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L'A400M arrive à Clermont-Ferrand
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01 octobre 2019

Programmes en coopération : et le MCO ?

Si l’A400M est né en coopération, rien de très engageant entre les partenaires n’était véritablement prévu sur la maintenance de cet appareil à la signature du contrat. Malgré des avantages clairs en termes financiers et d’interopérabilité, le mémoire d’entente (MOU) concernant la maintenance laissait en effet toutes les possibilités de coopération, ou non, selon les stratégies propres à chaque pays. Dans cet environnement, un rôle majeur sera confié dès 2012 au Service Industriel de l’Aéronautique (SIAé), outil d’autonomie étatique en matière de MCO Aéronautique.


Un démarrage difficile

A la livraison du premier A400M en aout 2013, on ne peut pas dire que l’ensemble des éléments de soutien de l’appareil était parfaitement en place, ni qu’il ait fait l’objet de longues discussions entre les partenaires du programme. Le contrat unique de développement et de production de l’A400M signé en 2003 permettait à chaque pays partenaire d’acheter les éléments pour élaborer le système de soutien qu’il désirait : pièces de rechange, outillages spécifiques ou standards, lots de bords, simulateurs, documentation... La France, « compagnie de lancement » de l’A400M, avait décidé d’acheter un premier lot de rechanges et d’en confier la gestion à Airbus au travers d’un guichet sur la base aérienne d’Orléans. Ce premier contrat de soutien de 18 mois, appelé FRISS (FRench In Service Support), apportait également un soutien technique sur Orléans pour aider l’armée de l’air à apprivoiser son petit dernier. La Turquie, deuxième nation livrée, a eu sensiblement la même approche avec un contrat national. La coopération pour le soutien était donc plutôt mal partie.

Mais comme dans tout programme en coopération, seule une volonté politique forte pouvait faire aboutir un projet de coopération sur la maintenance de cet appareil. Cette volonté a été actée dès 2010 entre la France et le Royaume-Uni dans le cadre des accords de Lancaster House. L’objectif était donc d’avoir un contrat de soutien commun FRUK à l’arrivée du premier appareil britannique fin 2014. Pourtant, sur le terrain, les discussions entre les deux pays sont dès le début très difficiles : pour la gestion de pièces de rechange (cœur du soutien et part principale des montants financiers), la France souhaite mettre en place des quantités de rechanges définies qu’Airbus gère et répare (comme pour le FRISS), alors que le Royaume-Uni souhaite un service de disponibilité des pièces, Airbus décidant lui-même des quantités nécessaires à acheter. Deux visions opposées !

Les fiançailles ont finalement lieu en février 2014, lorsque chaque partenaire accepte de faire un pas vers l’autre. L’un parce que la garantie d’une disponibilité de certaines pièces critiques était séduisante, et l’autre parce qu’il ne pouvait se payer un tel service sur l’ensemble des rechanges.

Le contrat FR-UK est signé fin 2014, juste pour l’arrivée du premier appareil britannique dans la Royal Air Force, sur la base d’un stock de pièces de rechange commun, réparti entre Orléans et Brize Norton. Les premières pièces achetées dans le cadre du FRISS ont alors été intégrées dans ce stock unique. La première véritable pierre de la coopération sur le soutien de l’A400M était posée.

Une poursuite laborieuse

Contrairement aux craintes des détracteurs de ce contrat (il va me piquer mes pièces et les abîmer !), ce premier contrat a donné une grande satisfaction de part et d’autre de la Manche dans son fonctionnement, et finalement très peu de conflits de pièces se sont posés.

L’Allemagne, qui recevait son premier appareil quelques mois plus tard n’avait pas voulu jouer le jeu. Elle trouvait l’idée d’avoir un contrat national, pour soutenir la mise en service de ses premiers appareils comme la France et la Turquie, du meilleur goût. Elle n’a donc pas profité de l’opportunité FR-UK pour monter dans le train, et ainsi faire des économies d’échelle sur son stock de rechange. Le principe a été de dire: « on va regarder comment le jeune couple s’en sort avant de décider ! » En attendant, l’Allemagne achète ainsi son propre stock de rechanges.

