Retour au numéro
Vue 26 fois
25 juin 2023

DES IA AU CŒUR DE LA CRISE COVID
TASK FORCE COVID-19

Le monde des vaccins et de la lutte contre le covid-19 paraît bien loin de notre monde de la Défense, mais les compétences acquises par les ingénieurs de l’armement dans le cadre de la gestion des programmes d’armement s’avèrent utiles pour le pilotage des grands projets de l’Etat. C’est une ressource spécifique mêlant à la fois la gestion de projet, le pilotage industriel et l’ingénierie contractuelle dans un contexte national mais également de plus en plus européen.


Eclairages

La gestion de la crise covid a nécessité très vite la mise en place d’une équipe ad-hoc dédiée, la « Task Force interministérielle vaccination » (TF), dont la mission est de coordonner l’action de l’ensemble des services de l’Etat impliqués dans le cadre de cette offre de vaccination. La TF a ainsi la charge de définir la stratégie vaccinale française, de mettre en place les flux logistiques nécessaires, d’organiser les points de vaccination en concertation avec les acteurs territoriaux (ARS, préfectures…) et de garantir l’approvisionnement en vaccins pour répondre aux besoins.

La TF a été constituée pour une part de personnels de santé mais également par des agents contractuels aux horizons divers (INSP, SciencesPo, écoles de commerce). Les ingénieurs sont rares au ministère de la Santé mais leur profil est nécessaire dans le cadre de la gestion de cette crise. Dès le début, le ministère de la Santé a souhaité le renfort d’un ingénieur de l’armement, signal fort de reconnaissance de l’expertise de notre corps. C’est ainsi que l’IGA Walter Arnaud a intégré la TF dès octobre 2020 pour la définition et la mise en place de la chaîne logistique de ces vaccins, aux contraintes de transport et de stockage très spécifiques (-80°C pour les vaccins Pfizer), et distribués en dehors des circuits logistiques classiques.

Le samedi 14 novembre 2020, le directeur de cabinet du ministère de la Santé demande une présentation des schémas logistiques. L’ambiance est assez similaire à celles du CPCO ou d’un comité de pilotage programme, juste le cadre et l’objet des discussions qui diffèrent. Le premier flux logistique, dit « flux A », devra permettre de vacciner les pensionnaires des EHPAD et leurs soignants, sans les déplacer. Or, le vaccin de Pfizer ne se transporte que 10h00, ne se conserve que 5 jours maximum une fois décongelé, et ne s’utilise que durant 5h00 une fois le flacon ouvert. Les 7 000 EHPAD français (en France et en Outre-mer) seront desservis, via 5 600 officines de ville, en flux tendu. Les autres pays européens s’inspireront, voire copieront, ce flux. Le second flux, « flux B », est la version santé des flux logistiques de la livraison au point de monte (FELIN, SCORPION…). Il desservira 137 établissements de santé, qui irrigueront à leur tour 1 620 centres de vaccinations sur tout le territoire (mai 2021). Tous les départements seront approvisionnés dans le même laps de temps.

Le 26 décembre 2020, les premiers vaccins arrivent en France et les premières vaccinations commencent. La campagne de vaccination monte en puissance. En juillet, la France dépasse en rythme et en nombre de vaccinés tous les pays d’Europe, y compris l’Allemagne. Pour autant, la campagne ne faiblit pas, et les équipes restent sous pression. Le vaccin passe rapidement dans le circuit ville, même le vaccin Pfizer à la fin de l’été. En décembre 2021, après 14 mois d’intenses activités au sein de la TF, Walter quitte la TF. Le ministère de la Santé souhaite le renfort d’un nouvel ingénieur de l’armement ! Le rôle des ingénieurs est clair au sein du ministère. Nos compétences en conduite de projet, nos profils techniques, et notre capacité à travailler en équipes et sous pression sont reconnus et appréciés.

