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Aussi nécessaires l'un à l'autre que difficiles à mélanger
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01 octobre 2019

Les IA et le MCO ou « L’huile et le vinaigre »

L’efficacité du Maintien en Conditions Opérationnelles (MCO) fut l’une des premières priorités de la Ministre des Armées, Florence Parly, lors son arrivée à l’hôtel de Brienne. Elle a créé la DMAé qui doit redresser le MCO aéronautique.

Mais pourquoi le MCO qui présente des enjeux opérationnels, financiers et industriels de tout premier plan semble ignoré ou négligé par les ingénieurs de l’armement ?


Entretien majeur à l‘AIA de Clermont-Ferrand : de nombreuses opportunités de postes pour des IA dans la maîtrise d’oeuvre du MCO au SIAé

Entretien majeur à l‘AIA de Clermont-Ferrand : de nombreuses opportunités de postes pour des IA dans la maîtrise d’oeuvre du MCO au SIAé

Pour nos systèmes d'armes mettant en œuvre des plateformes com­plexes, le coût global de posses­sion réside au moins à 50% dans la phase d’utilisation, retrait du service compris. Si le coût global est large­ment déterminé dès les premiers choix de conception, il n’en demeure pas moins que le pilotage du « Main­tien en Conditions Opérationnelles » (MCO) en phase d’utilisation requiert un soin particulier pour chercher en continu à optimiser le service rendu en opérations et les ressources que l’on est prêt à y consacrer.

La récente instruction 1618 du 11 avril 2019 sur le déroulement des opérations d’armement, faisant suite aux célèbres 1516 et 1514, allégée et modernisée, fait encore des dis­tinctions probablement néfastes entre les armées et la DGA, en partie dues à des débats jamais éteints sur le rôle et l’utilité de la DGA, qui pros­pèrent depuis l’école de guerre et se propagent jusqu’aux « 5 étoiles ».

Le paragraphe 3.2 de cette instruc­tion 1618 dispose pour le soutien : (extraits)

Le maintien en condition opérationnelle du (ou des) système(s) débute par une phase de soutien initial permettant de corriger les défauts initiaux du produit du programme, […], d’évaluer les coûts de soutien associés et de poursuivre son optimisation. […] 

Le soutien initial relève de la responsabilité de la DGA et du service de soutien concerné qui peut s’en voir confier la mise en oeuvre. 

Au plus tard au terme de la période de soutien initial, la responsabilité du soutien est transférée aux armées, […]. Les services de soutien assurent la contractualisation, en s’appuyant sur la stratégie de soutien actualisée et, autant que possible sur les supports contractuels préparés par la DGA au titre de la réalisation 

 

Cette vision, que je trouve sans ambition, n’a pas osé simplifier plus avant et supprimer de coûteuses interfaces : 

- la DGA est donc responsable du soutien initial, mais avec un transfert vers les armées à l’issue. On retrouve ici une interface, déplacée certes vers l’aval, mais toujours en place … 

- le coût du soutien apparaît comme un paramètre majeur, mais encore à évaluer et optimiser en début de phase d’utilisation, alors que les choix dimensionnants sont faits depuis longtemps … 

- les services de soutien s’appuient sur la stratégie de soutien actualisée et, autant que possible sur les supports contractuels préparés par la DGA […], ce qui va dans le bon sens, mais qui distingue les donneurs d’ordre vis-à-vis des mêmes fournisseurs selon la phase du programme ce qui introduit de fait une fragilité dans notre dispositif. 

On comprend alors mieux pourquoi la place des ingénieurs des corps de l’armement, et singulièrement des IA, dans la vie d’un programme d’armement est encore aujourd’hui largement concentrée dans les phases amonts des programmes : préparation et réalisation.

Pourquoi ne trouve-t-on pas plus d’ingénieurs de l’armement dans le champ du MCO ? Et comment y remédier ? D’abord, le poids du passé. Ensuite, encore des barrières sinon factuelles, du moins largement culturelles.

