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L’utilisation de drones kamikases change les rapports de force
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12 juin 2024

L’ADAPTATION FACE AUX CONFLITS
UN CATALYSEUR POUR LA DÉFENSE DU FUTUR

Les conflits actuels en Ukraine et à Gaza et les tensions en Mer Rouge nous confrontent à de nouveaux risques et opportunités. Ils illustrent la menace réelle que constituent des armes parfois conçues à partir de technologies largement accessibles, y compris dans le monde civil, ou au contraire l’opportunité que constituent les moyens commerciaux, de communication notamment. Ces théâtres d’opérations mettent en lumière l’incertitude et la complexité accrues du monde ainsi que la difficulté d’anticiper, et nous invitent à sortir des modes de pensée traditionnels. Ils sont également riches d’enseignements pour ceux qui, au ministère des armées, préparent les futures capacités militaires et nous encouragent à oser élargir le spectre des scénarios prospectifs à explorer pour préparer les systèmes d’armes de demain. 


La supériorité technologique reste-t-elle un facteur aussi important qu’auparavant pour la supériorité opérationnelle ? L’aptitude d’un système à évoluer tend-elle à devenir plus importante que la performance elle-même, pour être en mesure de s’adapter à des contextes et menaces en mutation rapide ? Au-delà de notre base industrielle et technologique de défense, qui porte une part importante de notre souveraineté, quelles opportunités pourraient résider dans notre industrie civile et pour quelles capacités militaires ? Telles sont les interrogations que soulève le présent contexte. 

Quelle exploitation du retour d’expérience pour les systèmes d’armes futurs ? 

Les systèmes et armements sont confrontés, au-delà de leurs performances et fonctionnalités initiales, à l’enjeu d’intégrer, au cours de leur cycle de vie, les besoins qui émergent des nouveaux cas d’usage, contextes d’emploi ou menaces. En effet, alors que les programmes d’armement s’échelonnent sur le temps long, il est difficile de produire des systèmes adaptés au contexte dans lequel ils seront réellement utilisés sur souvent plusieurs décennies. L’hélicoptère Tigre par exemple, conçu pendant la guerre froide, a été largement employé en opérations extérieures dans des contextes asymétriques et a bénéficié, depuis sa mise en service, d’évolutions modérées. À l’heure actuelle, l’observation du théâtre ukrainien interroge la vulnérabilité de l’hélicoptère de combat. En parallèle, les drones kamikazes et les munitions téléopérées, absentes des champs de bataille il y a seulement quelques années, sont aujourd’hui largement utilisées pour l’appui des troupes terrestres et l’attaque dans les arrières de l’adversaire, voire même dans la profondeur pour frapper des cibles logistiques, des postes de commandement ou des installations industrielles. 

Nous sommes actuellement confrontés à cette variabilité et à cette incertitude sur les opportunités futures et les risques qui pèsent sur la pertinence de choix antérieurs en termes de performances et de design ab initio. Un nouveau dilemme apparaît : pousser l’optimisation, comme cela a souvent été le cas par le passé, au risque de rigidifier et de se mettre dans les conditions d’une sorte d’obsolescence programmée de nos armes, ou bien prendre en compte dans l’ingénierie de spécification et de design la nécessité de l’évolutivité. Il nous revient, pour nos investissements majeurs et nos systèmes à long cycle, de dorénavant choisir des architectures plus ouvertes, de réserver des marges de conception augmentant l’aptitude d’un système à accueillir des effecteurs, des senseurs, des moyens de communication ou des services numériques au cycle court, bénéficiant des apports de l’intelligence artificielle, et ce tout en pesant les enjeux techniques et financiers immédiats induits par de tels choix. 

L’opportunité des capacités industrielles civiles pour produire des armes ?


Les technologies, produits et opérateurs civils représentent un potentiel croissant d’augmentation de nos capacités d’action qu’il s’agirait d’exploiter dans un contexte d’économie de guerre. 

