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Réglementation militaire : cinq niveaux, deux environnements
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28 mars 2022

ÉVITER QUE LE CIEL NOUS TOMBE SUR LA TÊTE

Afin que civils et militaires puissent démontrer un niveau de sécurité acceptable associé à l’usage des drones, une réglementation évolutive s’est progressivement en place. La France a été la première à en développer une, tant chez les militaires que les civils. Mais la réglementation peine à suivre l’évolution très rapide des matériels et des usages.


Pourquoi a-t-il fallu réinventer la réglementation de sécurité aérienne pour les drones ?

La sécurité aérienne repose sur 4 piliers : l’habileté des intervenants (pilotes, contrôleurs ou encore maintenanciers), la gestion du trafic aérien et la fourniture de services à la navigation, l’exploitation des aéronefs et des plateformes aéroportuaires et enfin, la sécurité intrinsèque des vecteurs aériens ou navigabilité. Ces piliers sont conduits par différents acteurs étatiques ou industriels, réglementairement et juridiquement responsables, dans un environnement dit « contrôlé ».

La réglementation de la sécurité aérienne des aéronefs « avec personnes à bord », est très étoffée et capitalise un siècle d’expérience et de technologies, souvent développées spécifiquement pour le monde aéronautique, selon le postulat que la protection de l’humain « à bord » permet de garantir les objectifs de sécurité.

A contrario, les vecteurs aériens des systèmes de drones sont (encore) quasiment exclusivement inhabités, ce qui rend la protection des tiers au sol et des autres usagers de l’espace aérien primordiale. Ainsi, un système de drones évoluant au-dessus de zones dépeuplées et dans un espace ségrégué, présente un faible niveau de risques. Et il serait inconcevable d’appliquer les mêmes contraintes réglementaires à des aéronefs dont la masse va de quelques grammes à plus de 10 tonnes (futur MALE européen). 

Par ailleurs, la fonction liaison de données est un maillon faible d’un système de drones, car elle ne répond pas à ce jour au niveau des performances de « continuité » exigées de l’aéronautique (10-5 pannes par heure de vol). La sécurité aérienne d’un drone nécessite donc la connaissance absolue de son comportement en cas de perte de liaison de données.

On ne s’étonnera donc pas que la réglementation de la sécurité aérienne des drones, bien que s’appuyant sur l’expérience de l’aviation habitée, doive être revisité pour répondre à toutes ces spécificités, entre autres. 

Dans le domaine militaire, un arrêté a été pris fin 2013, sous l’égide d’une dérogation propre aux vols non habités, inscrite à l’article 11 du fameux décret 367 dit « navigabilité » d’avril 2013. Cet arrêté définit 5 catégories de drones s’étageant de M-0 à M-IV, selon leur masse et les conditions d’exploitation (voir encadré) et deux environnements d’exploitation : sensible ou non sensible Les exigences sont alors proportionnées selon ces deux critères. 

Dans le domaine civil, la France a été un pays précurseur en mettant en place une réglementation dès 2012, sous l’égide de la DGAC. Puis, un lourd processus d’harmonisation a donné naissance à un règlement européen, certes relativement tardif (mai 2019) mais néanmoins précurseur lui aussi, parce que non seulement il comble la césure entre vols avec personnes et (pour le futur) sans personne à bord, mais aussi, il offre un cadre spécifique aux exploitations spécifiques pour un usage professionnel (voir encadré). Cependant, les conditions d’intégration de ces aéronefs dans la circulation aérienne, et notamment le respect de la fameuse règle du « voir et éviter » ne sont encore pas définies.

Quelles orientations pour les années qui viennent ? 

L’avenir de la sécurité aérienne des systèmes de drones ne sera pas de tout repos. 

