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Les anneaux olympiques devant la Tour Eiffel, pour célébrer l'organisation par Paris des JO 2024 Crédit: Getty Images
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05 octobre 2023

ANTICIPER LES CRISES ÉNERGÉTIQUES POUR MIEUX ADAPTER NOTRE SYSTÈME ÉLECTRIQUE

La réglementation européenne, les atermoiements sur la relance du programme nucléaire français et les suites de Fukushima ont généré un climat d’incertitudes, dans le contexte de l’augmentation des besoins mondiaux en énergie, créant des risques exacerbés par la guerre ukraino-russe … Comment se prépare-t-on face à la menace d’une crise ?


A l’approche de l’hiver 2022-2023, le faible taux de disponibilité du parc électro-nucléaire français a rendu plus probable le risque de devoir procéder à des délestages maîtrisés certains jours pour pallier un éventuel déséquilibre entre l’offre et la demande.

A cette occasion, un travail interministériel a été conduit sous la direction d’une préfète nommée à cette occasion et dans le cadre d’une « CIC (Cellule interministérielle de crise) délestage ». Il a permis de mettre à jour les listes des clients prioritaires dont les alimentations ont été protégées afin de ne pas subir de délestage programmé, sans que puisse leur être garantie l’absence de coupure en cas d’événement brutal nécessitant une réponse réflexe de préservation du réseau. Ces délestages programmés visent à maintenir les équilibres locaux et globaux du réseau pour éviter son effondrement qu’il faut absolument éviter.

En effet, le dernier effondrement global du réseau électrique en France a causé une panne géante de quelques heures, le 19 décembre 1978, avec des conséquences lourdes : métros arrêtés, feux de signalisation coupés, embouteillages monstres, ascenseurs bloqués, bureaux et usines à l’arrêt, des blocs de chirurgie coupés et des opérations qui se sont terminées à la lampe de poche … Or, entre 1978 et aujourd’hui, la continuité de distribution électrique est devenue cruciale pour de nombreuses activités supplémentaires. Les conséquences seraient donc probablement bien pires aujourd’hui.

Jeux Olympiques de Paris
Deux points majeurs d’attention pour les JOP :
La recherche d’exemplarité en termes de lutte contre le réchauffement climatique conduit à la décision de ne plus alimenter les stades et sites olympiques par des groupes électrogènes mais par le réseau électrique. Il faut donc mettre en place deux alimentations indépendantes sur chaque site de manière à disposer d’un secours qui garantisse le déroulement des épreuves sans risque de délai ou de report. La disponibilité de l’électricité sera sujette à faible risque en saison de faible consommation.
Par ailleurs, des travaux importants ont dû être réalisés pour garantir l’alimentation en électricité de la cérémonie d’ouverture sur un site qui ne disposait pas des capacités requises.
Ces deux points feront l’objet d’une surveillance particulière pendant les JOP car la panne n’est pas acceptable…

Les travaux, pilotés par la CIC, ont été réalisés par les préfectures qui ont arbitré entre les demandes, toujours trop nombreuses, et les capacités limitées des clients à se préserver. Dans ce travail, l’importance de chaque client dans la vie de la Nation et les conséquences d’une coupure brutale sur l’outil industriel ont été prises en compte, ainsi que les taux de clients priorisables, qui sont définis par un règlement européen.

Parmi les problèmes majeurs qui ont dû être abordés, deux peuvent être exposés ici et ils montrent comment les évolutions de la société complexifient les décisions à prendre dans ces situations.

Cas des écoles

La probabilité d’une coupure électrique est plus forte entre novembre et début mars. Entre mi-décembre et fin janvier, il fait nuit jusqu’après 8h et la question est de savoir si les écoles peuvent recevoir les élèves, quitte à les laisser en récréation pour la durée de la coupure. Comme les écoles sont des ERP (Etablissement recevant du public) et que leurs dispositifs de sécurité ne fonctionnent pas sans électricité, il conviendrait de les évacuer. Mais cela peut avoir de multiples conséquences : comme il est très difficile de réorganiser les transports scolaires, les élèves qui ne viendraient pas le matin ne pourraient pas rejoindre leur établissement plus tard dans la journée. Les parents devraient rester à la maison pour les garder (au moins un des deux), d’où une désorganisation massive pour les employeurs. Les enfants non gardés pourraient aller dans des rues avec un éclairage et des feux éteints, d’où un risque supplémentaire. Si en revanche, les écoles restent ouvertes sous la responsabilité de leur chef d’établissement, c’est lui qui court un risque car en cas d‘accident il sera mis en examen….

