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01 octobre 2019

Errare humanum est : 20 ans d'errement dans le MCO aéronautique

La situation du MCO aéronautique n’a cessé de se dégrader depuis la fin des années 90, générant moult rapports et réformes. Mais tout n’a pas été dit sur le sujet, surtout quand cela n’était pas politiquement correct. Petit florilège...


Des RH défaillantes

On ne cesse de le dire, les ressources humaines sont la clé du succès de tout projet. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que le MCO aéronautique ait connu quelques vicissitudes… Celui-ci a toujours été le parent pauvre en termes d’allocations de ressources RH. Quelques exemples :

• Du temps du SPAé, tous les brillants ICA préféraient s’occuper de développement ou de production, tâches bien plus « nobles » que les activités liées au MCO du ressort du département « rechanges-réparations », département dont rien que le nom faisait déjà rêver… ;

• Durant la période d‘existence de la SIMMAD, la DGA n’a jamais fait beaucoup d’efforts pour gréer cette structure en personnels, aussi bien en quantité qu’en qualité. Et ceux qui y étaient affectés étaient souvent pénalisés en termes d’avancement et de notation (et que l’on ne vienne pas me jurer que ce n’est pas vrai, je l’ai « testé » personnellement) ;

• Coté armées ce n’est pas mieux, les postes dans le MCO aéronautique ont toujours été réservés aux mécanos des différentes armées (qui y étaient d ‘ailleurs cantonnés) et force est de constater que ceux-ci n’atteignaient que rarement les postes sommitaux de celles-ci, les privant de talents. Un de mes camarades aviateur mécanicien à l’école de guerre avait d’ailleurs rédigé un excellent article sur la question, montrant qu’un pilote avait 1 chance sur 4 de réussir le concours de celle-ci, un mécano, 1 sur 8, article naturellement censuré par la hiérarchie… ;

• Coté industriels, vu les profils des personnels travaillant dans les services traitant du MCO militaire dans certains grands groupes de défense, j’avais parfois l’impression que ces services leur tenaient lieu « d‘hôpital de jour ». Mais je les comprends, quand un industriel réalise l’écrasante majorité de son chiffre d’affaire dans un secteur civil hautement concurrentiel, pourquoi irait il affecter des ressources de qualité sur des activités somme toutes marginales et où le client est captif ? On peut aussi s’interroger sur le fait que le coût à l’heure de vol diminue à chaque nouvelle génération d’aéronefs civils, alors que pour les militaires, il augmente….

Dans ces conditions il ne faut pas être surpris que les performances du MCO aéronautique n’aient pas été optimales. Ce manque d’intérêt est incompréhensible, car par delà l’impact direct sur les performances de nos armées sur le terrain, les enjeux financiers sont colossaux : le coût annuel du MCO d’un matériel militaire est de l’ordre de 5% de celui de son acquisition. Donc en 20 ans, les coûts liés au MCO ont dépassé ceux de son acquisition...

Après moi le déluge

Justement, parlons de la prise en compte du MCO dans les programmes d’armements aéronautiques. Passons sur les aspects parcours professionnels où pendant longtemps un poste dans le domaine du MCO était moins valorisé qu’un passage aux finances ou aux achats pour devenir manager/directeur de programme. Et pourtant Dieu sait si une telle expérience est utile dans la conduite de programmes ! Elle permettrait d’éviter certains errements tels que :

• La non prise en compte de la maintenabilité lors de la définition technique du matériel : deux jours pour tomber un moteur sur un aéronef de dernière génération, contre 6 heures sur celui qu’il remplace… ;

• Le non couplage des contrats d’acquisition et de MCO. Difficile de négocier dans ces conditions des tarifs avantageux pour leur entretien, puisque les matériels étant achetés, il faut bien les entretenir ensuite…

• Le non intégration dans les contrats d’acquisition de dispositions permettant ultérieurement de mettre en concurrence sur le MCO. Or la mise en concurrence est le levier le plus efficace pour maîtriser les coûts de MCO : je l’ai constaté personnellement, il est possible de gagner entre 30 et 40% sur des marchés dès qu’il y a mise en concurrence, et ce sans dégradation du service rendu.

