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CEA/Cadarache - la salle de commande de la chaufferie avancée prototype pour la première divergence en 1964
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01 octobre 2020

LA PROPULSION NUCLEAIRE : L'AUTRE EPOPEE ATOMIQUE FRANCAISE

Publié par Loïc Rocard | N° 121 - Sous-marins

 Saurions-nous inventer la propulsion nucléaire en 2020 ?


Le Nautilus (1953), premier sous-marin US à propulsion nucléaire, avait ouvert la voie au développement de la PN avec des arguments forts : une source d’énergie « inépuisable » et sans émissions, permettant aux navires de rester indétectables plusieurs semaines sous l’eau. Pour les pays voulant se doter d’une composante stratégique océanique, la PN allait devenir un must. Un demi-siècle plus tard, 160 navires à propulsion nucléaire sillonnaient les mers du globe. Cinq nations ont rejoint les Etats-Unis au club fermé et discret des puissances dotées de la propulsion nucléaire (PN) : la Russie, le Royaume-Uni, la France, la Chine et dernièrement l’Inde avec une maîtrise plus relative.

L’aventure de la PN française est glorieuse, et d’origine hexagonale à la différence du pendant nucléaire civil qui doit beaucoup à la licence de Westinghouse. Elle ne fut pas de tout repos pour ceux qui eurent à la mettre sur les fonts baptismaux. Après l’abandon du programme Q244, qui reposait sur un réacteur à uranium naturel / eau lourde, incapable d’atteindre les performances requises pour des missions navales, le cap fut recalé en 1959 de Cherbourg vers Cadarache, qui allait devenir le berceau de la PN. C’est là que le CEA, dans une collaboration exemplaire avec la DGA et la Marine, a développé en un temps inédit un prototype à terre de réacteur embarqué, le PAT. En produisant ses premiers neutrons à l’été 1964 il devenait la tête d’une série en cours, qui compte 22 réacteurs conçus et assemblés par TechnicAtome en partenariat avec les constructions navales (devenues Naval Group) au fil des programmes successifs de la Marine. Aujourd’hui en régime permanent 12 sont mobilisables à la mer (6 sur SNA, 4 sur SNLE et 2 qui équipent le porte-avions Charles de Gaulle).

Il y a 60 ans, les défis étaient innombrables car tout était à faire sur un terrain vierge situé au confluent de la Durance et du Verdon : construire des moyens d’essais des circuits et des composants mécaniques, réaliser une pile atomique expérimentale pour la mise au point du combustible nucléaire, développer des pompes à haute performance, de la robinetterie, des mécanismes de pilotage de la réaction en chaîne, le contrôle-commande associé ; fabriquer cuve, générateur de vapeur et autres capacités soumises à très haute pression, le tout avec planches à dessin, compas et règles à calcul. Un document américain s’est révélé décisif cependant pour concevoir le réacteur à eau pressurisée à la française, le descriptif de Shippingport, premier réacteur électrogène dérivé de la chaufferie du Nautilus.

L’INNOVATION, NON PLUS POUR INVENTER L’AVENIR, MAIS POUR MAINTENIR LES ACQUIS DU PASSÉ MALGRÉ LE RESSERREMENT DES CONTRAINTES D’USAGE

Les autorités US avaient fait partager ce vade-mecum d’un genre particulier et gage d’un nucléaire à vocation pacifique, à l’occasion d’une des rencontres internationales du programme « Atoms for Peace » dans les années 50. Elles n’avaient probablement pas prévu ce que les meilleurs atomiciens français allaient en faire en quelques années.

Car une fois le PAT opérationnel, rien ne pouvait plus empêcher le SNLE Redoutable d’être doté de la PN et de devenir, en 1971, le fer de lance de la composante océanique de la dissuasion française, pleinement indépendante. 

Depuis ces temps glorieux, les fondamentaux sont largement restés les mêmes car les lois de la science n’évoluent pas. La mécanique, la neutronique, la thermo-hydraulique, sont et restent les fondamentaux de la maîtrise de l’atome. Ce sont les exigences qui sont allées crescendo, fonctionnelles comme réglementaires. 