Le poids du passé 

Un jalon important dans la prise en compte du soutien dans les programmes d’armement date des années 80 avec la méthode CALS (Computer Aided Acquisition and Logistic Support) qui a été implémentée par la DGA sur la base du volontariat des services et avec un succès mitigé. Mais c’est le désengagement de la DGA dans le soutien en fin des années 90 qui a donné le coup de grâce, avec comme conséquence inévitable la création de la SIMMAD dans le champ aéronautique, puis du SSF (naval) et de la SIMMT (terrestre), et a fait reculer d’un demi-siècle nos méthodes de gestion de programme et remélangé des responsabilités de spécification et de réalisation. Le soutien et son impact sur le coût global sont passés sous l’horizon de la plupart des directions de programme de la DGA, les parcours professionnels dans les services de soutien n’ont pas assez été valorisés : loin des yeux, loin du coeur … La nature ayant horreur du vide, les armées ont compris l’intérêt d’investir les services de soutien. Les IA ont perdu les compétences spécifiques nécessaires au soutien et ces services ont perdu l’irrigation des compétences des équipes de programme de la DGA. Seuls quelques trop rares IA dont la vie professionnelle passait par un établissement industriel (ex. AIA) connaissaient les valeurs et l’intérêt d’un poste dans le domaine du MCO, mais souvent du côté maîtrise d’oeuvre avec des spécificités bien précises. La création de la DMAé va de ce point de vue dans le bon sens en recollant des morceaux détachés depuis 20 ans.

Mais il reste des barrières, au mieux des interfaces, au pire des cloisons étanches. 

On a pu voir récemment que l’étanchéité entre la DGA et feu la SIMMAD a conduit à des pratiques de maîtrise d’ouvrage couteuses et peu efficaces : le micro management généralisé par un découpage extrême des tâches confiées aux maîtres d’oeuvre, de multiples contrats horizontaux, le mythe des doubles sources qui ne faisait qu’accentuer les difficultés logistiques, les appels d’offres multiples sur des périmètres restreints et de court terme et surtout une vision archaïque et couteuse de la propriété patrimoniale des stocks. La DMAé entreprend de corriger ces travers ; et les IA doivent ré-investir le champ de la logistique moderne, au besoin en se formant via des programmes universitaires dédiés ou par des périodes d’affectation dans l’industrie spécialisée du secteur. 

Comment motiver les IA pour s’investir dans le champ du MCO ? 

Le champ du MCO est un domaine particulier où les IA peuvent « faire » avant de « faire-faire », et y revenir. De plusieurs manières : par une affectation dans les forces, dans les escadrons de soutien aéronautique par exemple, avec les détachements OPEX, par une affectation en établissement industriel privé ou étatique.

Ce sera une motivation dopée à l’adrénaline :

Des responsabilités concrètes et immédiates dans l’ingénierie, la sécurité, les conditions de travail, un contact continu et exigeant avec un client opérationnel, la pression sur les résultats (qualité, délais des travaux, emploi des ressources allouées), et un volet social incontournable, car ce sont souvent des équipes nombreuses et qualifiées qu’il s’agit de manager.

 

 

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Les compétences acquises dans ce contexte seront bien précieuses : l’osmose avec le client opérationnel, l’ingénierie concrète technique et logistique, le déploiement de la transition numérique (le MCO étant un peu le parent pauvre de la fracture numérique et de l’innovation), le pilotage financier des affaires qui est bien 

différent des techniques budgétaires utilisées en direction de programme, et le volet social omniprésent. 

Le passage ensuite en maîtrise d’ouvrage de programme d’armement valorisera ces compétences et sera un marqueur fort de carrière, au sein du ministère des armées comme à l’extérieur. 

Comment les IA peuvent-ils dessiner l’avenir du MCO ?

D’abord en acquérant les compétences nécessaires dans un parcours initial plutôt opérationnel. Ensuite en concourant au succès de la DMAé sur les programmes cibles ; alors, il sera possible d’élargir le champ de cette direction sur l’ensemble des domaines du MCO, en propageant les méthodes efficaces et les gains de productivité. Pour finir, le rapprochement avec une DGA allégée de ses contraintes administratives, remettra en ordre la maîtrise d’ouvrage des programmes de leur début jusqu’à leur fin, et nous rendra certainement plus compréhensibles et efficaces pour nos alliés européens.

    
Christian Chabbert, IGA, Consultant en performance industrielle
 
Christian Chabbert fut directeur de l’AIA de Clermont-Ferrand, directeur du Service Industriel de l’Aéronautique (SIAé), directeur des ressources humaines de la DGA et Inspecteur Général des Armées. Il est aujourd’hui consultant indépendant en performances industrielles auprès de PME et d’ETI.
 

 

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