C’est d’ailleurs un des regrets que j’ai concernant la DMAé, je pense qu’elle aurait du être rattachée à la DGA. Comme disait Al Capone, « On peut obtenir beaucoup plus avec un mot gentil (les achats de rechanges ou la maintenance avec un industriel en situation de monopole) et un revolver (les contrats de développement et de production, la politique industrielle, l’export…), qu’avec un mot gentil tout seul. ».

Trop bon, trop c…

L’État acheteur « MCO aéronautique » est trop gentil, pour ne pas dire naïf. Ceux qui comme moi se sont retrouvés du mauvais coté du manche en étant vendeur de prestations auprès d’industriels le savent bien, ceux-ci sont beaucoup plus « durs » auprès de leurs fournisseurs. Quelques exemples :

• Nous n’osons pas suffisamment exclure des industriels lors de compétitions parce qu’ils sont mauvais, ou du moins nous ne nous en donnons pas les moyens juridiques. Résultat, j’ai vu une flotte d’aéronefs arrêtée pour éviter de se retrouver avec un titulaire qui pratiquait des prix imbattables mais qui était une source de problèmes sans fin. Même constat quand on est confrontés à des industriels étrangers peu performants mais moins disants. Et ne nous cachons pas derrière notre petit doigt/Bruxelles, je note que les autres pays européens se débrouillent toujours pour qu’un champion national s’impose quand ils le veulent ;

• Pourquoi une révision générale d’un moteur revient elle moins chère quand elle est confiée par l’État à un maintenancier cellule qui la re-soustraite à un motoriste (avec un mark up de 30%), que quand elle est confiée directement à ce même motoriste ? Réponse, parce que l’État est un mauvais négociateur !

La logistique militaire, le maillon faible

Je ne suis pas un spécialiste de la logistique, mais j’ai toujours été effaré par les ressources consacrées par les armées à celle-ci, aussi bien en termes de RH, de processus, de stocks de rechanges et d’entrepôts associés, pour des résultats, somme toute médiocres. Quelques exemples :

• Quand j’étais responsable de flotte à la SIMMAD, j’avais régulièrement des sous-officiers des bataillons de logisticiens qui y étaient affectés qui venaient me demander si je n’avais pas du travail à leur proposer, car à midi ils avaient terminé leur journée de travail ;

• Un aéronef basé en Asie centrale qui appuyait les missions en Afghanistan et qui avait besoin d’un train d’atterrissage de rechange a « séché » inutilement sur un parking, car les armées ont voulu utiliser leur circuit logistique pour acheminer la pièce depuis la France alors que l’industriel titulaire du marché de MCO savait le faire pour pratiquement le même prix mais beaucoup plus rapidement (3 vs 10 jours) ;

• Enfin jetons un voile pudique sur le système d’information (SI) visant à intégrer tous les SI du MCO aéronautique que la SIMMAD et la DGA ont désespérément tenté de mettre au point pendant 10 ans sans succès. Pour moi, en matière de SI, il n’y a que deux solutions : soit on utilise les mêmes produits que les maintenanciers, soit on fait des développements internes, surtout sur des produits de cette complexité qui sont impossibles à spécifier.

J’arrêterai là ce petit florilège. Je me réjouis de voir que les axes d’effort de la DMAé visent à corriger un certain nombre des errements que j’ai décrits (externalisation accrue notamment sur le volet logistique, verticalisation des contrats, amélioration quantitative et qualitative de la ressource RH DGA….) et j’espère qu’elle parviendra à sortir le MCO aéronautique de l’ornière dans laquelle il se trouve depuis 20 ans. Je ne regrette en tous cas pas mon expérience dans le MCO aéronautique, ce furent des années passionnantes et qui m’ont été très utiles pour la suite de ma carrière. Donc n’hésitez pas à tenter l’aventure de la DMAé !

      
Claude Chenuil, IGA (2s), Consultant aéronautique et défense
 
Diplômé de l’ENSICA, breveté pilote militaire, Claude Chenuil débute sa carrière dans la guerre électronique aéroportée au CEV puis au SPAé. Après un passage par DGA/CAB, il rejoint la SIMMAD puis l’UM-Aéro comme DP MRTT et Airbus présidentiel. Il est ensuite nommé directeur de DGA Essais propulseurs puis directeur de DGA Essais en vol, avant de terminer sa carrière à la DGA/DRH comme sous-directeur mobilité recrutement. 
 

 

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