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01 octobre 2020

L’ADIEU DU « TONNANT »

Publié par Chantal Quimerc’h | N° 121 - Sous-marins

Déconstruction de la première génération de sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE)

Alors que la troisième génération de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins est en cours de définition et que la seconde génération sillonne les océans, que deviennent les sous-marins de la première génération ? Le « Redoutable », premier SNLE se dévoile au public du musée de la Cité de la Mer à Cherbourg. Non loin, au coeur de l’« Arsenal » où ils sont nés, ses cinq frères tirent leur révérence, avec la discrétion qui caractérisa toute leur vie.


 

Un site de déconstruction taillé sur mesure

Septembre 2018. Un ancien bas­sin a repris vie chez Naval Group à Cherbourg. Les 6000 tonnes d’acier de l’ex-SNLE « Le Ton­nant » s’y imposent sur 100 m de long et 10 m de diamètre. Cet an­cien système nucléaire militaire n’a plus rien d’un système d’armes depuis son désarmement fin 1999, ni de nucléaire depuis la libéra­tion de sa coque en 2012, après les opérations de démantèlement nucléaire (voir encadré). L’étape ultime du retrait de service est lan­cée : la déconstruction.

Dès les premiers jours, 9 tonnes de moules sont retirées de la coque. Elles s’y étaient accumulées en at­tendant, à flot, que les coques des autres ex-SNLE soient également « libérées » sur le plan nucléaire pour être déconstruites en série.

Le marché de déconstruction a été notifié à Naval Group par la Délé­gation Générale de l’Armement fin 2016. Il fait suite à un premier marché mettant à jour l’inventaire des matières potentiellement dan­gereuses à bord (aussi appelé « passeport vert »), définissant un processus de déconstruction opti­misé, et des installations dédiées : création d’une enceinte indépen­dante, remise en service du bassin, du bateau-porte, de la station de pompage, et construction d’instal­lations de désamiantage mécanisé et de tri des déchets.

Le site répond aux enjeux : opti­misation du processus, sécurité, environnement et respect de l’au­torisation d’exploiter obtenue du préfet.

Priorité à l’environnement et la santé

Le marché est clair : les activités doivent minimiser les impacts sur l’environnement et la santé hu­maine, aussi bien de la population que des travailleurs. La DGA a libre accès au site pour vérifier la bonne application de la réglementation. La conformité à l’autorisation d’ex­ploiter est également contrôlée par la Direction Régionale de l’En­vironnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) : bruit, qualité de l’air aux alentours du chantier... La sécurité et la santé de ses travailleurs et sous-traitants est une priorité pour Naval Group. Une question d’image aussi : le chantier de déconstruction se fait une place respectable au sein du site de construction neuve des sous-marins. Les arrêts de travails accidentels sont nettement moins importants que la moyenne des autres chantiers de déconstruction en France. Enfin, les opérations de dépollution sont confiées à une entreprise spécialisée, Neom - fi­liale de Vinci-, qui apporte son sa­voir-faire concernant l’enlèvement de matières amiantées ou de pein­tures au plomb.

 

Septembre 2018 : la coque de l’ex-SNLE « Le
Tonnant » vient d’entrer au bassin pour déconstruction.

La preuve par la masse

Pour la gestion des déchets, une autre entreprise spécialisée a été retenue : Véolia. L’objectif de va­lorisation de 87,5% sur la masse solide fixé pour chaque coque est très ambitieux compte-tenu de la complexité d’un sous-ma­rin. Tout est pesé. Chaque déchet fait l’objet d’un suivi et d’une tra­çabilité en sortie de chantier via un bordereau de suivi des déchets ou de prise en charge. Un registre de suivi recense en 4 tomes les dé­chets dangereux, non dangereux, valorisables, ou sensibles sur le plan de la dissuasion.

 

Les déchets valorisables sont ven­dus sur ordre et pour le compte de l’État vers des filières agréées et acceptées par la DGA. Un poste de recettes, assorti d’un délai, est inscrit au marché pour verser à la DGA les recettes des ventes. Ces contraintes, ajoutées à celles de l’autorisation d’exploiter le site, qui interdit d’entreposer trop long­temps les déchets, ne donnent pas de marge de manoeuvre vis-à-vis du cours des matières. La formule de valorisation de chaque matière est fixée par le marché. Elle intègre des indices officiels, dont la valeur est arrêtée au moment de la vente de chaque déchet.

Trois méthodes de désensibilisation des déchets présentant potentiel­lement une sensibilité vis-à-vis de la dissuasion nucléaire ont été dé­finies :

- dépose : le matériel est consi­déré désensibilisé dès qu’il est débarqué du bord,

- effacement des informations : le matériel doit être rendu mécon­naissable par effacement des noms, synoptiques de fonction­nements, retrait des afficheurs,

- broyage.

Naval Group apporte enfin la preuve par la masse que la somme finale des déchets, est, à la fin de la dé­construction, celle de la masse de la coque avant échouage… à seu­lement plus ou moins 1,5 % près !

Conformément à la réglementation, l’État reste propriétaire de la coque jusqu’au terme de son traitement. Le traitement final du dernier dé­chet marque l’achèvement de la déconstruction.

Une expérience rare dans le monde

A ce jour, seuls les États-Unis et la Russie ont mené à bien le démantè­lement et la déconstruction de leurs sous-marins nucléaires. L’expé­rience enrichit considérablement le savoir-faire français. Le cycle de vie du système le plus complexe jamais construit est maîtrisé : de la concep­tion à la déconstruction, en passant par la construction, l’entretien et le démantèlement nucléaire. Les en­jeux environnementaux, sécuritaires, et le taux de valorisation ont tous été respectés dès la première coque. Des pistes d’amélioration sur tout le cycle sont identifiées, comme le suivi en service des matières à bord : la répartition des masses par matière a réservé de petites surprises.

Le retour de la mer

Le « Tonnant » a disparu du port de Cherbourg : la mer a repris sa place et vient clapoter sur les coques des ex-« Inflexible », « Ter­rible » et « Foudroyant ». La coque de l’ex-« Indomptable » est déjà bien réduite depuis son entrée au bassin en mars 2020. Début 2027, la déconstruction des SNLE de première génération sera terminée. Elle démontre que la France maî­trise de bout en bout le cycle de vie de ce type de système d’armes. La déconstruction met en oeuvre des compétences étatiques et in­dustrielles rares dans le monde et uniques en Europe.

 

 

Démantèlement avant déconstruction.

Le démantèlement vise à évacuer les substances radioactives de l’installation nucléaire. La tranche du sous-marin abritant la chaufferie nucléaire embarquée pour la propulsion du sous-marin est séparée du reste de la coque et entreposée pour une surveillance à long terme. Après avis de l’autorité de sûreté nucléaire de Défense, la décision de recycler le reste de la coque « hors du domaine nucléaire » est enfin officialisée. Cette décision est aussi appelée « libération » de la coque. La déconstruction se déroule hors du domaine nucléaire. Elle vise à transformer tous les constituants du sous-marin (fluides, matériels, matières dangereuses, structures résistantes, non-résistantes et légères …) soit en déchets recyclables, valorisés, soit en déchets ultimes, éliminés.

 

Auteur

Chantal Quimerc’h

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