Côté sûreté nucléaire, le recours aux pratiques et référentiels dérivés du nucléaire civil, en complément de l’acquis militaire, permet de disposer d’une boucle d’amélioration continue. Le retour d’expérience des événements significatifs qu’a connus l’industrie nucléaire ces dernières décennies est une donnée d’entrée pour les spécifications des navires. Tant à bord qu’à terre les installations sont rendues de plus en plus robustes, sur la base de démonstrations intégrant toutes les occurrences connues ou imaginables. Au fur et à mesure que les prérequis des démonstrations de sûreté tendraient à contracter le domaine d’emploi, le défi est de maintenir les plus hauts niveaux de disponibilité pour les utilisateurs, qui n’ont rencontré aucun problème grave lié à la PN en 50 ans d’exploitation et quelques dizaines de milliers de semaines de patrouilles. Profondeur de simulation, qualité d’instrumentation et de contrôle commande, puissance de calcul sont les champs qui progressent pour garder une disponibilité exemplaire aux chaufferies nucléaires embarquées.

A l’approche du renouvellement de la composante océanique de la dissuasion, il ne faut pas oublier que le maintien de la posture pour les décennies à venir passera aussi par le dynamisme d’une filière nucléaire civile française à la hauteur de son rang.

 

Les deux derniers réacteurs mis en service par TechnicAtome, le réacteur d’essais en 2018 et celui du SUFFREN (classe Barracuda) en 2019, ont bénéficié de la maturité des architectures compactes, et des dernières innovations en matière de discrétion acoustique, de contrôle-commande numérique, d’interfaces homme-machine, et de matériels à haut niveau de performance. 

L’INNOVATION VA DE PAIR AVEC LA DUALITÉ CIVIL-MILITAIRE, LA DUALITÉ EST UNE CONDITION D’EXISTENCE DE LA PN

Les exigences apparues progressivement ont conduit à développer des solutions spécifiques utilisées dans d’autres secteurs d’activités à fortes contraintes d’emploi (aéronautique, spatial, ferroviaire), ou des matériels nouveaux. La chaufferie K15, conçue pour équiper les SNLE actuels et le porte-avions, possède un système de contrôle proche des tableaux de bord AIRBUS, et des capteurs d’instrumentation de même type que ceux d’ARIANE. Les cartes électroniques développées pour répondre aux exigences des réacteurs embarqués ont, inversement, trouvé des valorisations dans le domaine des transports urbains guidés qui requièrent le même type d’infaillibilité. 

Si la visibilité programmatique de long terme et l’exigence de haute qualité ont été des atouts maîtres pour maintenir mobilisés les industriels les plus pointus depuis la première génération de sous-marins à propulsion nucléaire, l’effet de série de la sous-marinade est trop modeste pour permettre seul l’entretien de la base arrière industrielle constituée au fil des années. Ces 150 entreprises « de la deuxième ligne », presque toutes françaises, qui assurent le maintien de la posture nationale, ont besoin de l’activité civile pour garder l’équilibre. 

Ainsi, la filière est à la hauteur de sa tâche mais elle est fragile et plutôt déclinante, en phase avec la désindustrialisation en marche dans le pays depuis plus de 30 ans. Ces dernières années les cessations d’activités ont été nombreuses et les changements d’actionnariat incessants dans ces entreprises qui sont presque toutes des PME. La garantie pour que TechnicAtome et les autres partenaires de l’aventure nucléaire embarquée continuent à dominer les défis techniques qui se présentent, tient dès lors en deux points principaux : 

1. Le maintien de la confiance et de l’exigence placées en eux par la puissance publique depuis les années 1960, traduit par des programmes réguliers et ambitieux. 

2. La bonne santé des grandes filières industrielles qui font vivre le tissu sur lequel repose l’édifice, au premier rang desquelles la filière nucléaire civile. 

 
Loïc Rocard, Président Directeur Général de TechnicAtome
 
Ancien élève de l’Ecole polytechnique, ingénieur en chef des ponts, Loïc Rocard a commencé sa carrière en 1997 au sein d’Aéroports de Paris. Il a rejoint en 2007 le groupe Vinci et occupé notamment le poste de Directeur général de Cofiroute. De 2014 à 2017, il était conseiller au cabinet du premier ministre, chef du pôle transports, environnement, énergie, logement-urbanisme. Il est PDG de TechnicAtome depuis mai 2017.
 
 

Auteur

Loïc Rocard

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