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Entretien d'un Rafale à l'AIA de Clermont-Ferrand
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01 octobre 2019

Maintenance aéronautique : la réforme vue de l'intérieur

La nécessité d’une réforme du MCO aéronautique, lancée fin 2017 et formalisée par la création de la DMAé en avril 2018, fait suite au constat, répété, d’une performance insuffisante malgré des efforts conséquents consentis. Pour redresser la barre, une nouvelle stratégie du MCO aéronautique est en élaboration, et sa mise en œuvre a déjà débuté avec les premières actions entreprises dès la création de la DMAé en particulier dans le domaine des contrats.


Une refonte des contrats : une première étape


Une des causes identifiées du manque de performance est la multiplicité des contrats à mettre en œuvre pour soutenir un seul type d’aéronef, diluant les responsabilités et générant de nombreuses interfaces devant être gérées par l’Etat qui se retrouve en coupure.

Afin de recentrer les efforts de la DMAé sur des activités à plus forte valeur ajoutée, il est nécessaire de passer par une première étape de verticalisation des contrats (voir encadré). Ainsi, plutôt que de gérer des flux importants de faits techniques, de visites, de réparations, de bons de commande sur de nombreux contrats pour chaque aéronef, et de réaliser la logistique nécessaire au bon déroulement de ces contrats, les équipes de la DMAé pourront se concentrer sur le pilotage d’un nombre réduit de contrats dans le cadre de projets de MCO au périmètre plus global, engageant l’industrie sur des performances de haut niveau permettant ainsi de clarifier le lien avec la réponse au besoin opérationnel. Le management de ces projets de MCO s’inspire ainsi des méthodes utilisées pour le pilotage des opérations d’armement, dont ils sont le prolongement lorsque les matériels sont en service dans les armées.

« Verticalisation » ou « globalisation » des contrats ?

Le terme « verticalisation » signifie initialement le fait de regrouper les contrats de MCO pour aboutir à un nombre réduit de contrats et de titulaires, idéalement un seul. La globalisation des contrats correspond à étendre le périmètre des activités externalisées, afin de couvrir une prestation globale de MCO, comprenant par exemple, au-delà des seules activités de maintenance, la logistique ou la mise en œuvre de systèmes d’information outillant ces activités. De plus, verticalisation et globalisation sont associées à la passation de contrats de plus longue durée, donnant davantage de visibilité aux industriels qui sont alors en mesure d’effectuer les investissements nécessaires à une amélioration durable de la performance. Par abus de langage, on désignera par « contrat verticalisé » un contrat regroupant plusieurs prestations sous la responsabilité d’un même titulaire et périmètre plus global, sur une durée plus longue.

 

Cette verticalisation contractuelle induit donc une externalisation de certaines prestations, en particulier dans le domaine de la logistique, avec pour objectif de les optimiser. Le niveau d’externalisation réalisable dépend de la nécessité de conserver un niveau d’autonomie à opérer et maintenir des aéronefs dans des zones d’opérations extérieures, ce qui impose de conserver du personnel militaire qualifié.

Pour les flottes servant exclusivement à la formation ou à l’entraînement des équipages, une externalisation maximale des activités de MCO est possible, notamment parce que l’activité est réalisée en métropole, hors du cadre des opérations. De plus ces activités et les besoins de maintenance correspondants sont souvent planifiables et stables, ou opérant toujours du même point de départ, ou réalisant toujours les mêmes missions, les aéronefs présentant des configurations proches de celles opérées dans le civil, ce qui permet de bénéficier de l’offre de nombreux acteurs du marché civil de la maintenance aéronautique. Un mouvement d’externalisation avait d’ailleurs déjà été largement engagé, notamment pour la formation initiale des pilotes d’avion dans l’Armée de l’air et des pilotes d’hélicoptères dans l’Armée de terre. Il s’est poursuivi avec un premier contrat verticalisé passé par la DMAé pour le MCO des hélicoptères Fennec de l’Armée de terre.