« DES DESIGNS TIRÉS PAR LA SOLUTION » 

Le recours à Starlink par les troupes ukrainiennes illustre la supériorité opérationnelle qui peut être atteinte grâce à l’intégration réussie d’une technologie civile à une tactique opérationnelle. Au-delà de cet exemple, le dynamisme de l’écosystème privé du newspace fait émerger de nombreuses opportunités de technologies et services à double usage. De la même manière, l’électronique civile peut être largement suffisante pour le guidage d’un engin et l’intelligence artificielle, plus généralement le numérique, permettra d’ajouter de la valeur opérationnelle dans les systèmes d’armes en boucle courte. Au-delà de notre seule base industrielle et technologique de défense, la France dispose également d’ingénieurs de haut niveau et d’industriels de toutes tailles qui seraient, si nous devions monter en puissance, en mesure de concevoir et de produire en masse des armements, tout comme des biens et services pour le marché civil. L’enjeu pourrait être, dans le contexte actuel, non pas de mobiliser leurs compétences mais d’évaluer leur aptitude à être mobilisés. Pour cela, encore faut-il en avoir connaissance, anticiper leur émergence et surtout détecter et préparer le recours aux industries qui pourraient augmenter nos capacités dans un contexte de guerre. Il s’agit de créer les conditions qui permettront cette contribution.

Starlink permet aux forces ukrainiennes d’avoir accès à l’internet sur le front 

Les technologies civiles, par l’étendue de leurs cas d’usage et de leurs marchés cibles bénéficient parfois d’économies d’échelle qui leur permettent d’atteindre un coût faible comparé à leur niveau technologique. Ce contrôle des coûts facilite leur dissémination comme leur appropriation. De même, des logiques low tech, favorisant par exemple la masse sur la sophistication, montrent tout leur sens sur les théâtres d’aujourd’hui, en compléments ou face à des équipements high tech, souvent en faible quantité. L’enjeu pourrait être double : d’une part continuer à tirer parti des technologies issues du monde civil en réponse à nos besoins militaires, dans une logique high tech enough, et d’autre part créer une dynamique forte de simulation et tests, pour faire émerger et entretenir des designs tirés par la solution dont l’essentiel serait issu de l’assemblage de technologies issues du monde civil, activables en cas de besoin. La R&T, qui bénéficie d’un effort accru dans le cadre de la présente loi de programmation militaire, pourrait être dévolue à cette logique de conception de démonstrateurs low cost high tech. 

Quand il s’agit d’assurer la résilience de notre défense nationale, dans un contexte aussi incertain et d’aussi forte évolutivité qu’aujourd’hui, toutes les pistes doivent être explorées. En ce sens, l’anticipation stratégique et l’innovation, placées au cœur des missions de la DGA dans la vision stratégique du Délégué général pour l’armement, ont un rôle cardinal à jouer. Actuellement, l’adaptation de l’expression des besoins militaires, mais également de la manière d’y répondre, est en cours. Si les industriels de la défense ont massifié leurs investissements et bénéficient d’une conjoncture favorable, tant pour le marché intérieur que pour l’export, le potentiel du secteur industriel civil reste encore largement à exploiter. En termes de production, cartographier largement et concrètement ce qu’il pourrait rapidement offrir sur étagère contribuerait à la démarche « économie de guerre ». L’objectif est d’être prêt à être prêt. 

 

 

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Olivier Beaurenaut
Olivier Beaurenaud, IGA, Chef du service d’architecture du système de défense Olivier Beaurenaut (X, SupAéro) a été adjoint au chef du service des recherches et technologies de défense et de sécurité. En 2013 il est chargé du système de défense « Engagement Combat » au service d’architecture des systèmes de forces. Directeur de DGA Techniques Terrestres en 2017, il devient directeur de l’unité de management « opérations d’armement terrestre » en 2020. Le 1er septembre 2023, il est nommé Chef du Service d’architecture du système défense.
 
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Noémie Gélis
Noémie Gélis, Chef de bureau développement et analyses de la Cellule d’anticipation stratégique. Noémie Gélis (SciencesPo) débute à la DGA en 2023 en tant que stagiaire auprès du Directeur, adjoint à l’anticipation stratégique auprès du DGA.
 

Auteurs

Noémie Gélis

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