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Le sergent Bitur au sapeur Camember : « m’frez 4 jours pour ne pas avoir creusé le 2e trou assez grand pour y mettre sa terre avec celle du 1er trou ! »
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01 octobre 2019

Maintenance terrestre : une évolution par étapes

La Ministre des Armées avait confié à l’inspecteur général des armées-armement Vincent Imbert et au général Bernard Guillet une étude sur le MCO terrestre. Après remise de ce rapport, la Ministre Florence Parly a présenté le 23 juillet 2018 à Bruz un plan de modernisation, et l’armée de Terre a immédiatement constitué un groupe de projet chargé de mettre en œuvre les différentes recommandations. Quels en sont les fondements ?


Plutôt que de présenter ici des courbes et des graphes, d’ergoter sur les tendances, de comparer notre situation avec celle de nos principaux partenaires européens, bref de chercher à justifier ces recommandations, j’ai choisi d’insister sur les évolutions les plus difficiles et les plus lentes, dont le bon aboutissement garantira la performance dans la durée, celles que nous avons qualifié pudiquement dans notre rapport de « facteurs d’étonnement ».

Le premier facteur d’étonnement concerne la répartition des activités de maintenance. Au sein des entités étatiques tout d’abord, la théorie voudrait que les régiments du matériel (RMAT), placés sous l’autorité organique du Commandement des forces terrestres (COM-FT) assurent la maintenance opérationnelle (MO) et que les bases de soutien du matériel (placées sous l’autorité de la SIMMT) se chargent de la maintenance industrielle (MI). Mais ça c’est la théorie : la réalité est plus « contrastée » et les RMAT assurent encore 15 à 20% de la charge de maintenance à caractère industriel. En fonction des priorités opérationnelles, ces activités industrielles entrent en conflit avec les activités de MO, conduisant à privilégier la disponibilité « court-terme » au détriment du potentiel « moyen/long terme ». La séparation claire des activités MI et MO, prévue au titre du plan de transformation, est urgente et impérative pour arrêter cet effet « trou du sapeur Camember ».

Entre les entités étatiques et l’industrie privée, le constat est tout aussi étonnant. La Ministre des Armées l’a rappelé, environ 15% de l’activité de maintenance industrielle terrestre est assurée par l’industrie privée. C’est explicable si l’on se rappelle que l’une des principales entreprises industrielles du milieu terrestre français (NEXTER) s’est constituée en 1991 à partir des activités de production des arsenaux terrestres (le GIAT), les activités de maintenance restant au sein de l’armée de terre ; c’est peu si l’on compare à la maintenance aéronautique ou navale ; c’est insuffisant si l’on considère que le business model de ce type d’entreprise doit inté­grer, de plus en plus, des activités de service lui offrant une capacité à absorber les cycles de productions de systèmes technologiquement ambitieux, dont les séries sont limitées et dont la durée en service se chiffre en dizaines d’années.

Trois niveaux de responsabilité pour le MCO terrestre

- la maîtrise d’ouvrage est assurée par l’état-major de l’armée de terre (EMAT), garant du contrat opérationnel, qui exprime des besoins, alloue des ressources et contrôle l’atteinte des objectifs ;

- la maîtrise d’ouvrage déléguée est assurée par la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle du matériel terrestre (SIMMT). Elle constitue l’échelon de cohérence globale du soutien des matériels terrestres et est comptable de la performance globale dans le cadre du contrat opérationnel. En tant qu’architecte du MCO terrestre, elle assure la cohérence globale du soutien des matériels terrestres, répartit l’activité entre les différents acteurs de la maîtrise d’œuvre et définit le cadre contractuel associé ;

- la maîtrise d’œuvre, qui réalise les opérations de maintenance industrielle ou opérationnelle : la Maintenance Opérationnelle (MO), réalisée par les forces, redonne de la disponibilité, et la Maintenance Industrielle (MI), à caractère étatique ou privé, régénère le potentiel en réalisant les réparations lourdes que la MO ne peut prendre en charge.