La transition vers des contrats verticalisés, globaux et de longue durée, conduit à passer des contrats de plus en plus complexes. Un travail conséquent d’ingénierie contractuelle est alors nécessaire pour élaborer ces contrats, mais aussi pour gérer la transition avec les nombreux contrats qui doivent être remplacés. De façon plus générale, ce sont des compétences de management de projets complexes qui sont nécessaires au pilotage de ces opérations, qui n’ont rien à envier aux grandes opérations d’armement. En effet, en passant pour chaque flotte à un périmètre de prestation global sur une longue durée (parfois jusqu’à dix ans), on retrouve un dimensionnement en termes de complexité technique, de budget et de calendrier proche de celui dont sont familiers les directeurs de programme de la DGA.

Exemple du Rafale

A titre d’exemple, pour la flotte Rafale, dix contrats ont été regroupés en un seul avec Dassault Aviation, et sept autres doivent l’être en un contrat interne avec le SIAé couvrant notamment le moteur M88. Le contrat avec Dassault est prévu pour une durée de neuf ans et demi, le titulaire s’engageant au terme d’une montée en puissance de trois ans sur un objectif de disponibilité de la flotte supérieur à la disponibilité constatée actuellement. Par ailleurs, les activités de logistique en métropole, le système d’information logistique et technique, et la documentation auparavant de responsabilité étatique seront désormais pris en compte par le titulaire.

 

Vision globale de la transformation du MCO aéronautique

Une grande partie de l’activité du MCO aéronautique implique l’industrie au travers de contrats, qui sont l’un des principaux leviers d’actions de la DMAé. Cependant, ces contrats ne couvrent pas l’ensemble du MCO aéronautique, dont il est indispensable d’adopter une vision et donc une stratégie plus globale afin de s’assurer que la performance sera au rendez-vous du besoin opérationnel.

Et pour aller plus loin

Un premier axe complémentaire à envisager est celui des processus du MCO aéronautique, impliquant de nombreux acteurs, notamment en interne étatique. Qu’il s’agisse des circuits d’information et de décision relatifs aux aspects techniques, contractuels, financiers, qu’il s’agisse de comitologie ou de gouvernance, un effort reste à faire en termes de simplification et d’optimisation. L’outillage de ces processus par le biais du projet BRASIDAS qui doit rationaliser les systèmes d’information du MCO aéronautique, permettra d’accélérer la transformation numérique et donc l’efficacité globale. Le travail sur l’organisation humaine et sur les processus sous-jacents reste cependant indispensable, en complément de l’externalisation qui ne couvre que partiellement ces processus.

Un autre axe est celui du cycle de vie des équipements. En effet, si certains de nos aéronefs ou de nos radars ont déjà largement dépassé quarante années de service, d’autres matériels entrent tout juste en phase d’utilisation, ou se situent plus en amont, comme le HIL (Hélicoptère Interarmées Léger) ou le SCAF (Système de Combat Aérien Futur), sans parler des SIC (Systèmes d’Information et de Communication) aéronautiques dont les logiciels peuvent évoluer à un rythme plus rapide. Afin que la transformation du MCO aéronautique soit durable, les efforts doivent aussi porter sur ces systèmes dont le soutien est encore à mettre en place, en regardant au-delà des promesses de maintenabilité accrue. En effet, c’est au moment des choix de conception dimensionnants que la voix du soutien doit se faire entendre, en exploitant tout le retour d’expérience disponible, pour éviter des décisions potentiellement court-termistes à la recherche d’une performance opérationnelle maximale ou de livraisons le plus tôt possible – ce qui s’avère inutile voire contre-productif si le système est indisponible.

