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Le Canopée à Kourou, un navire de transport stratégique
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26 juin 2024

LA FLOTTE STRATÉGIQUE : ÉCONOMIE DE GUERRE OU GUERRE DE L’ÉCONOMIE ?

Publié par François Lambert, AFFMAR | N° 132 - MONTÉES EN PUISSANCE

Un texte librement adapté de la contribution établie dans le cadre du rapport demandé par M. Hervé Berville, Secrétaire d’État chargé de la Mer auprès de Madame la Première ministre. 


La flotte stratégique est devenue « l’Arlésienne du maritime ». Tout le monde est persuadé qu’elle existe mais personne ne sait exactement la définir. Pourtant Arnaud Leroy n’est pas Alphonse Daudet. Et son texte de loi n’est aujourd’hui pas mis en œuvre.

Si nous venons croiser l’enjeu de la stratégie avec celui de la souveraineté, nous découvrons qu’ils sont voisins en réalité. On entend le plus régulièrement la mention de la stratégie à l’appui de la notion de souveraineté. La souveraineté nous oblige aujourd’hui, et à tous les niveaux. Nombre d’actions se veulent promouvoir une démarche souveraine, par stratégie. La flotte, de commerce donc, en ferait partie. La souveraineté tire dans ses racines latines un caractère de supériorité, elle illustre la possibilité pour un État de n’être contraint par rien, dans la limite du droit.

Flotte stratégique : une définition encore bien sommaire

Le code de la défense est complété par un article L. 2213-9 ainsi rédigé : « Art. L. 2213-9.-Les navires battant pavillon français peuvent être affectés à une flotte à caractère stratégique permettant d’assurer en temps de crise la sécurité des approvisionnements de toute nature, des moyens de communications, des services et des travaux maritimes indispensables ainsi que de compléter les moyens des forces armées. La composition de cette flotte à caractère stratégique et les conditions de sa mise en place sont déterminées par voie réglementaire. »

Stratégique, la formation l’est par essence 

Mais alors la flotte de commerce devient un instrument de la souveraineté au service de la stratégie, il faut, là encore, la définir, et parler un peu de son histoire pluriséculaire qui consacre la France comme puissance maritime. Et cette histoire passe par la formation des marins, d’une part et par le soutien à son développement d’autre part. Stratégique, la formation l’est par essence, on mise sur la génération qui vient, sur le développement et l’entretien des compétences, avec les écoles d’hydrographie, puis les écoles de la marine marchande et aujourd’hui l’école nationale supérieure maritime (ENSM). Pour faire que la flotte stratégique ait une place dans l’économie de guerre ? Ou serait-ce dans la guerre de l’économie au regard de la force du modèle de formation français ? Dès lors que la puissance publique considère que le rayonnement de la nation peut et va passer par la mer, qu’il fait de son action maritime un instrument de la puissance, tout est possible ; ce fut le cas dans les périodes récentes, dans la décennie 1960 avec la construction de 4 écoles nationales de la marine marchande ou encore la mise en place du diplôme d’officier polyvalent (pont et machine), la formation reconnue comme la plus complète au monde, aujourd’hui encore, d’autant qu’elle est complétée d’un diplôme d’ingénieur reconnu par la Commission des titres de l’ingénieur ; c’est le cas aujourd’hui avec le dessein de l’ENSM et son ambitieux contrat d’objectifs et de performance qui vient croiser les transitions de notre époque et un savoir-faire plus ancien dans trois implantations nouvelles (Le Havre en 2015, Nantes et Saint Malo en 2023) et une rénovée (Marseille, 2024) et tournée vers le monde avec l’arrivée de TANGRAM. Aujourd’hui la flotte de commerce connaît un engouement certain. Il est permis de croire que capitaliser sur son développement renforcera encore et toujours la souveraineté de notre pays, dans une stratégie à mûrir. Le transport maritime représente la colonne vertébrale du commerce, assurant plus de 90% du transport mondial de fret. Les marchandises transportées par mer sont de natures très variées : vracs liquides, vracs secs, produits manufacturés en conteneurs, colis spéciaux, véhicules... La marine marchande permet donc l’indépendance stratégique et un rayonnement international. La marine marchande française a pourtant connu un certain déclin dans les dernières décennies. On précise cependant qu’elle a « pu se maintenir grâce à la mise en place de dispositifs de soutien public en faveur de l’investissement, de l’emploi et des sociétés d’armement maritime ». La formulation est choisie. 

