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01 octobre 2020

DU DIESEL AUX SOUS-MARINS DE DEMAIN
UN ANCIEN PACHA SE MET A TABLE

INTERVIEW DE FRANCOIS GUICHARD. Breveté et diplômé de l’IHEDN (54e session AED), le CV François Guichard a exercé sur sous-marins diesel (Bévéziers, Sirène, Psyché) jusqu’à commander SNA (Améthyste) comme SNLE (Le Terrible).

Nous nous sommes donné rendez-vous entre amis dans notre repaire habituel, autourd’une bière et d’une planche de charcuterie, pour parler des sous-marins et de leurévolution,vue par un ancien pacha de sous-marins...


Amandine Dessalles pour la CAIA : les sous-marins, une vocation ?

François Guichard : Cette décision est le fruit d’un processus long. En terminale, je ne connaissais pas l’armée. Je voulais faire pilote. Ne pouvant pas (financièrement) me loger sur Paris pour une prépa parisienne, je me suis dirigé vers St-Cyr l’école, pour être pilote dans l’armée. La Marine m’a vite attiré, pour le pilotage mais également pour les voyages. J’ai découvert la mer à l’école navale mais surtout la vie en équipage : avoir des hommes avec soi, commander. La navigation était facile et se passait bien. Lâché de quart, cela m’a permis de naviguer sur beaucoup de bateaux. D’abord l’Etoile (un voilier), où j’ai appris toutes les manœuvres à la voile, la navigation et la conduite les hommes. Les gros voiliers exigent un commandement des hommes avec une extrême rigueur en techniques de navigation et en maîtrise du temps. A l’école navale, je découvre également les sous-marins, leur technicité et complexité, finalement encore supérieures à celles d’un avion, l’importance de l’équipage. Humainement passionnant, c’est le facteur déterminant qui m’a fait passer de la volonté d’être pilote à celle de devenir sous-marinier.

La CAIA : Quelle est ta vision sur l’évolution des sous-marins ?

FG : J’ai commencé sur le Bévéziers, un sous-marin diesel, excellente école avec par exemple la maîtrise des petites vitesses, celle de la gestion de l’atmosphère, de la réserve d’énergie et les activités commandos. Le sous-marin diesel est d’une rusticité absolue : on fonctionne en bannettes chaudes, il n’y a pas d’espace, l’unique douche est utilisée pour stocker des vivres, puis les poubelles. Pendant 3 semaines, tu as droit à 1 verre d’eau par jour pour te laver. Pendant les 4 semaines de mission, tu ne te laves pas et tu partages ton lit avec d’autres. Il n’y a pas d’usine à oxygène et l’usine de décarbonatation est rudimentaire, on surveille donc le taux d’oxygène et de CO2 : c’est une école du confinement. Ce sont des bateaux qui naviguent souvent en surface, très secoués. Pour le quart en passerelle, tu es mouillé en permanence. C’est l’excitation de Titanic le premier quart d’heure, puis tu sens la goutte d’eau qui coule dans le cou, bien froide, puis descend le long du dos. Les trois dernières heures, tu subis. Les 20 dernières minutes tu attends ton successeur. Trempé, tu vas te déshabiller au niveau des diesels et files te coucher. Tu manges en caleçon tee-shirt et tu enfiles ta tenue, encore humide, sentant la graisse et le gazole, pour 4 nouvelles heures de quart.

En 1996, mon passage sur SNA représentait le grand confort, mais avant tout la vitesse et la liberté de manœuvre. C’est un changement d’univers : du sous-marin en cuir au sous-marin en métal. La mobilité au combat est accrue (pourtant sans commune mesure avec le nouveau Suffren) et il a une vraie capacité anti-sous-marine par rapport aux classiques, moins mobiles. L’éventail tactique est beaucoup plus important. La limitation du SNA, ce sont les vivres, alors que sur les classiques diesel, les limitations étaient liées à leurs batteries et au renouvellement d’air.

C’était aussi l’accès à de nouvelles technologies, au monde moderne. Les SNA permettent l’innovation. J’ai souvent embarqué des industriels comme Thales à bord, permettant de récupérer in situ des signaux, et favorisant ainsi le développement de nouveaux démonstrateurs. Cette proximité ingénieurs équipage me semble importante, elle a vraiment permis de faire de grands pas.

Le sous-marin c’est enfin le monde du temps long, lui offrant une puissance d’analyse par accumulation des données recueillies, sur l’ensemble des milieux – surface, aériennes voire de l’espace pour les SNLE (importance de savoir où sont les satellites).

La CAIA : Quelle formation pour les sous-mariniers ?

FG :  La SECURITE !

En tant qu’officier-entraîneur, on aide les commandants à préparer et à mettre à niveau leur équipage. On participe aussi à la sélection, notamment lors du cours de commandement. On y recherche la maîtrise de la sécurité et la capacité de commandement des hommes sous stress mais aussi en situation d’échec. Les commandants doivent allier confiance en soi suffisante mais aussi capacité de se remettre en cause, pour le « safety experiment ». Certes le profil des commandants est assez particulier, mais on les aide via toute leur carrière à développer ces qualités. La formation fait grandir. Il y a un vrai compagnonnage : a vu, a fait, sait faire, sait enseigner. C’est obligatoire, et c’est la méthode de sélection et de progression de tous les marins. Cette notion de compagnonnage est très forte, c’est une école permanente. A tel point que sur SNLE, on donne des cours à bord. Chez nous un quartier-maître qui sort avec un CAP peut finir major, et être chef de quart d’un réacteur nucléaire.

 a vu, a fait, sait faire, sait enseigner.

SEQUENCE COVID

La CAIA : Les sous-mariniers sont experts en confinement! quels conseils pourriez-vous donner aujourd’hui?

François Guichard : Il est important de garder un rythme régulier, avec une rupture par semaine. Il faut avoir la soupape. Il faut également donner du sens : sur SNLE il est donné par les cours et la progression. On a également le quart, qui oblige une conduite. Hors période de travail, on met en place des jeux, des activités de groupe et ça favorise énormément la cohésion. On met en place une véritable organisation de la distraction. On fait même des jeux de rôles qui peuvent durer 3 semaines où on simule des assassinats à l’aide d’armes voire de poisons fictifs (en poivrant ou en salant excessivement l’assiette de la victime).

 

La CAIA : Le sous-marin, un concept d’avenir ?

FG : Oui ! Bien que très complexe à maîtriser (du niveau de la technologie spatiale), c’est un vrai différentiant car utilisant un milieu à part, où on peut s’approcher de l’ennemi.

Le sous-marin est autonome, il porte la composante océanique de la dissuasion, et permet un panel gigantesque d’effets. C’est également un outil de renseignement puissant qui peut notamment être mis à profit du groupe aéronaval.

Et avec le nouveau Suffren, c’est le Rubis deux puissance quatre : deux fois plus vite, deux fois plus d’armes, deux fois plus de capacités de détection, deux fois plus longtemps. Qualités qui n’excluent toutefois pas le besoin de quantité, avec une nécessité d’ubiquité et de disponibilité.

Pour autant, l’enjeu n’est pas tant les sous-marins que les hommes Car il faut bien sûr des hommes pour armer ces sous-marins, avec une pyramide RH adaptée, prenant en compte les parcours qualifiants, indispensables pour la mise en œuvre de systèmes d’armes aussi complexes. Et pour les attirer, il faut du matériel qui donne envie, c’est peut-être un beau message de conclusion pour ce magazine ;)

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