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01 février 2017

COMBATTRE LA RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES

Le développement d’antibiotiques innovants, financièrement peu rentable, représente aujourd’hui un angle mort de la politique de recherche des grands laboratoires pharmaceutiques, alors même que la résistance des agents pathogènes aux antibiotiques traditionnels progresse. Face à cette situation, une coopération multilatérale se met en place sous l’impulsion du G20 pour mieux encadrer l’usage des antibiotiques et stimuler le développement de nouveaux traitements. 


Un phénomène en progression…

L’antibiorésistance est un processus biologique par lequel l’utilisation fréquente d’antibiotiques favorise la sélection et le développement de populations bactériennes résistantes à une molécule donnée. Si le phénomène est aussi ancien que les antibiotiques eux-mêmes, celui-ci s’est récemment amplifié au point d’amener les dirigeants du monde, réunis en Assemblée générale à l’ONU le 21 septembre dernier, à s’emparer publiquement de cette question qui figure également en tête de l’agenda du G20 pour 2017. Car l’enjeu est à la fois sanitaire mais aussi économique et social, puisque le phénomène d’antibiorésistance puise directement sa source dans l’utilisation massive et généralisée des antibiotiques. Utilisation à des fins médicales d’abord, du fait du recours longtemps systématique aux antibiotiques à « large spectre », c’est à dire agissant sur une grande quantité d’agents pathogènes sans distinction. Mais utilisation également à des fins agricoles, puisque les pays les plus touchés par l’antibiorésistance comme la Chine et l’Inde utilisent de grandes quantités d’antibiotiques génériques à faibles coût afin de doper leur industrie agroalimentaire. Résultat de cet usage incontrôlé, certaines maladies que l’on croyait définitivement éradiquées comme la tuberculose commencent à réapparaître en Asie et en Russie, alors qu’un gène rendant les bactéries résistantes à la colistine (sorte de super-antibiotique réservé aux infections multirésistantes) vient d’être récemment découvert.

... mais une menace encore floue

L’impact potentiel d’un développement de germes résistants aux antibiotiques à plus ou moins long terme reste pour l’instant difficile à anticiper. Le phénomène est encore très disparate suivant les régions, et les zones les plus touchées ne disposent pas toujours d’un appareillage statistique suffisamment élaboré pour évaluer finement l’ampleur de la résistance. Les simulations épidémiologiques restent complexes et fragiles, et la sensibilité de l’opinion publique à ce sujet, largement stimulée par le fantasme de l’apocalypse microbienne mondiale que véhicule le cinéma-catastrophe, invite les prévisionnistes à la prudence. Les rares chiffres actuellement disponibles ont été élaborés par une équipe internationale sponsorisée par le ministère des finances britannique, l’AMR review, qui a fait récemment parler d’elle en annonçant 10 millions de décès par an susceptibles d’être provoqués par des germes résistants en 2050 si aucune mesure n’est prise pour relancer la recherche de nouveaux médicaments anti-microbiens.


Peu rentable, le secteur antibiotique est aujourd’hui le maillon faible de la R&D pharmaceutique.

 

