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01 mars 2020

La Silicon Valley, un écosystème d'innovation hors du commun

La « vallée » dépasse les écosystèmes concurrents de plusieurs ordres de grandeur en matière de création d’entreprises de haute technologie.

 

Beaucoup de villes, de régions, et de pays ont cherché à s’inspirer de la Silicon Valley pour créer des écosystèmes d’innovation dynamiques, mais aucun n’a réussi à la supplanter. Quels sont les ingrédients de son succès ?


Malgré une fiscalité écrasante, des coûts du travail exorbitants, et une régulation parmi les plus contraignantes, la Silicon Valley est un écosystème dont le succès en matière de création d’entreprise est hors norme. D’une superficie de 4500 kilomètres carrés (l’équivalent du Bas-Rhin), doté d’une population d’environ 4 millions de personnes, les rachats de startup (exit) lors des dix dernières années ont été d’environ 1000 milliards de dollars. Boston est loin derrière, les rachats totaux d’entreprise au cours de la dernière décennie n’y ont été que de 60 milliards de dollars.

 

Rachats de startups («exits») dans le monde (source : https://medium.com/@foundercollective/startup-success-outside-silicon-valley-data-from-over-200-exits-in-17-cities-1872bf8e7619)

Quels sont les ingrédients de ce succès ? Sont-ils transposables dans d’autres pays et d’autres environnements ? Il s’agit d’une question difficile, à laquelle je vais essayer d’apporter quelques éléments de réponse. Je recommande la lecture de « The code » de Margaret O’hara, ainsi que l’écoute du podcast « silicon carne », qui sont très éclairants à cet égard et dont je me suis inspiré pour la rédaction de cet article. Merci en particulier à Romain Serman, directeur Bpifrance investissement USA, pour ses avis très pertinents sur cette question.

La concentration des talents.

Une des clés du succès de la diversité est une concentration très importante de hautes qualifications. En effet, sur la petite superficie de la Silicon Valley se trouvent une grande quantité de compétences à forte valeur ajoutée : ingénieurs, chercheurs, développeurs, juristes, banquiers, auxquelles s’ajoutent les compétences des grandes entreprises de technologie. S’y ajoute une concentration qui n’existe nulle part ailleurs en « multi-entrepreneurs », à savoir des entrepreneurs qui ont créé puis vendu successivement (voir même parfois en parallèle) plusieurs startups successives, et dont l’expérience de création d’entreprises profite aux nouveaux entrepreneurs.

Ces compétences de haut-niveau affluent actuellement des quatre coins du monde. Mais comme le montre l’ouvrage « The Code », cité plus haut, elles sont initialement apparues dans les années 50 dans les grandes universités de la côte Ouest via les programmes fédéraux investis après la deuxième guerre mondiale dans les instituts de recherche. Les chercheurs, doctorants et étudiants qui y étaient présents ont ainsi acquis, en travaillant sur ces grands programmes, des compétences techniques qui se sont ensuite diffusées dans des grandes entreprises et des startups.

La liquidité des compétences.

Ces compétences de haut-niveau sont donc concentrées, mais elles circulent de plus exceptionnellement vite en Silicon Valley, et pour deux raisons principales.
La  première est d’ordre juridique : c’est l’absence de loi dite « non compete ». A Boston, par exemple, la loi dite « non-compete » empêche un salarié quittant une entreprise de rejoindre une concurrente. Dans « la vallée », les employés sont très peu fidèles à leur entreprise et peuvent passer littéralement d’un jour à l’autre d’une société à sa concurrente directe. Un exemple bien connu de cela est l’épisode des « huit traitres », ce groupe de jeunes diplômés dont faisait partie Gordon Moore qui a quitté un laboratoire de semiconducteurs fondé par le prix Nobel William Shockley pour créer leur propre entreprise de semiconducteurs, Fairchild Semiconductor. Cette entreprise de la Silicon Valley a engendré directement ou indirectement des dizaines de sociétés, dont AMD et Intel. William Shockley a décrit ce départ comme une « trahison ».