La deuxième opportunité de coopération arrive avec la livraison du premier appareil espagnol courant 2016. Au vu du ticket d’entrée pour constituer un stock de pièces de rechange, l’Espagne ne va pas hésiter très longtemps. Le contrat appelé Global Support Step 1 est signé en novembre 2016. S’enclenchent alors près de 3 ans de discussions avec l’Allemagne, la Turquie et la Belgique pour arriver au fameux contrat de soutien global en coopération : le 30 juin 2019, le Global Support Step 2 est signé par les 6 pays partenaires. Un seul regret, l’Allemagne et la Turquie garderont leur propre stock de rechanges, même s’ils participeront à un stock commun de gros éléments structuraux de l’avion.

Un A400M en "check"

Positionnement du SIAé

Si dans les contrats de MCO Aéro la partie rechanges (pièces neuves et réparées) est souvent la grosse part des coûts de maintenance, la partie entretien de l’avion et de son moteur reste stratégique pour la maîtrise du produit et l’autonomie éventuelle qu’un pays souhaite garder sur l’appareil complet. Conscient de cet enjeu, le Ministre de la défense Jean-Yves Le Drian décide ainsi en 2012 que l’entretien des avions français et de leurs moteurs se ferait au SIAé. Cette décision nationale allait se révéler stratégique non seulement pour la montée en compétence de l’armée de l’air, mais également pour le service de la coopération. Sur le moteur par exemple, le SIAé a été le premier à maîtriser et à optimiser les opérations de démontage du moteur. Il est devenu, et reste aujourd’hui un référent technique majeur pour les 4 partenaires industriels d’EPI (EuroProp International) sur les opérations de maintenance et de rétrofit du moteur, qui ont été particulièrement lourdes durant les premières années d’exploitation de l’appareil !

Pour la maintenance de l’avion, le SIAé a investi dès 2012 dans la construction d’un hangar gros porteur et l’AIA de Clermont-Ferrand a effectué la première visite d’entretien d’un AIA début 2015, sur le premier numéro de série livré, le MSN 7. Cette même année, l’AIA de Clermont-Ferrand a également été le premier atelier à recevoir la certification EMAR145 pour l’A400M. Il s’agissait de la première remise d’un agrément EMAR à un organisme d’entretien en France.

Cette certification conduit à une reconnaissance mutuelle des activités de maintenance par chaque partenaire qui détient également cette certification. Elle permet entre autre d’assurer la maintenance au profit d’un appareil étranger, avec des documents certifiant la réalisation de la révision directement acceptables par le pays. Le SIAé traite aujourd’hui la maintenance lourde de 4 à 6 appareils par an, et poursuit sa montée en puissance, avec l’industrialisation des visites d’entretien à 6 ans, la mise en place d’un troisième stand de maintenance, et la recherche de davantage d’autonomie technique.

En conclusion

Après une première pierre posée en 2014, on peut dire que les fondations de la coopération sur la maintenance de l’A400M sont maintenant établies. Même si l’absence de l’Allemagne, de manière probablement définitive, dans le stock commun de rechanges, ne permettra pas d’atteindre les niveaux que l’on aurait pu espérer en matière d’économie, d’interopérabilité et d’homogénéité de flotte, il est certain que le contrat signé fin juin 2019 servira de catalyseur pour avancer plus avant dans la construction de cette coopération.

Et il n’est pas impossible que ce modèle puisse inspirer de nombreux autres programmes d’armement aujourd’hui en gestation.

    
Tanguy Lestienne, IGA
 
Après une première partie de carrière au centre d’essais en vol sur les programmes M2000 et Rafale, il occupe le poste d’architecte A400M avant de devenir chef de la section JISR à l’OTAN à Norfolk. A son retour des Etats-Unis, il est nommé DP A400M et s’occupe de la phase de mise en service de ce nouvel appareil : mise en place du soutien, développement des capacités militaires et montée en puissance de la production. Il est aujourd’hui directeur de l’AIA de Clermont-Ferrand au SIAé.
 
 

 

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