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Médecin Général Anne Sailliol
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15 mars 2021

LE PLYO (PLASMA LYOPHILISÉ)
OU FLYP (FRENCH LYOPHILISED PLASMA)

Interview du médecin général inspecteur Anne Sailliol Ancienne directrice de l’IRBA, Anne Sailliol a passé plus de quinze ans au Centre des Transfusions Sanguine des Armées, à compter de 2002, d’abord comme chef de service puis comme directrice. Elle a participé à de nombreux travaux d’expertise dans la prise en charge des traumatisés graves hémorragiques en environnement extrême ou en situation d’urgence, et signé des publications reconnues dans le domaine.


La CAIA : Anne, vous avez fait carrière au SSA. Qu’est-ce qui vous a amenée à vous impliquer dans la lyophilisation du plasma ?

Anne Sailliol : je suis de formation médecin hémobiologiste et j’ai fait de la médecine d’urgence en début de carrière (4e Régiment d’Hélicoptère, de Manœuvre et de de Soutien : RHCMS), aussi j’ai toujours essayé d’améliorer la transfusion préhospitalière dite médecine de l’avant voire de l’extrême avant. C’est pour moi un engagement personnel très fort au service des combattants car vous savez, à la guerre, le traumatisé saigne et saigne beaucoup ! Si on n’a pas de sang dans la demi-heure qui suit le traumatisme grave, les chances de survie réduisent fortement. Le plasma est la partie liquide du sang qui apporte, entre autres, tous les facteurs de coagulation.. Pour le conserver et l’amener au plus près des interventions, en hôpital de campagne (rôle 3), en antenne médico-chirurgicale (rôle 2) et au poste de secours (rôle 1), il n’y a pas 36 solutions : il faut le congeler ou le lyophiliser. Mais pour les forces spéciales projetées le plus souvent sur l’extrême avant, seul le Plasma LYOphilisé (PLYO) peut être proposé car c’est le seul qui se conserve à température ambiante. De plus le PLYO préparé par le Centre de Transfusion Sanguine des armées (CTSA) est universel pour le groupage sanguin.

La CAIA : Quelle en est l’histoire ?

AS : Cela remonte à la 2e Guerre Mondiale. Les américains et les anglais ont développé ce produit et les Français l’ont utilisé lors de la campagne d’Italie. Après 1945, le MG Jean Julliard, directeur du premier centre de transfusion français militaire, décida d’en produire, ce qui fut fait après 4 ans de mise au point. La technique est une cryodessiccation où l’on sublime sous vide du plasma congelé.
Ce plasma cryodesséché a été beaucoup utilisé lors de la guerre du Vietnam mais il a été à l’origine de nombreux cas d’hépatite virale dans les troupes américaines ce qui a entrainé l’arrêt de sa production aux Etats-Unis. Ensuite, dans les années 80, l’épidémie du Sida a entrainé l’interdiction de préparer des produits sanguins «poolés» (mélange de plasmas provenant de plus de 1000 donneurs différents) tels que le plasma cryodesséché. C’est pour soutenir les combattants français lors de la guerre du Golfe que le CTSA a mis au point, dans les années 90, un nouveau plasma lyophilisé préparé à partir d’un mélange de 3 à 10 donneurs contrôlés sur le plan virologique
pour conserver l’universalité sur les groupes sanguins sans augmenter le risque infectieux. Ce nouveau plasma cryodesséché sécurisé était produit en très faible quantité, ce qui rendait son coût de production très élevé. Quand je suis arrivée à la direction du CTSA en 2009, nous avons décidé d’appliquer les dernières technologies de sécurisation du risque microbiologique et d’obtenir l’autorisations de l’AFSSaPS pour l’utiliser dans le secteur civil et chez nos alliés militaires. Dans le même temps, les forces spéciales américaines cherchaient à disposer d’un tel produit. En quelques années, nous avons mis au point un partenariat très intéressant, voire modèle avec l’accord de la FDA et de l’ANSM et c’était une gageure ! Il fallait vraiment que le produit n’existe pas chez eux pour obtenir cela. Aujourd’hui le CTSA reçoit le plasma américain et le lyophilise avant de leur renvoyer. Cette reconnaissance américaine est une belle preuve de notre compétence.

La CAIA : pourquoi est-ce compliqué ?

AS : En fait, il faut trouver un équilibre entre de très nombreux paramètres parfois contradictoires. Par exemple, l’universalité du produit impose un mélange subtil de plasmas de groupes sanguins différents, sinon il faut comme les allemands utiliser exclusivement du plasma AB (plasma sans anticorps contre les globules rouges A et B) alors que seulement 4% de la population possède ce groupe ce qui ne permet pas d’avoir des quantités suffisantes de plasma pour couvrir les besoins. Certains pays ont essayé de contourner ce problème en constituant des unités de forces spéciales avec le même groupe sanguin (O, receveur universel) ! Une autre difficulté est la maîtrise du risque infectieux tout en conservant les qualités du plasma. Nous avons choisi d’appliquer un traitement de viro-atténuation à large spectre pour être efficaces sur la majorité des agents pathogènes connus ou inconnus alors que d’autres sécurisent le produit par quarantaine (contrôle virologiques des donneurs lors et après le don de plasma) ce qui ne couvre que les agents connus.
Enfin, le produit doit conserver ses qualités dans des conditions de conservation « rustiques ». Pour obtenir un tel produit nous nous appuyons sur un savoir-faire d’équipe et non pas d’une personne. Les américains n’ont pas retenu le transfert de compétence que nous leur proposions et 10 ans après, ils n’ont toujours pas de filière industrialisée. On mesure difficilement ce que représente la compétence collective, ainsi prenons par analogie la compétence d’appontage : lorsque les anglais ont arrêté de le pratiquer, ils ont perdu un savoir-faire qu’il leur a été très difficile de retrouver par la suite.