Cet exemple est représentatif de ce que dans notre société les conséquences juridiques de chaque décision peuvent aussi s’opposer à une gestion « en bon père de famille » …

Les exemples de sujets à questionnements sont nombreux : tunnels routiers qui fermeraient du fait de dispositifs de sécurité inopérants, impossibilité de faire le plein de carburant à une station-service délestée, risque de voir des habitants coincés dans des ascenseurs, transports en commun arrêtés car les opérateurs de transports ne voudraient pas prendre le risque de devoir gérer des trains bloqués en pleine nature, blocage potentiel des centres de données …

Un autre point est celui de la téléphonie mobile qui se trouverait inopérante dans les zones délestées. La question posée est moins celle de la privation de téléphone durant deux heures, que celles du redémarrage des antennes relais et des équipements des opérateurs, et des incertitudes sur l’accès aux numéros d’urgence.

La gestion de crise s’est traduite par la mise en place de nouvelles procédures
Un déséquilibre entre l’offre et la demande est prévisible avec 3 jours de préavis. L’outil « Ecowatt » permet à RTE de communiquer sur ce déséquilibre possible et s’il est faible, les mesures de réduction de la consommation citoyenne peuvent permettre d’éviter d’avoir recours à des délestages.
Si le déséquilibre se confirme, RTE définit les sites qui devront être délestés par grandes mailles puis Enedis dispatche, à J-1, entre celles qui subiront un délestage et celles qui en seront préservées.
Ainsi les clients savent la veille en fin d’après-midi s’ils vont subir un délestage et peuvent s’y préparer. Le délestage dure deux heures et si nécessaire d’autres clients sont coupés pour la tranche horaire suivante ; l’objectif étant qu’un même client ne soit coupé qu’une fois par jour au maximum. Les tranches envisagées s’étalent de 7h à 12h et en fin de journée.

Même le réseau historique (sur base de cuivre), dans les endroits où il n’a pas été retiré, pose des problèmes de disponibilité parce qu’il a été modernisé avec des relais électriques et des fibres optiques branchés sur le réseau…. De ce fait, un dispositif exceptionnel a été imaginé pour préserver autant que possible l’accès aux numéros d’urgence de manière à limiter les risques de voir un patient décéder faute d’avoir été secouru.

Dans un pays moderne comme le nôtre, l’électricité est partout et ce travail d’anticipation a montré les conséquences énormes de délestages sur son organisation et sa capacité à réagir à une crise en conservant le paradigme de la normalité. En effet, comment faire en sorte qu’en cas de crise majeure de type délestage ou Covid-19, un certain nombre des acquis de la société ne doivent être mis en balance d’un comportement de bon père de famille afin de compenser les effets de l’indisponibilité de dispositifs légalement indispensables du point de vue de la sécurité ? Nul ne sait le dire.

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Philippe LOREC, Secrétariat général du MTECT

Il entame sa carrière en 1992 au Ministère de la Défense et la poursuit en 1997 au Ministère des Finances. En 2003 il devient conseiller diplomatique du ministre de l’industrie. En 2006, il revient à la Direction Générale de l’Energie et du Climat puis il prend la coprésidence du Plan Solaire Méditerranéen au sein des services du Premier Ministre. En 2015 il devient Chef du département «Informations, Synthèse et Analyse des Risques» au Ministère des finances. Il a rejoint le secrétariat Général du MTECT en 2019.

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Yves Rougier, ICA - IGPEF

Après une carrière de 25 ans dans le service des programmes navals, Yves Rougier rejoint le ministère du développement durable en 2008 pour traiter de sujets de sûreté d’abord dans les transports, puis de sécurité routière et de SI routiers. Aujourd’hui il est responsable de la gestion de crise sur l’ensemble du pôle ministériel MTECTMTE-SEM.

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