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31 mai 2019

LA RUPTURE AU SERVICE DES MARCHÉS HISTORIQUES OU COMMENT LE NEW SPACE REPRÉSENTE UNE OPPORTUNITÉ POUR LES MARCHÉS TRADITIONNELS

Comment adapter la politique industrielle française pour que les ruptures engendrées par le new space, notamment en termes de maîtrise des risques, réduisent les coûts de possession de l’espace « traditionnel » et bénéficient aux marchés historiques ? Sodern, une ETI française a consolidé sa position commerciale mondiale.


 

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Sodern AURIGA, le viseur d’étoiles embarqué sur OneWeb pèse 200g

 

Spécialiste de l’optronique spatiale, Sodern est un leader mondial historique dans ses domaines d’activité : près d’un tiers des satellites mondiaux aujourd’hui en orbite embarquent l’un de ses équipements. En 2016, cette ETI a créé la surprise en développant un viseur d’étoiles1très novateur pour la constellationnew space de OneWeb. En 2019, Sodern est confrontée à un nouveau challenge : doubler, d’ici fin 2020, sa capacité de production de viseurs d’étoiles traditionnels pour répondre à ses commandes. Il lui faudra pour cela un environnement financier, réglementaire, culturel adapté, en bref, une politique industrielle dynamique.

Forte de plus de 450 salariés, Sodern, fondée en 1962, est un acteur historique du spatial français. En 2018, son actualité fut notamment marquée

par l’arrivée sur Mars de la sonde Nasa InSight, dont Sodern a réalisé les capteurs de l’instrument principal sous maîtrise d’œuvre du Cnes, et par le lancement de CSO-1, dont elle a réalisé le cœur de détection.

Les programmes de défense ou d’instrumentation scientifique se caractérisent par une double exigence d’excellence technologique (y compris en partant d’un niveau de maturité très bas dans le cas des programmes scientifiques) et de fiabilité. La société a naturellement décliné cette approche sur ses programmes commerciaux, ou privés, notamment sur le marché des viseurs d’étoiles haut de gamme, instruments qui permettent aux satellites de s’orienter dans l’espace et dont la précision conditionne les performances du système.

Dès l’émergence du phénomènenew space, Sodern a formulé l’ambition de devenir, en quelques années, un leader de ce segment de marché dans ses domaines de compétences.

Le pari semble aujourd’hui réussi, grâce au contrat remporté en 2016 pour fournir 1800 viseurs d’étoiles révolutionnaires à OneWeb, mais aussi au développement de nouveaux produits comme des sous-ensembles de terminaux liens laser pour constellations.

Cette réussite a surpris certains salariés, clients et partenaires, pour lesquels Sodern était perçue comme un ancien arsenal spécialisé dans le très haut de gamme.

OneWeb : comment Sodern a-t-elle procédé ?


Dès 2015, Sodern a constitué une start-up interne, sans chef ni limite de budget, composée de spécialistes de la visée stellaire dont la crédibilité a permis de discuter avec le client pour établir son juste besoin. Être un leader historique du spatial fut donc un atout essentiel pour bénéficier de la confiance du client. La société s’est concentrée sur les éléments sur lesquels elle avait le plus de valeur ajoutée, c’est-à-dire le design, l’intégration, les essais et la qualification. Pour la fabrication des pièces, l’option la plus rationnelle était de s’appuyer sur des entreprises spécialisées, et surtout de s’insérer dans des chaines de fabrication existantes.

Enfin, Sodern a reçu, à la demande du Cnes, l’aide indispensable de la Banque Publique d’Investissement, qui a exceptionnellement raccourci son délai d’intervention pour accompagner ce projet.

Le résultat a été à la hauteur des espérances. Le viseur d’étoiles ainsi créé, « Auriga », pèse 200g contre près de 2 kg pour les modèles traditionnels, fait la taille d’une canette 

de soda contre celle d’un magnum de champagne, avec une réduction de coût de plusieurs facteurs dix.

Si cette expérience new space a constitué un succès en soi, elle a également permis de développer les activités traditionnelles de Sodern.

« DOUBLER SA PRODUCTION DE VISEURS D’ÉTOILES D’ICI 2020 »

 

L’impact du contrat OneWeb en termes d’image a été exceptionnel, et a totalement modifié la perception que les grands systémiers mondiaux avaient de Sodern. Fort de cet atout, l’équipementier a pu convaincre de nouveaux clients et renforcer son partenariat avec ses clients existants.

En conséquence, Sodern a pour objectif de doubler sa production de viseurs d’étoiles traditionnels d’ici 2020 pour honorer son carnet de commandes.

L’expérience de Sodern démontre donc que new space et marchés traditionnels ne sont pas imperméables, mais au contraire profondément interdépendants.

A ce jour, l’essor du new spacemondial est principalement freiné par des capacités d’investissement privé limitées, notamment en raison de la barrière d’entrée que représentent des investissements initiaux colossaux. De fait, le chiffre d’affaires réel généré par le new space en 2018 est estimé à 4 milliards d’euros2, contre plus de 80 milliards pour les programmes institutionnels traditionnels...

Cependant, le réel impact du new space est avant tout culturel : il incite les industriels à optimiser leurs investissements, et donc à se focaliser sur le juste besoin du client. Plus fondamental encore, le new spacea réintroduit la notion de prise de risque. Cette dernière demeure calculée, mesurée, mais tranche avec la recherche du « risque zéro » qui caractérise encore le domaine spatial traditionnel.

Si ce « risque zéro » semble inatteignable, sa quête engendre des coûts importants. Éliminer les derniers pourcents d’incertitude implique des développements et des essais longs et complexes, retardés par des procédures de sur-contrôle incompatibles avec l’efficacité industrielle.

Dans la philosophie new space, l’exigence de résilience ne repose plus sur le satellite, mais sur un système de satellites : la perte d’une unité est acceptable dans la mesure où celle-ci est remplaçable, à moindre coût.

Sur le plan industriel, le new space privilégie des cycles de développement courts, et considère les premières expériences en vol d’un système comme une étape du processus d’apprentissage. L’exigence de la preuve a priori est allégée, et le sur-contrôle est éliminé. Il en découle un rythme d’innovation beaucoup plus rapide, et un tempo de marché accéléré.

Le new space et le marché traditionnel sont complémentaires: le point d’équilibre entre ces deux approches reste à définir, mais il est d’ores-et-déjà certain qu’aucun des deux ne pourra remplacer l’autre.

Peut-on néanmoins imaginer que le domaine traditionnel s’inspire de la méthode new space pour faire évoluer sa culture de maîtrise des risques ? Un compromis consistant à offrir au client des garanties satisfaisantes tout en abandonnant la recherche du « risque zéro » permettrait-il de réduire fortement les coûts de possession de moyens spatiaux traditionnels ? Deviendrait-il dès lors envisageable d’investir dans des capacités nouvelles, ou simplement d’accroitre le nombre de plateformes, et donc la résilience des systèmes de satellites ?

Une certitude demeure: dans le new space comme dans le domaine spatial traditionnel, les industriels ne pourront réussir sans le soutien des États et une politique industrielle adaptée. Sodern n’aurait pas gagné son pari new spacesans l’intervention exceptionnelle du Cnes et de la BPI, tout comme SpaceX bénéficie de l’aide du gouvernement américain.

La clé d’une politique industriellenew space efficace réside dans son adéquation au tempo du marché. Dans un secteur où les cycles de développement sont fortement accélérés, les clients n’attendront pas les décisions de la puissance publique, et avanceront avec ou sans les industriels français

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