« ON MESURE DIFFICILEMENT CE QUE REPRÉSENTE LA COMPÉTENCE COLLECTIVE »

La CAIA: comment avez-vous consolidé cela ?

AS : Pour le coup, la DGA nous a aidés. Le plasma était sécurisé par quarantaine mais nous voulions augmenter la sécurité microbiologique et, surtout, pouvoir varier nos quantités de production rapidement en fonction des besoins des forces, ce que ne permet pas la quarantaine. Nous avons déposé un dossier auprès de la MIP et avons obtenu un financement. Mais plus que le financement c’est le blanc seing des polytechniciens qui nous a portés. Les forces spéciales américaines ont acquis ce nouveau plasma et l’ont plébiscité à l’international. En retour, quand nos coûts de production ont baissé, nous avons également baissé notre prix de vente. Avec les américains, il s’agit d’un vrai partenariat et je conserve encore de très bonnes relations personnelles avec eux.

La CAIA: que diriez-vous à propos des forces spéciales ?

AS : Ce sont des unités d’élite qui travaillent dans des conditions très difficiles voire hautement hostiles mettant souvent leur vie en danger. Nous devons de leur offrir ce qu’il y a de mieux pour leur sécurité. C’est un honneur d’être sollicité par les forces spéciales françaises et des différents pays alliés. Le prix n’est pas un critère pour eux mais il leur faut le meilleur. Le SSA et le CTSA leur apportent une sécurité scientifique, technique et médicale. Lors de leurs interventions, ils ont toujours un médecin avec eux mais il doit être aussi mobile que ses compagnons et donc avoir des équipements légers et demandant le moins de contraintes possibles comme le plasma lyophilisé. Ils ont aussi des kits de prélèvement de sang total : en cas d’urgence absolue, ils se collecteront entre eux pour venir en aide à un blessé. C’est cela, la solidarité au feu !

 

Traiter un choc hémorragique aigü en théâtre d’engagement de forces spéciales

Le Service de Santé des Armées a mis au point des procédures très élaborées pour maximiser les chances de survie d’un blessé atteint de saignements importants dans un environnement inhospitalier.Au-delà des gestes réflexes, comme le garrotage, il faut enrayer des phénomènes en cascade produits par le déficit important d’oxygène et de liquide sanguin, qui conduisent à l’extension des lésions et un dérèglement des mécanismes de coagulation : on parle de choc hémorragique. s’Il n’est pas maîtrisé rapidement, il se solde au minimum par des séquelles graves et irréversibles, dans les heures qui suivent l’événement (perte d’organe, destructions cérébrales). Dans le civil, c’est la première cause de mortalité chez les moins de 50 ans, liée typiquement aux accidents de la circulation. 
Corollaire: les phénomènes en jeu sont donc bien documentés, les protocoles de traitement bien rodés. Mais par 40°C ou -15°C et loin de l’hôpital, ce n’est pas vraiment la même histoire ... 
Ainsi, les poches de sang frais demeurent le “gold standard”, en l’occurrence. Or, il doit suivre une logistique impeccable qui ne peut être transposée à 100% en théâtre d’opération : maintien en temperature, tests de compatibilité, absence de pathogène pendant la transfusion (cf. affaire du sang contaminé). Le SSA a suivi une démarche de maîtrise du risque drastique. Tous les leviers sont actionnés, depuis le screening initial du sang et de l’hygiène de vie de son donneur, jusqu’au positionnement d’un “kit spécial sang frais” et un échelon avancé du corps médical, responsable en dernier ressort de décider et mettre en oeuvre l’acte médical en situation non complètement stabilisée – donc impossible à certifier . Les poches de sang frais sont complétées par une palette de tests, de composés permettant d’améliorer l’équilibre sanguin, de plasma lyophilisé à titre de supplétif précieux du sang, etc. 
Le prélèvement de sang d’un collègue valide à côté du blessé est une option à fort potentiel. Le SSA est parvenu à prouver sa faisabilité opérationnelle et sa sécurité médicale au regard de la situation. En prime, le sang est injecté à bonne temperature, ce qui permet de lutter contre l’hypothermie. Il
faut toutefois que la situation le permette : le combattant valide doit pouvoir s’isoler quelques minutes, de préférence avec un infirmier (typiquement en début ou milieu de rapatriement). Un tel schéma de “logistique d’urgence près du terrain” a été poussé à son extrême limite pour les commandos marine ; jusqu’à préférer les donneurs universels du groupe 0. Et comme une partie des tests normés liés à la réglementation civile ne peut pas être réalisée in situ à l’instant t, trois fioles du précieux liquide seront prélevées et acheminées en métropole pour vérifier que les données de screening du donneur sont effectivement validées. A défaut, on connaîtra les mesures à prendre quand le blesse aura été sauvé et rapatrié.

 

Auteur

Rédacteur en chef du magazine des ingénieurs de l'Armement.
Coach professionnel certifié et accrédité "master practitioner" par l'EMCC.
Fondateur de Blue Work Partners SAS qui propose :<br>
- Formation au leadership
- Coaching de dirigeants
- Accompagnement d'équipes projets
X84, ENSTA, coach certifié IFOD,
Auteur du guide de survie du chef de projet (Dunod 2017).
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