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01 octobre 2018

DGA, 50 ANS DE RECETTES OUBLIÉES

La Ministre des Armées a présenté le 5 juillet à Balard plusieurs axes de transformation de la DGA, portant sur la préparation du futur, la conduite des programmes et la maîtrise des coûts.


50 ans après la création du corps de l’armement, je suis frappé par l’effet de répétition.
 Plus exactement, chacun des points soulevés a été ou est encore couvert par une organisation, des directives ou des pratiques, il est vrai pas toujours complètement mises en œuvre.

Le défaut de stratégie d’innovation sur le long terme et de pistage des idées innovantes, éventuellement chez les "startup" ?

Les orientations de la DRET, puis la politique technique de 1999 dont j’étais chargé comportaient explicitement par domaine technique une vision à long terme envisageant les ruptures possibles, au-delà même de ce que décrivait le plan pluriannuel à 30 ans. Le frein était plutôt la taille du collège d’observateurs orientant in fine les décisions, dont les membres portaient des préoccupations diverses ... quelques uns ayant tendance à privilégier systématiquement le rendement à court terme à leur profit. La pluralité des financements, chacun avec leur décideur, compliquait encore le tri.

La lourdeur et la rigidité du formalisme de la conduite des programmes d’armement ?

(Passons sur le fait que nous sommes plutôt les bons élèves de la classe européenne dans ce domaine, et que comme je le l’observais ici il y a quelques années, notre "cimetière" est petit). Nous avons porté des efforts incessants de développement agile ou par étapes, réagi devant des besoins militaires trop détaillés , et cherché l’implication des utilisateurs finaux.

Une mise sous tension des prix et des délais par le calendrier des paiements ?


Nous l’avons tous recherchée, et même tendu à modifier les conditions d’application du code des marchés publics qui suit une logique de paiement à l’avancement.

La promesse d’un financement qui ne sera pas revu ?


Sans revenir sur l’évolution des "cibles", c'est-à-dire des quantités produites et de leur calendrier, et des conséquences sur les coûts unitaires, n’oublions pas trois sujets connexes : Le bourrage initial, qui fait croire que tout le financement des opérations listées est intégralement assuré, et donc qu’un supplément de ressources permettra de faire plus de choses ; la préparation d’un futur industriel gage de souveraineté (et non pas d’emplois...) ; l’évidence souvent oubliée que ce que nous n’avons pas prévu chez l’adversaire potentiel n’est pas non plus prévu en ressources pour s’en défendre.

Le juste prix ?

Les enquêtes de coût a priori sont un vieux sujet, qui se heurte depuis toujours à la difficulté d’estimer le coût de ce qui est nouveau : on peut estimer le coût d’un matériel qui ressemble peu ou prou à ce existe déjà. Ceci a largement été utilisé jusqu’à ce qu’ingénieurs et enquêteurs soient obligés de s’appuyer excessivement sur les données des industriels, placés alors en situation de conflit d’intérêt. Or ce qui est nouveau – et de surcroît rapide – se calcule très différemment, y compris chez les industriels. Une approche combinant développement par étapes, incitation sur les prix et contrôle a posteriori serait sans doute plus sage, combinée à une formation technique et industrielle renforcée. Commissaire du gouvernement de sociétés de défense, j’ai pu observer l’écart-type parfois faramineux des calculs de coût a priori de prestations incertaines ou innovantes.

La DGA a par ailleurs fait un effort conséquent pour développer des outils d’analyse par analogie, qui se révèlent fort utiles même s’ils butent sur les limites évoquées ci-dessus, liées à la nouveauté.

Un partage du développement pour tenir compte des exportations probables ou réelles ?


Les développements partagés délicats (Rafale, FASF) conduisaient souvent à des négociations trop complexes pour leur mise en œuvre réelle. Il reste la simple lecture du code des marchés, qui prévoit très clairement les redevances.

Ce qui reste implicitement, et 50 ans du corps en témoignent, c’est la négociation a posteriori. Très souvent celle-ci est loin de se situer uniquement dans les services de la DGA. La liste est longue des clauses très contraignantes de marchés qui ont été violées "à haut niveau", qu’il s’agisse de pénalités de retard, de prix, de performances ou d’exportation. Refuser absolument que cela ne se reproduise enlèverait à ce "haut niveau" un pouvoir qu’il n’est pas sûr de vouloir perdre.

Des souhaits personnels ? Une plus grande proximité des IA avec l’industrie, par des parcours professionnels et techniques ; une possibilité d’échouer parfois dans le développement de percées techniques pour gagner globalement beaucoup ; une compréhension de l’utilisateur final par des contacts plus fréquents avec les forces, faute de quoi la DGA continuera à être incomprise ; une immersion dans l’innovation par des méthodes ouvertes comme le red teaming.

En conclusion, ce qui est nouveau depuis 50 ans, c’est la simultanéité des actions. Gageons que l’efficacité ne sera pas obérée par une centralisation qui serait incompatible avec l’agilité et avec la venue des technologies en réseau, et par un sérieux des prévisions qui oublierait la mission même de la défense, faire face à l’imprévu.

Auteur

Denis Plane, a commencé sa carrière sous le signe du naval à Toulon puis au STCAN. Passant par les missiles, le service technique des systèmes navals puis le service technique des technologies communes, il dirige la direction des programmes de la DGA jusqu’en 2003. Voir les 27 autres publications de l'auteur

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