’une pénurie. Réserve politique en diversifiant nos sources d’approvisionnement, réserve de précaution par des stocks stratégiques, peut-être bientôt réserves de matériaux rares de base, réserve de composants essentiels pour les nouvelles énergies en opération ? Restent les énergies de la terre, géothermie et énergie des marées, inépuisables à notre échelle, séduisantes... mais intransportables, comme l’énergie nucléaire en OPEX.

Hors de la métropole : on va chercher l’énergie ailleurs !

Chez les militaires comme chez ONG humanitaires, tout le monde comprend qu’un bon stockage doit être fiable, sans danger, sans risque de pénurie, économique, écologique, bon marché, accessible. Sans stockage, la capacité s’éteint. L’idéal est l’énergie stockée qui ne s’use que si on s’en sert. Peu de sources opérationnelles répondent à ce besoin : les hydrocarbures, les piles thermiques (car pour les batteries ordinaires il faut régulièrement vérifier ou compléter la charge), les explosifs et matériaux énergétiques.

A court terme, les nouvelles énergies sont un leurre pour les systèmes opérationnels

Les nouveaux moteurs terrestres resteront tributaires des hydrocarbures, et aucune autre solution ne voit le jour pour les équipements en développement. Si les armées s’intéressent aux évolutions technologiques c’est à long terme seulement, et donc plutôt pour des raisons d’affichage. En pratique ce qui compte est question de modalités, par exemple sur le ou les types de carburant, leur disponibilité et leur accessibilité.

Les autres solutions radicales (électricité, hydrogène...) ne sont pas encore crédibles, et l’effet militaire d’une hybridation éventuelle se limite à une furtivité sonore momentanée.

« …A COURT TERME, LES NOUVELLES ENERGIES SONT UN LEURRE POUR LES SYSTEMES OPERATIONNELS "

Où sont les stocks ?

Stocks militaires : en station chez des pays amis ou dans une zone accessible au commerce, les carburants existent dans des réservoirs locaux, et il suffit d’en extraire un peu pour remplir des stocks propres et se sentir rassuré. C’est le stock dual, qui présente les risques de la dualité : il faut que la structure civile reste valide, ce qui est loin d’être forcément le cas. Ce sont donc les stocks du SEO qui sont d’un emploi dual (pour moitié environ, avec des tarifs différents). On se rappelle par exemple que le réseau de la Gendarmerie est devenu muet lors d’une inondation du Rhône, faute d’alimentation civile.

Des solutions ? Ce ne sera pas simple

Les réponses sont techniques, logistiques, politiques et internationales.

Mais toute action sur l’énergie emporte son lot d’impacts et de complications d’accompagnement.

La seule loi du 22 juin 2023 sur les nouvelles installations nucléaires (loi «sur l’accélération du nucléaire», présentée en procédure accélérée le 2 novembre 2022) prévoit 4 rapports au parlement avant un an, et 5 autres avant 5 ans. La complexité apparaît dès la gouvernance : « Une disposition législative ne constitue pas une décision publique au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement. » Le nombre de cavaliers ou de mesures d’accompagnement (avec des articles sur l’hydrogène, les RH, la parité, l’artificialisation des sols, etc) proposés dans un environnement déjà complexe montre tout simplement qu’il n’y a pas de solution simple.

Energie rime aujourd’hui avec économie d’énergie, énergie durable, etc. : où faire porter l’effort ? La Défense a besoin d’une énergie simple, accessible, quel qu’en soit le prix, donc souveraine, donc stockée.

Simple : en devenant en 2021 le SEO (service de l’énergie opérationnelle), l’ancien service des essences des armées montre le besoin d’une bascule d’abord vers un produit unique pour tous (hors gasoil naval et gasoil routier), le carburéacteur (qui se décline en 8 carburants actuels(1)) puis vers des énergies multiples, plus largement que les seuls produits pétroliers actuellement. Les biocarburants doivent franchir, notamment dans le domaine aéronautique, de nombreuses étapes de certification ; l’hydrogène, quelles que soient ses qualités, pose une double énorme difficulté de transport et de stockage. On n’imagine même pas encore l’allure des futurs dépôts de campagne !

Accessible : en métropole, le Président de la République a décidé de créer un vaste réseau de stations de recharge de véhicules électriques…, comme aux USA en 1900, lorsque presque la moitié des véhicules étaient électriques. Dans le même temps l’essence était vendue en bidons dans les épiceries. La logistique du transport pétrolier, assumée par le SEO, s’ouvrira – comme pour le maritime – aux autres énergies. On peut noter (et craindre) la lenteur des développements logistiques en regard de l’accélération des techniques utiles ou imposées.

Souveraine : SAFT, dont l’actionnariat était devenu à intérêts purement financiers, a été un temps placée sous contrôle d’un commissaire du gouvernement, avant l’acquisition par TotalEnergies.

Des piles thermiques critiques de ASB, soumises aux règles ITAR à cause de matériaux de base, ont dû attendre (et ont obtenu) l’autorisation américaine.

L’OTAN a son propre réseau d’oléoducs, avec plus de 2000 km d’« oléoducs de défense commune » en France, et la capacité de stockage propre aux Armées est de près de 500 000 m3.

Avoir de l’énergie disponible, c’est bien, l’avoir en temps de crise, c’est mieux !

En bref l’énergie ça se stocke, mais le stockage est aussi multiforme que la production. Il est probablement plus rentable d’économiser l’énergie que de la stocker, mais il faut quand même des provisions ! Mix électrique, pilotage : seconde par seconde, par minute, par heure, par jour, par saison, par lustre, par siècle : technique spécialisée, pilotage nucléaire, effacement, stockage, industrie, planification, décarbonation et COP, urgence variable, respect de la nature. C’est bien compliqué, et tout le monde mélange, sans même parler de la confusion entre énergie et puissance. La simplification populaire ne suffit pas : c’est un vrai métier, dans les cordes des IA !

(1) : supercarburant F67, carburéacteur F34, carburéacteur F35, carburéacteur diesel F63 et XF63, carburéacteur HPE F44 et XF43, essence aviation. Les quantités sont mesurées en fûts de 197 litres

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Denis Plane, IGA

Denis Plane, a commencé sa carrière sous le signe du naval à Toulon puis au STCAN. Passant par les missiles, le service technique des systèmes navals puis le service technique des technologies communes, il dirige la direction des programmes de la DGA jusqu’en 2003.

Auteur

Denis Plane, a commencé sa carrière sous le signe du naval à Toulon puis au STCAN. Passant par les missiles, le service technique des systèmes navals puis le service technique des technologies communes, il dirige la direction des programmes de la DGA jusqu’en 2003. Voir les 29 autres publications de l'auteur

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