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La gestion du trafic basse altitude et la gestion des missions prioritaires sont prévues dans la future règlementation U-space européenne. © ADP 
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28 mars 2022

DRONE CIVIL OU MILITAIRE,
UNE RÉGLEMENTATION POUR QUOI FAIRE ?

Le taxi volant est un nouvel objet qui va bientôt circuler dans l’espace aérien, en particulier au-dessus des zones urbaines. Face à la multiplication de ces aéronefs demain, la question de la cohabitation entre trafic civil et militaire se pose, en particulier en matière de réglementation. Un enjeu décrypté avec l’expertise duale d’Airbus Helicopters.


La réglementation qui s’applique au drone taxi urbain est-elle balbutiante à l’image de ce secteur en plein développement ? Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’Europe l’a déjà lancée il y a 5 ans maintenant. Et il reste beaucoup à faire notamment en matière de sécurité aérienne. 

En 2025, toutes les réglementations européennes civiles devraient être disponibles pour la certification des appareils, les opérations et le trafic aérien. Pour ce dernier, le vrai enjeu de cohabitation, notamment avec les aéronefs militaires, c’est le U-space (le U pour Unmanned - espace aérien où évoluent des drones non-pilotés). C’est un espace aérien que l’on pourrait imaginer comme une bulle, généralement au-dessus d’une ville, pour lequel il y aura : un administrateur, un opérateur et les exploitants d’aéronefs. 

Cette séparation des trois responsabilités est définie dans un texte qui existe déjà, proposé par l’EASA, et qui rentrera en vigueur dans les 3 à 4 années qui viennent. 

Ce qui manque aujourd’hui, c’est le protocole de communication entre les appareils et le centre qui traite des données car c’est un système automatisé de gestion de trafic aérien qui sera déployé. Un domaine qui suscite des interrogations aujourd’hui dans la sphère militaire car, bien évidemment, les appareils des forces doivent pouvoir intervenir en tous lieux et en toutes circonstances. 

La question sur la table aujourd’hui concerne principalement la basse altitude, dans cet espace commun géré de manière commune. Prenons un exemple pour illustrer cette situation : un hélicoptère étatique qui devrait traverser un U-space disposera d’un ordre de priorité qui aura pour conséquence d’interrompre le trafic des drones ou que les drones restent dans un couloir précis en attendant que l’appareil prioritaire soit passé. La différence avec la situation actuelle tient dans la mission : vol direct aujourd’hui en liaison avec un contrôleur aérien alors que demain l’appareil devra contacter l’ATM (Air Traffic Management), un système numérique automatisé donnera cette information au fournisseur pilotant le U-space pour donner en retour l’autorisation de survol. Un protocole de vol qui suscite donc des questions auxquelles l’EASA attend des réponses des autorités nationales face à ces textes européens déjà publiés. 

Si les pratiques actuelles permettent la co-gestion entre un contrôleur aérien militaire et un contrôleur civil, demain, c’est un système automatique qui sera donc en place. La gestion du trafic basse altitude et la gestion des missions prioritaires sont prévues dans la future réglementation U-space européenne. Pour rassurer, je tiens à dire que le niveau d’exigence des performances des systèmes permettra une identification en continu et en temps réel de tous les objets volants non-pilotés dans une zone déterminée, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La connaissance du trafic réel sera ainsi renforcée, autant que la sécurité aérienne. La prérogative d’intervention dans ce milieu sera naturellement maintenue pour assurer les missions régaliennes. Une adaptation des aéronefs sera cependant nécessaire pour s’adapter à ces nouveaux protocoles, autant que la formation des pilotes face à ces nouvelles procédures dans ce nouvel écosystème aérien numérique.

Le concept opérationnel du vol en basse altitude va donc changer en profondeur. En ce qui concerne la conception des appareils eux-mêmes, les VTOLs (Vertical TakeOff and Landing), une règlementation temporaire est en place : une condition spéciale, qui est applicable à tous les constructeurs et qui existe depuis bientôt 3 ans. Elle est suffisamment mature pour certifier un taxi-volant d’un point de vue réglementaire. Leur mise en œuvre et les moyens de conformité sont, eux, en développement. Ces standards (à l’élaboration desquels Airbus Helicopters participe) pour ne citer qu’eux, ont pour objet de préciser les exigences de la réglementation orientées sur la performance.