Le savoir et les compétences circulent ainsi très rapidement et irriguent l’ensemble de l’écosystème de façon fluide. Cette grande liquidité des compétences oblige les sociétés à innover très rapidement, car elles ne peuvent pas compter sur le secret pour garder leur avance : la seule solution est d’innover plus rapidement que les autres.

La deuxième raison est d’ordre culturel : la création d’une startup qui échoue ne jette pas d’opprobre sur son fondateur mais est au contraire considérée comme formatrice. Un entrepreneur dont la startup échoue sera très rapidement démarché par d’autres sociétés, désireuses d’acquérir les compétences acquises. 

Des capitaux abondants et des investisseurs éclairés.

S’il est vrai que les financements fédéraux ont joué un rôle important dans la création de la silicon valley, ils jouent à présent un rôle relativement faible. Le capital-risque investi en 2018 est d’environ 50 milliards, à comparer aux 3,5 milliards de dotation de la DARPA par an.

Les investisseurs en capital-risque planifient leurs investissements sur 10 ans et espèrent un retour sur investissement d’environ le triple de ce qu’ils ont investi. Au-delà, du financement, les entrepreneurs trouvent dans leurs investisseurs de la silicon valley des conseils, un mentorat, et une connaissance du marché de grande qualité, ce qui est couramment appelé ici le « smart money ». La qualité des conseils et du mentorat apporté par les investisseurs en capital risque est réputé, et vient de l’expérience qu’ils ont acquise en investissant dans des startups depuis plusieurs décennies.

Une grande diversité, donc une grande visibilité

Plus du tiers (38%) des habitants de la Silicon Valley sont nés à l’étranger. Tout ce qui se passe dans la vallée est ainsi, par le témoignage direct ou indirect des habitants, connu mondialement. Cela donne une visibilité à l’écosystème qui est sans pareil.

Une culture de la prise de risque, une volonté de changer le monde

Un dernier élément de réponse, plus subjectif, au succès de la Silicon Valley est qu’à l’origine, la Californie était une destination de ruée vers l’or, à laquelle les Français ont d’ailleurs abondamment participé à travers plusieurs vagues d’immigration. Cet esprit aventurier se retrouve dans l’état d’esprit des entrepreneurs actuels, couplé à une authentique volonté de « changer le monde », et à un sentiment d’insécurité permanent, les habitants attendant le grand tremblement du centennal qui peut se produire à chaque instant. Cela se retrouve dans les attentes des investisseurs, qui portent généralement peu d’attention à des projets d’entreprises qui ne peuvent pas décoller à au moins 10 milliards de valorisation. Seuls les projets pouvant passer à grande échelle trouvent grâce à leurs yeux.

 

Conclusion

Les ingrédients du succès de la Silicon Valley ne sont pas forcément transposables aisément en France. En particulier la psychologie de descendants de chercheurs d’or est peu susceptible d’être transplanté dans un pays de tradition paysanne dans lequel le capital doit s’accumuler progressivement.

Un élément utile à garder à l’esprit est cependant que si l’on souhaite tenter de répliquer un tel écosystème, la fiscalité ou le coût du travail ne sont pas des facteurs déterminants. Par contre, la concentration du capital et des compétences, ainsi que leur liquidité sont des points incontournables. Cela supposerait de favoriser certains territoires plutôt que d’autres, ce qui est un choix structurant à faire ou non en période de grogne des classes moyennes de la « France périphérique », mais en matière d’innovation rien n’est pire que la demi-mesure.

 

    
Jean-Baptiste Bordes, IPA, Attaché pour la science et la technologie à San Francisco, Ambassade de France
 
Après l’École polytechnique, et un master en intelligence artificielle, Jean-Baptiste Bordes a effectué une thèse en intelligence artificielle pour l’analyse d’images satellites. Il a ensuite été architecte concepteur d’ensemble du programme SIC21, ingénieur de recherche pour l’Université de Technologie de Compiègne, Directeur des études à l’École polytechnique et directeur de la formation et de la recherche adjoint à l’ENSTA Paris 
 

 

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