Un dispositif de soutien de la flotte de commerce

Nous n’avons cependant pas à rougir de cette flotte et de ce choix fait pour la formation. L’État a mis en place, dans la guerre économique, au fil des ans, un dispositif de soutien de la flotte de commerce qui comporte des mesures budgétaires et fiscales en faveur des entreprises de transport maritime. Ces mesures visent à créer les conditions d’un accroissement durable de leur compétitivité, et donc de l’emploi maritime ; et à développer les activités maritimes dont le centre de décision effectif est situé sur le territoire français. Ce soutien se décompose entre un soutien budgétaire et un soutien fiscal. La flotte française se situe au 27e rang des flottes mondiales en termes de jauge et au 12e rang européen. La France représente 0,4 % du tonnage mondial dont 60,6 % sont détenus par les cinq premiers pavillons. La flotte de commerce française comptait 421 navires au 1er janvier 2022. Le maintien d’une flotte jeune (8,6 ans) et la volonté de son verdissement sont assumés, en lien avec une croissance du nombre d’emplois nationaux en mer comme à terre. 

La flotte de commerce française est en effet composée de navires très divers : pétroliers (brut, produits raffinés), gaziers (GNL, GPL), porte-conteneurs, cargos, rouliers et transbordeurs (Roro, Ropax), paquebots, vedettes à passagers, câbliers, navires océanographiques, navires offshore (AHTS, PSV, navires d’assistance et de transport de personnel...), dragues, remorqueurs (portuaires et de haute mer), bateaux-pilotes... Les acteurs de cette transformation, qui seront les acteurs de la flotte stratégique, ce sont les entreprises d’armement maritime : l’armateur est celui qui exploite le navire en son nom, qu’il en soit ou non propriétaire. 

Intervient cependant la question de la technologie de cette flotte. Elle existe en nombre, en volume, laisse envisager par cela une capacité souveraine, mais pour combien de temps au regard de l’évolution des technologies ? L’exemple de la défense mérite d’être cité ici. La direction générale de l’armement a développé et entretenu le concept de base industrielle de technologie et de défense. Nous pourrions transposer le sujet dans le cadre exclusivement maritime mais civil pour proposer une traduction concrète de soutien à certaines technologies en faisant des choix clairs qui permettent à toute la filière d’être entraînée, une « base industrielle de technologie maritime » en somme. C’est finalement ici une « nostalgie du plan » qui l’emporte avec une ventilation des financements apportés aux maritimes entre de très (trop) nombreux guichets sans capacité de concentration réelle qui vienne calibrer non pas les ambitions de différentes stratégies mais bien l’ambition d’UNE stratégie à laquelle la France puisse se tenir pendant plusieurs décennies. Encore faut-il cependant de la lisibilité dans les orientations ou contraintes de niveau international. 

Le contexte géopolitique semble nous conforter également dans la réponse à la nécessité d’une flotte stratégique. Pourtant des contraintes nouvelles ressortent au regard des alliances et de la flotte contrôlée. Il est invraisemblable aujourd’hui de considérer que la flotte stratégique peut se faire indépendamment de la traduction économique de la géopolitique, la guerre économique, ceci militant clairement pour une stratégie de flotte. Le choc des civilisations n’est pas à exclure et si l’on prévoit une internationalisation de la flotte marchande, on ne raisonne qu’en nombre de navires, jamais en compétences des marins. Et pourtant ce sont eux qui feront la différence dans la guerre économique, comme dans l’économie de guerre. 

 

    
François Lambert, AFFMAR
François Lambert, Administrateur des affaires maritimes, directeur de l’École Nationale Supérieure Maritime François Lambert a été directeur de cabinet de la ministre de la mer. Son expérience maritime s’inscrit dans des postes sur le terrain et à Paris, entre l’administration territoriale, le portuaire et l’industrie navale. Il pilote depuis septembre 2022 le projet d’évolution de l’ENSM pour doubler les officiers en sortie d’école d’ici à 2027.
 

Auteur

François Lambert, AFFMAR
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