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l'iceberg des coûts dans un projet
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01 octobre 2019

Comment faire fondre l'iceberg dans la baignoire ?

La performance du MCO doit permettre de soutenir les engagements en opérations tout en préservant la préparation opérationnelle. L’atteinte de cette performance a un coût. « C’est cher », « c’est de plus en plus cher », entend-t-on souvent. Est-ce si vrai que ça ? Comment calcule-t-on un coût de MCO ? Comment évolue-t-il ? Enquête depuis l’état-major des armées.

Un grand merci aux officiers de la signe division PPE et du bureau MCO de l’EMA d’avoir partagé leur expérience avec moi pour la rédaction de cet article.


Comment calcule-t-on le coût du MCO ?

En termes financiers, le MCO se compose de trois volets : consommé par les forces, et les dépenses relatives au personnel affecté au MCO (rémunération et charges sociales). Trois programmes budgétaires différents ! Et encore, on ne compte pas la disponibilité des infrastructures portuaires et aéroportuaires, pourtant indispensable à la réalisation du MCO.

A combien s’élève-t-il (vraiment) ?

On estime que le coût de la phase d’utilisation représente de l’ordre de 60% du coût global d’un programme. En réalité, ces coûts peuvent être très variables : sur le programme FREMM, le coût du soutien en service s’élève à 29% (EPM, RCS et maîtrise technique) ; pour l’A400M, il est de 48%. Pour des programmes d’armement si différents, en particulier en terme de coût d’acquisition, prendre le pourcentage en guise de comparaison n’est peut-être pas le plus pertinent.

Le MCO suit une « courbe en baignoire » : élevé en début de vie, du fait du manque de maturité de l’équipement et d’expérience des acteurs, il décroît par la suite, avant de remonter du fait du vieillissement, surtout lorsqu’il dépasse sa durée de vie prévisionnelle. Les armées sont constamment confrontées au cumul des deux extrémités, avec une phase de renouvellement qui arrive alors que nombre d’équipements ont largement dépassé leur durée de vie initialement prévue.

Quels sont les moyens mis en place par la LPM ?

Entre 2014 et 2018, les crédits d’EPM ont été en moyenne d’environ 3,4 Md€ par an. Cela a permis d’amorcer la remontée d’activité et de contenir partiellement les effets des engagements opérationnels. Cependant, ce haut niveau d’engagement a ralenti la reconstitution du capital opérationnel.

Dans la LPM actuelle, le MCO bénéficie d’une augmentation du budget d’EPM, accompagné d’un important plan de modernisation. Cette LPM consacre à l’EPM 22Md€ sur 2019-2023, soit 4,4Md€/an en moyenne, soit un effort annuel moyen supplémentaire de 1 Md€/an par rapport à la période 2014-2018.

La nécessaire prise en compte dans les programmes

En parallèle, nous avons le devoir, mais aussi le pouvoir d’anticiper. Dans son rapport sur le MCO aéronautique, Christian Chabbert explique : « il conviendra de veiller à ce que le coût de soutien puisse être un critère de définition et que le MCO initial prépare la mise en place du MCO en service ». La nouvelle instruction ministérielle sur les opérations d’armement, baptisée 1618 « comme le nombre d’or », renforce ce lien. Elle préconise que la stratégie de soutien soit établie parallèlement à la stratégie d’acquisition : les deux doivent être cohérentes et de préférence traduites dans un contrat commun. L’idée est de rechercher l’engagement industriel sur les coûts et la performance du soutien au plus tôt.

10 commandements pour un MCO sous contrôle

 

  1. l’organisation des chantiers tu planifieras, en capitalisant sur le retour d’expérience,

  2. l’industriel tu responsabiliseras en lui fixant des objectifs de résultat lui permettant de proposer des optimisations de la politique de maintenance préventive et corrective,

  3. les risques tu partageras, entre industriel et Etat,

  4. la chaîne logistique tu organiseras,

  5. les plans de maintenance tu optimiseras,

  6. la compétence industrielle nécessaire tu pérenniseras, jusqu’au retrait du service,

  7. les stratégies contractuelles tu ajusteras, avec des contrats globalisés complétés par des marchés transverses lorsque c’est efficient,

  8. la capacité de mettre en concurrence tu organiseras,

  9. les équipementiers tu associeras,

  10. les contrats tu adapteras, en fonction de l’âge (marchés avec clauses de disponibilité) des matériels et de leur emploi (externalisation des flottes de formation , de transport gouvernemental ou de service public).

 

Plusieurs facteurs structurels augmentent le coût du MCO des matériels, dès les stades amont.Citons par exemple le défaut de maturité lors de l’entrée en service voire le sous-investissement dans le MCO initial, le besoin de main d’œuvre formée plus chère pour maîtriser des systèmes d’armes complexes, des outillages et des infrastructures souvent spécifiques, des situations de monopole par le verrouillage de la propriété des définitions, des données et de leur utilisation (aujourd’hui 70 % de l’EPM en montant est attribué en gré à gré), un cadre règlementaire de plus en plus exigeant (navigabilité, normes), des fortes hétérogénéités des parcs et la multiplicité des standards, ainsi que des obsolescences de plus en plus fréquentes.

Nous pouvons profiter des expériences du passé pour nous améliorer : par exemple, dans les frégates anti-aériennes, les moteurs sont installés dans un local trop exigu. Les interventions nécessitent alors des démontages longs et lourds, impactant coût et disponibilité. Le porte hélicoptères amphibie, lui, a intégré les questions de maintenabilité dès sa conception.Les locaux moteurs y sont de grande taille, équipés nativement des moyens de manutention. Des trappes sont aménagées pour sortir rapidement les pièces. Les interventions sont plus rapides, avec des équipes réduites. La coactivité entre les chantiers, plus simple à optimiser, permet une meilleure maîtrise des délais.

Le coût peut encore augmenter sous l’effet de la conjoncture, et sans qu’on puisse toujours l’anticiper.

D’une part, les normes évoluent. Par exemple, la convention MARPOL impose pour les bateaux l’intégration de systèmes de traitement des eaux. Les prochaines générations pourraient se voir imposer également des systèmes de filtration des gaz d’échappement.

D’autre part, l’environnement des opérations évolue. Les équipements sont confrontés à des réalités de terrain bien différentes de ce qu’on aurait pu imaginer il y a 15 ans. Le sable malien, plus fin que le sable afghan, s’infiltre beaucoup plus facilement et abondamment, accélérant l’usure. Citons aussi l’« herbe à chameau » du désert qui s’insinue dans les ouvertures et perturbe les systèmes de filtration, en particulier des aéronefs.

« Ces imprévus nécessitent une souplesse contractuelle, ménageant des possibilités d’évolution et de modulation du niveau des prestations. »

 

Le principal facteur de coût reste la prolongation de la durée de vie des systèmes. Pour le milieu naval, le besoin de traitement de la corrosion est accentué avec l’âge et les problèmes de structure augmentent la durée des arrêts techniques, principal inducteur du coût pour ce milieu.

    
Amandine Dessalles, IPA
 
Au sein de la DGA, Amandine DESSALLES a travaillé plus de 10 ans au sein des équipes de programme, dans le domaine des drones puis des systèmes d’information. En 2018, elle a intégré la division Plans-Programmation-Evaluation au sein de l’EMA.
 

 

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