 

L’objectif fixé par la Ministre de confier 40% des activités industrielles de maintenance à l’industrie avant 2025 est réaliste et salutaire ; pour l’atteindre , il est impératif de s’appuyer sur une stratégie claire, partagée par tous les acteurs, pilotée dans sa mise en œuvre et tirant parti des forces de chacun : capacité d’organisation de l’industrie pour absorber un flux de réparations cohérent et planifié, réactivité des entités étatiques pour faire face aux pics de charge et reconfigurer leur activité afin de répondre en temps contraint aux besoins dictés par la réalité opérationnelle.

CONFIER 40% DES ACTIVITÉS INDUSTRIELLES DE MAINTENANCE À L’INDUSTRIE…

Le deuxième facteur d’étonnement, et c’est sans doute le plus important, c’est la prise en compte encore insuffisante de la maintenabilité des systèmes dans les phases amont des programmes et opérations d’armement. Ainsi, alors même que les cours de management de projet rappellent que la phase d’utilisation représente 80% du coût d’un programme d’armement sur sa durée de vie, et que suivant la loi de Pareto, ces montants résultent directement de la manière dont ont été utilisés les 20% de coûts de recherche et de développement, il était paradoxal que le responsable du soutien en service (RSS) ne soit pas associé à un programme avant la phase de réalisation. Cette anomalie est désormais corrigée, puisque la nouvelle instruction (la « 1618 ») sur le déroulement des programmes d’armement impose l’intégration du RSS dans l’équipe intégrée de projet dès que celle-ci est constituée.

Cette correction était nécessaire. Elle permettra de prendre en compte, dès le lancement d’un programme, le souci de sa maintenabilité. Mais elle n’est pas suffisante pour garantir que ce programme sera optimisé sur sa du­rée de vie : d’une part, les processus budgétaires sont bâtis pour privilégier les arbitrages permettant des écono­mies sur le court terme… et repoussant les dépenses sur le moyen/long terme ; d’autre part, les ingénieurs, techniciens, managers de projet de la DGA ne sont pas suffisamment concernés par/impliqués dans le processus de maintenance pour rechercher, dès la phase de conception, l’optimum global souhaitable.

Cette situation n’est pas nouvelle et n’a pas nui jusqu’à présent au développement de produits compétitifs, tant en matière de performances que de coût. Mais aujourd’hui, l’entrée en service prochaine de « systèmes de systèmes », tels que SCORPION, et l’accélération des processus d’innovation obligent à procéder différemment : la possibilité d’intégrer dans les matériels, dès leur conception, des capteurs intelligents capables de fournir un « état de santé » en temps réel et d’orienter vers des processus de maintenance prédictive adaptés à l’historique de chaque matériel, l’exploitation des données ainsi récupérées pour optimiser la disponibilité des équipements, mais aussi pour servir de retour d’expérience au développement des matériels futurs, les apports de la fabrication additive et les choix auxquels elle peut conduire en matière de capacité de production et de facilité de maintenance constituent autant de ruptures qui ne peuvent être pleinement exploitées si les silos traditionnels « conception » d’une part, « maintenance » d’autre part, perdurent.

La Ministre l’a rappelé, la SIMMT doit devenir la véritable agence de maîtrise d’ouvrage du MCO Terrestre. Elle peut s’appuyer pour cela sur ses propres compétences ainsi que sur celles qui existent au sein de la DGA dans le domaine contractuel comme elle le fait déjà. Mais au-delà des enjeux d’organisation et de commandement, le MCO terrestre est également porteur de formidables défis en matière de technologies, d’innovation et de management de projets, défis qui doivent pouvoir bénéficier de la compétence du cœur de métier de la DGA : la mise en œuvre de parcours professionnels croisés entre ces deux organismes, permettant aux ingénieurs et techniciens de s’investir dans des activités de soutien et d’en faire partager les enjeux pour les programmes futurs, peut être un facteur essentiel de cette démarche dans laquelle cha­cun trouvera son intérêt. 

    
Vincent Imbert, IGA, Inspecteur général des armées - Armement
 
Vincent Imbert a effectué l’ensemble de sa carrière au sein de la DGA. Il a été successivement directeur de programmes (RITA, PR4G, char Leclerc), directeur de l’ETBS (aujourd’hui DGA Techniques Terrestres) à Bourges, chef de service de programmes (SPART, SPOTI), directeur technique puis directeur général adjoint de la DGA. Il est aujourd’hui Inspecteur général des armées – Armement, auprès de la Ministre des Armées. 
 
 

 

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