Le domaine des drones aériens est soumis à une pression d’innovation extrêmement forte, et les constructeurs sont plus souvent aujourd’hui issus du secteur électronique qu’aéronautique, ce qui peut expliquer (outre une des spécificités évoquées ci-dessus) que la fiabilité ne soit pas toujours au rendez-vous, voire même, motiver quelques retraits de service anticipés (cas du DROGEN par exemple). De plus, le travail associé à la démonstration de sécurité a été appréhendé de manière inégale, par les industriels (retard du SDT ou de la certification du SMDR).

L’aéronautique est un milieu dual par nature. A l’instar des aéronefs « habités », une convergence des réglementations civiles et militaires facilitera l’émergence de produits plus immédiatement utilisables dans des conditions de sécurité acceptées d’un point de vue sécurité. 

Le Ministère des armées et la DGA en particulier ont entrepris cette démarche. D’ores et déjà, la catégorie « OPEN », qui couvre les très nombreux drones de loisir et de prise de vue, est reconnue par la DGA au travers d’une circulaire de reconnaissance des autorités civiles, et toutes les parties prenantes du ministère des Armées préparent une refonte de l’arrêté « drones » pour aller dans ce sens, sous l’égide de la Direction de la Sécurité Aéronautique d’Etat.

 

 Réglementation des autorités militaires françaises de navigabilité : cinq niveaux, deux environnements

La réglementation de navigabilité des aéronefs d’état français repose notamment sur deux décrets. L’un définit les conditions de délivrance du certificat de type d’un aéronef et la gestion du niveau de sécurité de sa définition, tout au long de son cycle de vie (suivi de navigabilité) ; l’autre le maintien en conditions de navigabilité de chaque aéronef du type.

Le décret 367 dit « navigabilité », introduit dans son article 11 la possibilité de déroger aux règles des aéronefs circulant avec personnes à bord afin d’adapter la réglementation à la spécificité des drones.

Ainsi, le 24 décembre 2013 est publié au journal officiel un arrêté dit « drones » qui définit 5 catégories de drones de M-0 à M-IV, selon leur masse et les conditions d’exploitation : captif, sous contrôle de vol manuel (en vue) ou non.

Les exigences réglementaires sont progressives de M-0 à M-IV. Pour les catégories inférieures, M-I en particulier, pas de certification du type, pas de document de navigabilité, pas d’environnement contrôlé en matière de maintien de navigabilité … 

Cet arrêté définit également un environnement classé sensible chaque fois que :

« – les risques pour les autres usagers de l’espace aérien en cas de sortie du volume d’évolution prévu ne sont pas réduits par un système dédié ;

– la densité de population se trouvant sous le volume d’évolution prévu est élevée. »

Ainsi, chaque système de drones d’État français sera classé dans l’une des 5 catégories et les conditions associées d’opérations en espace non sensible par la DGA en tant qu’autorité technique de navigabilité. En particulier, cet espace non sensible définira les critères à respecter pour déterminer un volume de sécurité en fonction de l’altitude de mise en œuvre du drone, de sa vitesse maximale d’évolution et des conditions de vent maximales acceptables. Ce volume de sécurité devra être ségrégué afin d’éviter d’éventuelles collisions aériennes et la zone à l’aplomb de celui-ci ne devra pas être accessible aux tiers ou limitée à une densité de population ramenant la probabilité de blesser une personne à un niveau acceptable. Pour les systèmes de drones mis en œuvre dans un environnement « sensible », les exigences techniques à démontrer font l’objet de 4 STANAG qui servent de codes techniques de base pour les vecteurs aériens :

• 4671 pour les systèmes de drones lourds à voilure fixe (> 150 kg)

• 4702 pour les systèmes de drones lourds à voilure tournante (> 150 kg)

• 4703 pour les systèmes de drones légers à voilure fixe

• 4746 pour les systèmes de drones légers à voilure tournante

Là encore, la DGA adapte le code technique en fonction du vecteur (entre 150 kg et 2 kg, on comprend bien qu’un certain nombre d’exigences peuvent être modifiées) ou de son environnement d’évolution (l’environnement électromagnétique des navires est par exemple souvent plus contraignant que ce que les STANAG imposent).

