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30 octobre 2021

L’ADMINISTRATION, DÉBOUCHÉ MÉCONNU DU DOCTORAT

Pour un IA recherche, prendre un poste dans l’administration à l’issue de sa thèse est la voie «normale». Mais les autres doctorants peuvent-ils aussi rejoindre le public hors recherche et enseignement ? Et pour y faire quoi ?


En décembre 2020, j’assistais à la « Journée des doctorants » organisée par la Société informatique de France. Elle présentait les carrières accessibles aux docteurs en informatique, en deux parties : « carrières dans le privé », puis « carrières académiques ». Il va sans dire qu’un parcours d’IA dans l’administration n’entre dans aucune de ces catégories, et qu’il semble légitime de ne pas présenter ces parcours qui sont des cas particuliers. Oui mais... au-delà de micro-populations spécifiques, l’administration n’emploie-t-elle aucun docteur ?

L’administration : un débouché méconnu ?

Pour le savoir, il faut regarder l’une des rares enquêtes exhaustives sur le devenir professionnel des docteurs (IPDOC 2017). D’après elle, plus de 15% d’entre eux rejoignent le «secteur public hors académique». En outre, l’enquête emploi de l’INSEE estime à 20 000 les titulaires d’un doctorat dans le public hors recherche et enseignement. Pourtant, les acteurs du doctorat n’ont que peu d’idées de ces débouchés ; lorsque l’administration est abordée, c’est souvent pour parler du concours docteur de l’ENA avec... 3 places, alors que les recrutements sont bien plus vastes.

Répartition par thématique et par ministère

Un mouvement d’ouverture des fonctions publiques

Depuis la loi Fioraso (2013), les corps de fonctionnaires de catégorie A doivent ouvrir des concours externes docteurs. Plus d’une centaine de corps ont modifié leurs statuts en ce sens, même si les concours ne sont pas toujours organisés en pratique. Ainsi, les corps des Mines et des IPEF ont ouvert des concours docteurs (pas les administrateurs de l’INSEE). A noter que cette ouverture n’implique pas automatiquement une diversification des profils recrutés : la quasi-totalité des docteurs admis aux Mines sont d’anciens normaliens et polytechniciens, deux populations qui bénéficient par ailleurs de voies d’accès dédiées.

D’autre part, la majorité des docteurs intègre la fonction publique via des concours accessibles dès un master, ou comme contractuels. Le doctorat peut cependant se révéler à double tranchant dans une candidature : la crainte de recruter un «éternel étudiant», éloigné de la réalité et peu adaptable à l’administration, persiste, même si elle semble peu confirmée en pratique.

Que font ces docteurs ?

Le docteur est reconnu pour l’expertise acquise pendant ses années de thèse. Sans nécessairement être « haut » fonctionnaire, il apporte ainsi à l’administration la capacité d’analyser des questions techniques pointues. Au Ministère des Armées, ces besoins ne se limitent pas à la DGA : les armées, le SID, la DGRIS ou le SHD recrutent également des docteurs comme analystes/experts. Le docteur peut en outre faciliter le dialogue avec le monde académique.

A plus haut niveau, il peut conduire des projets et politiques publics complexes, à l’échelle territoriale ou nationale. La thèse permet également d’acquérir des compétences génériques, comme la capacité à se projeter à long terme, et recruter de «jeunes chercheurs» contribue à nourrir la diversité d’états d’esprits dans la fonction publique.

Dans les instances internationales, le doctorat est souvent exigé pour les postes à responsabilité. C’est l’une des raisons qui incite certains militaires/hauts fonctionnaires à réaliser une thèse en cours de carrière ; l’INSP réfléchit en outre à intégrer le doctorat dans son cursus.

Et à la DGA ?

L’ouverture d’un concours externe docteur pour le corps des IA est en cours d’étude par la DRH. Si nombre d’IA réalisent une thèse, la majorité des docteurs de la DGA est contractuelle (plus de 350 ICT d’après la base Alliance). La quasi-totalité d’entre eux est employée par la DT, qui manifeste actuellement son intérêt pour les docteurs sur les sujets «de pointe», en sciences des matériaux ou en informatique.

L’initiative docteurs et administrations (IDeA)

Afin de pallier l’absence de connaissances sur le recrutement et l’emploi des docteurs dans l’administration, j’ai lancé au printemps 2021 un groupe de travail nommé IDeA. Cette initiative a recueilli le soutien du ministère de la transformation et de la fonction publique, et un premier rapport sera publié à l’automne. (voir docteurs-administrations.fr).

 

Former des IA par la recherche : pourquoi et comment ?

Les IA peuvent effectuer leur formation complémentaire sous la forme d’une thèse depuis plusieurs dizaines d’années. Cette voie de formation est parfois remise en cause par la DGA. Cependant
, les difficultés, voire les échecs de réintégration de quelques IA après leur thèse, sont moins le signe
que la formation doctorale serait par essence inadaptée au corps, que le fruit d’un mauvais accompagnement au moment du choix de corps et d’orientation ou durant la thèse. C’est pourquoi en particulier il n’y a plus de quota distinct d’IA recherche, mais une possibilité « à la carte » examinée de manière critique par le gestionnaire du corps, en fonction du parcours professionnel envisagé.


Il est souvent rappelé, avec raison, qu’il ne s’agit pas de se former « à » la recherche mais « par » la recherche. Le doctorat est à la fois l’occasion de sortir du cocon douillet prépa-X, d’acquérir ou renforcer autonomie, capacité d’initiative, méthode universitaire (questionnement, recherche bibliographique...) et expérience de conduite de projet, et de constituer ou entretenir des réseaux au sein de la communauté scientifique nationale voire internationale. Les IA recherche contribuent également utilement à la diversité du corps.


Le facteur-clé de succès pour le premier poste au sein de la DGA réside à mes yeux dans l’accompagnement par un parrain DGA qui s’investira dans la relation avec le doctorant, et se chargera de créer et entretenir un lien avec l’institution, en particulier son métier de rattachement et les entités qui l’accueilleront le plus vraisemblablement.

Bruno Bellier, docteur en sciences pharmaceutiques 2000

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