Enfin, au-delà de la vision mécaniste de la technique, des processus et des organisations, l’axe que l’on pourrait appeler « facteur humain » est à considérer, non pas comme une contrainte mais comme faisant partie du cœur du sujet. En effet, dans un contexte où les personnels impliqués dans le MCO aéronautique, ayant toujours à cœur la réalisation des missions opérationnelles, n’ont pas ménagé leurs efforts depuis plusieurs années malgré un sentiment de manque de reconnaissance, l’enjeu pour la filière est de regagner en attractivité et en fidélisation, et d’éviter le phénomène d’usure. La prise en compte de la dimension humaine est une condition essentielle de la réussite de la réforme du MCO aéronautique. Les solutions peuvent être apportées par l’innovation notamment quand il s’agit de permettre aux personnels d’utiliser au maximum leurs compétences et leur potentiel, en tirant profit des nouvelles technologies déjà mises en œuvre dans le domaine civil, et en les libérant de tâches à faible valeur ajoutée grâce à l’automatisation et à la robotisation (drones, robots roulants ou robots logiciels). Mais avant tout, les solutions sont elles-mêmes humaines, et seront à trouver dans un nouvel équilibre et des relations de confiance entre les personnels œuvrant au sein des entités impliquées dans le MCO aéronautique.

Il reste maintenant à poursuivre la mise en œuvre de la nouvelle stratégie du MCO aéronautique, qui s’appuie sur le projet de transformation mis en place par la DMAé, couvrant aussi bien les processus, l’organisation, les RH, la conduite du changement, que la verticalisation, les systèmes d’information, la logistique ou l’innovation. Dans ce cadre, et en considérant le MCO aéronautique comme un système complexe, la spécificité de l’ingénieur militaire prend tout son sens dans la mise en œuvre de cette transformation, combinant proximité avec l’utilisateur opérationnel, en l’occurrence ici le maintenancier, et management de grands projets suivant toutes leurs composantes.

Verbatim

Jorge VAN HEMELRYCK : « Construire la stratégie dans le cadre d’une réforme de grande ampleur : enjeux de haut niveau, prise en compte de contraintes multiples, mais aussi appel à la créativité et grande liberté de manœuvre – un défi passionnant à relever. »

Pierre BOUVIER : « Dans un contexte de volonté politique forte d’améliorer et de réformer le MCO aéronautique, le travail à la DMAé est l’occasion, en très étroite relation avec les forces, de travailler à des solutions, parfois novatrices, et toujours concrètes pour améliorer la situation de l’utilisation des matériels des forces. »

André SALLAT : « Des projets passionnants, dans un environnement interarmées riche et des résultats opérationnels concrets »

 

    
Jorge Van Hemelryck, ICA, Chef du bureau stratégie, DMAé
 
Après une formation de pilote de chasse et un début de carrière à la DGA aux essais en vol sur Mirage 2000 et Rafale, Jorge VAN HEMELRYCK (X95, Supaéro) a exercé comme architecte de cohérence technique sur l’A400M, manager au sein du programme SCCOA en poste à Bruxelles auprès de l’OTAN, puis architecte capacitaire hélicoptères et avions de transport. Il a pris le poste de chef du bureau stratégie à la DMAé en juin 2018. 
 

 

 

    
Pierre Bouvier, ICA, Directeur du segment de soutien « hélicoptères », DMAé
 
Après un début de carrière comme motoriste au sein des études amont de la DGA puis du programme Rafale, Pierre BOUVIER a travaillé au profit de la production Rafale, puis comme manager HAD au sein du programme Tigre, et enfin comme directeur du programme FOMEDEC (acquisition des PC-21 pour la modernisation de la formation des équipages de chasse de l’armée de l’air). Membre de l’équipe de préfiguration de la DMAé à partir de janvier 2018, il a pris le poste de directeur de segment de soutien « hélicoptères » en avril 2018. 
 

 

 

    
André Sallat, ICA, Chef du département de pilotage des projets MCO, DMAé
 
Après un premier poste à l’AIA de Bordeaux, André SALLAT (X96, ENSTA) a exercé des fonctions d’expert structures aéronautiques, d’architecte de cohérence technique NH90, puis comme manager HIL, directeur de programme Rénovation ATL2 et enfin comme directeur du segment de management des avions de mission de l’UM AMS. Membre de l’équipe de préfiguration de la DMAé à partir de janvier 2018, il a pris le poste de chef du département pilotage des projets MCO en avril 2018. 
 
 

 

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