 

 

 Réglementation civile pour les drones : trois catégories, et des niveaux de risques

La France, par l’intermédiaire de la DGAC, a été un pays précurseur en matière de réglementation pour les drones civils. A l’été 2018, la commission et le parlement européens ont adopté la nouvelle réglementation de base (Basic Regulation) de l’Agence de l’union Européenne pour la Sécurité Aérienne (AESA) qui acte désormais sa responsabilité en matière de drones au détriment des agences nationales à compter de 2025.

La réglementation européenne institue trois catégories de drones : « Open », « Specific » et « Certified ».

La catégorie « Open » a été la première à être réglementée au niveau européen car elle couvre notamment les drones de loisir et des drones de prise de vue professionnels dont la quantité a explosé depuis 2015. A l’instar des réglementations civile et militaire française préexistantes, l’AESA a introduit 5 catégories de drones jusqu’à 25 kg, de C0 à C4, selon leur masse, altitude de vol, vitesse maximale et conditions d’exploitation (hors ou en vue). Le survol de population pour chacune de ces catégories est soit interdit, soit extrêmement limité. Pour chacune de ces catégories, seul un marquage CE adéquat est exigé pour le vecteur aérien concerné.

La catégorie « Certified » est réservée aux drones de grande taille circulant dans les mêmes espaces aériens que les avions de transports ou emmenant des passagers. La réglementation applicable n’est pas encore finalisée mais elle sera héritée, et donc au moins aussi exigeante, de ce qui existe pour l’aviation habitée, les sujets segment sol, liaisons de données et intégration dans la circulation aérienne en plus. Cette réglementation est annoncée pour le courant de l’année 2022.

La nouveauté consiste en l’introduction de la catégorie « Specific » qui vise à répondre aux usages professionnels innovants des systèmes de drones. L’idée de base de la réglementation applicable à cette catégorie est de graduer les exigences au niveau de risque associé au concept d’emploi du système de drones. Cette catégorie devrait être utilisée par exemple pour le drone S100 de Schiebel lorsqu’il est mis en œuvre en pleine mer depuis le pont d’un navire disposant d’équipements de surveillance du trafic aérien et immédiatement en survol maritime. Dans cette catégorie, le scénario et le système de drones envisagé sont analysés au travers d’une méthodologie SORA : Specific Operation Risk Assessment. De cette analyse, résulte un niveau de SAIL (Specific Assurance and Integrity Level) gradué de 1 à 8 qui détermine le niveau des 24 OSO (Operational Safety Objectives) à démontrer pour le vecteur, les dispositifs de sécurité, l’environnement d’exploitation ou encore les compétences des personnels.

Pour simplifier, un SAIL jusqu’à 4 ne nécessite que des démonstrations de sécurité assez simples pour lesquelles les moyens de démonstration de conformité conventionnels de l’aviation habitée ne s’appliquent pas. En revanche, dès que le niveau 5 est atteint, des standards comme ceux de la qualité de développement logiciel (DO178) vont s’appliquer.

Une fois l’analyse et les démonstrations réalisées, c’est le scénario opérationnel alliant un vecteur aérien de conception suffisante, des opérateurs de conduite et/ou de maintenance aux compétences appropriées, un environnement spatial d’exploitation défini qui est alors « certifié » soit de façon générique, soit pour un usage particulier.

 

 

 

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Patrick Hadou, IGA, Direction technique de la DGA

Une carrière entièrement technique consacrée à l’aéronautique et l’espace, au sein du SIAé, du CNES, mais également en préfecture de région PACA, a conduit l’IGA Patrick HADOU à la fonction de responsable du pôle architectures et techniques des systèmes aéronautiques et délégataire de l’autorité technique de navigabilité des aéronefs d’Etat.

 

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