Une industrie pharmaceutique démobilisée

Car c’est bien dans la faible rentabilité du secteur antibiotique, et le désintérêt de l’industrie pharmaceutique qui en découle, que réside le nœud du problème. La recherche et le développement d’une molécule antimicrobienne innovante nécessite en effet des coûts énormes d’investissement (compter plus d’un milliard d’euros pour certains essais pharmaceutiques en phase 3, c’est-à dire pour tester le médicament sur un échantillon humain avant mise en circulation) pour un chiffre d’affaire relativement faible. A l’origine de cette « défaillance » de marché se trouve un double effet d’atténuation : un effet « volume » d’abord, lié à la prise de conscience progressive du rôle de la surconsommation des médicaments dans le développement de l’antibiorésistance, qui est une bonne chose en soi mais tire la demande vers le bas. Un effet « prix » ensuite, résultant de l’inadaptation du régime de protection de la propriété intellectuelle aux contraintes propres à la R&D antibiotique. Car le développement d’un médicament est un processus non seulement coûteux mais aussi très long (compter environ 10 ans entre les premiers travaux et le moment où l’autorisation de mise sur le marché est décernée), et où le délai de protection de la propriété intellectuelle, qui est en général de 20 ans, court dès le début des recherches. Par conséquent la durée pendant laquelle le laboratoire propriétaire de la molécule peut commercialiser son médicament à un prix de monopole ne dépasse guère 10 ans, ce qui ne lui permet pas de rentabiliser suffisamment les coûts de développement avant d’être exposé à la concurrence des médicaments génériques. Ajoutons à cela qu’une entreprise désireuse d’acquérir une position dominante sur le marché doit cibler très en amont ses recherches sur les germes dont elle fait le pari qu’ils développeront une résistance, sans avoir pour autant d’idée précise sur le moment où celle-ci se développera réellement. Si bien qu’il est possible que la protection du brevet tombe au moment même où la bactérie devient résistante et le médicament potentiellement compétitif… D’où un désintérêt marqué des grands laboratoires pour la recherche antibiotique, qui préfèrent orienter leurs efforts vers le secteur beaucoup plus porteur des maladies liées à la sédentarisation des modes de vie, comme le diabète ou l’hypertension.


L’usage massif des antibiotiques en médecine vétérinaire et agro-alimentaire est aujourd’hui la principale cause d’antibiorésistance.

 

Une réponse internationale et multiniveaux

De plus en plus consciente de cette réalité, la communauté internationale a commencé à prendre des mesures visant à la fois à réguler l’utilisation des antibiotiques et à stimuler financièrement la reprise des travaux de recherche dans le domaine. Le volet préventif de cette action devrait s’articuler autour de mesures d’informations sur le risque lié à l’utilisation systématique des antibiotiques et les voies de substitutions possibles, de création et de diffusion de kits de diagnostic peu coûteux destinés à réduire le recours aux antibiotiques large spectre grâce à un meilleur ciblage des traitements, et de financement de campagnes de vaccination dans les zones défavorisées. La stimulation de l’innovation dans le domaine antibiotique passera de son côté par la correction de la défaillance microéconomique qui affecte le ché antibiotique, selon des modalités encore à définir. Deux voies sont actuellement à l’étude : l’une d’elle consiste à créer un statut dérogatoire permettant d’accroître la durée des brevets associés aux molécules innovantes dans le domaine antimicrobien (une telle disposition existe au niveau européen), dont on a vu qu’elle constituait la condition nécessaire pour assurer la bonne rentabilité d’un médicament. Mais cette solution présente l’inconvénient de nécessiter une harmonisation au niveau mondial des régimes de propriété intellectuelle difficilement réalisable sans de longs débats. L’autre voie, que propose l’AMR review, consisterait à créer, via un fond international monté ad hoc et avec le soutien du G20, un pactole financier destiné à récompenser les laboratoires ayant mis au point des médicaments efficaces contre les nouveaux germes résistants. Cette solution a l’avantage de reposer sur des contributions financières et d’être donc plus rapide à mettre en place, mais rien ne garantit qu’une incitation à base de récompense d’entrée de marché puisse convaincre les grands laboratoires de se lancer dans une compétition de longue haleine à l’issue aussi lointaine qu’incertaine, qui laisse par ailleurs entière la question de la propriété intellectuelle de la molécule. Il y a là une véritable réflexion stratégique à mener sur un sujet où s’entrecroisent, dans un contexte international, de forts enjeux sanitaires, juridiques, éthiques, et où la logique financière et commerciale joue comme souvent un rôle crucial. Autant de défis qui constitueront un véritable test pour les capacités de traction politique du G20 en 2017.

Flavien DUPUIS, IPA, Adjoint au chef de bureau en charge de la préparation des sommets financiers internationaux du G7 et du G20
Après un premier poste au centre d’analyse technico-opérationnelle de défense de la DGA, travaille actuellement à la Direction générale du Trésor.

 

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