 

L’adaptation de la réglementation existante aux futurs drones militaires et civils est un enjeu de taille. © Th. Rostang – Airbus Helicopters 

Prenons un exemple : aujourd’hui, dans la conception d’un hélicoptère ou d’un avion, il est acceptable d’avoir des scénarios de panne ou de rupture unique qui ont pour conséquence la perte de l’aéronef. Ces pannes ou ruptures ne doivent pas avoir une occurrence supérieure à 1 sur 1 milliard par heure de vol. Pour des VTOLs non pilotés, c’est interdit. Aucune panne et aucune rupture unique ne peut avoir comme conséquence la perte de l’aéronef, autrement dit, les pièces critiques sont interdites. Tout chemin d’effort doit être redondé, idem pour les systèmes, ils ne doivent pas faillir. La panne ne doit pas interrompre la mission qui doit se poursuivre (Continued Safe Flight and Landing) sans atterrissage d’urgence !

Le niveau d’exigence réglementaire, supérieur à celui de l’aviation commerciale, élève donc le niveau technologique exigé… en Europe, car, aux États-Unis, le niveau est moindre puisque la réglementation de l’aviation de tourisme est le point de départ. La technologie est là cependant pour répondre à ces exigences. Je pense au choix que nous avons fait de la propulsion électrique distribuée par exemple. Un acteur comme Airbus Helicopters dispose des compétences et du savoir-faire pour prendre part à ce défi technologique autant que pour répondre à cette aspiration de nos sociétés pour une aviation décarbonée et sûre. Aucun compromis ne sera fait sur la sécurité pour ces appareils qui auront, dans un premier temps, un pilote à bord.  

 

 

Une réglementation pour le drone naval ?

Quittons le monde civil pour passer au drone militaire pour lequel Airbus Helicopters développe le VSR 700 dans sa version « SDAM » (Système de Drone Aérien Marine), prévue pour la Marine Nationale Française. Ce drone-hélicoptère 100% autonome embarquera une boule optronique et un radar et agira en véritable éclaireur pour les frégates sur lesquelles il sera déployé.

Si ce drone opère en pleine mer et sans passagers, on pourrait légitimement penser qu’il peut s’affranchir d’une réglementation contraignante. Ce n’est pas encore le cas. La réglementation qui s’applique aujourd’hui est directement dérivée du standard aéronautique civil. En revanche, cette réglementation est en cours d’adaptation aussi bien au niveau national (DGA) qu’européen (EASA) de manière à permettre à terme d’adapter les contraintes de navigabilité actuelles aux spécificités des missions de drones militaires.   Le début de déploiement en opération des systèmes de drones militaires coïncide aujourd’hui avec le calendrier de mise en service des taxis volants, vers 2024-2025. A cette échéance il faudra connaître avec précision les critères de certification qui devront être appliqués car ces derniers influencent directement les choix d’architecture, de design et donc le prix des futurs produits drones de série. L’adaptation de la réglementation existante aux futurs drones militaires et civils est donc un enjeu de taille. Son succès repose sur une coopération étroite entre nos équipes et les autorités de navigabilité et il est clair que l’expérience que nous avons acquise depuis de nombreuses années au travers de nos différents programmes militaires et civils constituera un atout majeur. 

 

 

 

 

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Bruno Even, ICA, Directeur Général d’Airbus Helicopters

Bruno Even est Directeur Général (CEO) d’Airbus Helicopters et membre du Comité Exécutif d’Airbus depuis avril 2018. Il a commencé sa carrière en 1992 au Ministère de la Défense puis au Ministère des Affaires Étrangères. Il a rejoint Airbus après avoir occupé plusieurs postes de direction dans le groupe Safran. Bruno Even est diplômé de l’École Polytechnique et de l’ISAE-SupAéro.

 

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