C’est en janvier 2022 que j’intègre à mon tour la TF sur les sujets d’approvisionnement et de logistique avec pour mission d’assurer la disponibilité de tous les vaccins dans l’ensemble des points de vaccinations, à un moment où l’activité vaccinale reste forte (sur les mois de janvier et février 2022, près de 300 000 injections par jour sont enregistrées). De nouveaux vaccins arrivent, que ce soit de laboratoires différents ou visant de nouveaux publics (les vaccins pour enfants), dont il faut préparer l’arrivée.

Les approvisionnements se font dans le cadre de contrats européens, gérés par la Commission et les Etats membres au travers d’un comité de pilotage dédié (Steering Board). Au printemps 2022, je deviens le représentant France au sein de ce comité, relayant les positions françaises arrêtées par les Cab PM et PR. C’est avec plaisir que je retrouve les mécanismes des programmes en coopération, que j’ai pu expérimenter au travers de mes expériences à l’OCCAR, avec la richesse des échanges multilatéraux et la nécessité de trouver des compromis, tant au niveau européen qu’avec les laboratoires.

La question de l’adaptation des contrats d’approvisionnement en vaccins à la nouvelle situation sanitaire est maintenant sur le devant de la scène, tâche confiée à la « Joint Negotiation Team » dont je fais partie, chargée de négocier les amendements des contrats au nom de l’ensemble des Etats membres. L’enjeu est de taille car il s’agit de modifier nos flux d’approvisionnement à la baisse tout en gardant la flexibilité nécessaire à une revaccination en urgence de la population en cas d’émergence d’un nouveau variant.

Les relations contractuelles avec les Big Pharma ne sont finalement pas si différentes de celles avec nos industriels de l’armement. L’expérience acquise en terme de négociations, que ce soit à la DGA ou à l’OCCAR, s’est révélée précieuse au sein du Steering Board et de la JNT, alors que les représentants des autres Etats au sein de ces groupes viennent majoritairement des agences nationales pharmaceutiques.

Des enseignements croisés

L’acquisition de vaccins par l’Union européenne a été une réussite. Elle a permis à l’ensemble de la population de l’Union européenne d’accéder très rapidement à des vaccins sûrs et efficaces en un temps record, d’une manière solidaire et équitable à l’échelle européenne. La Commission européenne s’est montrée efficace quant à l’acquisition de vaccins comme elle le serait pour l’acquisition de produits sur étagère. Mais, dès lors que l’exécution du programme se déroule sur un temps long, comporte une part de développement et des risques inhérents à cette phase, un certain nombre d’axes d’amélioration, pour ces acquisitions en coopération, peuvent être identifiés, comme les principes de gouvernance, un clausier contractuel, la mise en place d’une équipe projet aux compétences requises couvrant le domaine concerné…

Un enrichissement personnel

Notre contribution, en tant qu’ingénieurs de l’armement, à la gestion de la crise covid, démontre toute la pertinence de l’emploi des compétences de notre corps en dehors de la sphère défense.

Ce détachement a également constitué, à titre personnel, une expérience humaine fantastique et un enrichissement personnel particulièrement gratifiant, et ce à plus d’un titre :
- la participation à un défi et à un projet impactant l’ensemble de la population ;
- l’intégration dans une équipe aux parcours et expériences bien différentes des personnes côtoyées au sein du MinArm ;
- une coopération européenne ;
- des interactions riches et de haut niveau (cabinet ministre, laboratoire, Haute Autorité de la Santé…) ;
- et la découverte des Big Pharma et des processus pharmaceutiques.

Photo de l auteur
Cyril Goutard, ICA

Après un passage au SIAé, Cyril Goutard intègre l’équipe Tigre de la DGA en tant qu’ingénieur en chef puis rejoint l’OCCAR au sein duquel il devient en 2015, programme manager Tigre. Il réintègre la DGA en 2018 au sein de l’UM AMS, en tant que DSM drones. En janvier 2022, il répond à l’appel du ministère de la Santé et rejoint la Task Force interministérielle vaccination Covid.

Auteur

Commentaires

Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.