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01 octobre 2018

GUERRE ET NUMÉRIQUE
UN CHANGEMENT DE FRONTIÈRES

Publié par Colonel (T) Erwan Rolland | N° 116 - Le numérique

Dans son discours sur la transformation de la DGA du 5 juillet dernier, madame Parly reprenait la citation du président Kennedy, The new frontier : « une nouvelle frontière est là, que nous le voulions ou non. Au-delà de cette frontière se trouvent les domaines inexplorés de la science et de l'espace, les problèmes non résolus de la paix et de la guerre, les poches d'ignorance et de préjugés invaincus. »


 

La croissance rapide des nouvelles technologies de l'information et de la communication et l'innovation dans les systèmes numériques sont à l'origine d'une révolution qui ouvre de nouvelles perspectives à la création du savoir et la diffusion de l'information et qui bouleverse radicalement nos modes de pensée, de comportement, de communication et de travail.

La révolution numérique en marche va façonner durablement les nouvelles frontières de demain en ouvrant la voie à un environnement pervasif et ubiquitaire et un monde dans lequel les objets et les individus pourront communiquer et se localiser à tout moment et en tout lieu avec les autres éléments, quel que soit leur milieu de rattachement (terrestre, aérien, maritime et exo-atmosphérique). Un monde dans lequel la notion même de frontière tendra à s’estomper.

Pour mieux anticiper l’éclosion de ces nouvelles frontières et la disparition de certaines d’entre elles, les armées doivent passer par trois stades de transformation.

La transformation de notre état d’esprit (mindset)

La révolution numérique va apporter des ruptures technologiques qui vont bouleverser l’art de la guerre et les armées doivent saisir au plus tôt les opportunités que cela induit pour la préparation et la conduite des opérations. La combinaison entre l’intelligence artificielle (IA), la robotique, l’aide augmentée, la mise en réseau et l’interconnexion des systèmes, les nouveaux matériaux, les bio et nanotechnologies vont jouer un rôle central dans les systèmes de défense de demain et contribueront de façon significative à la supériorité opérationnelle. Dans ce nouveau contexte, et pour conserver durablement notre supériorité opérationnelle, les armées devront comprendre, raisonner, décider et conduire autrement les opérations avec la maîtrise du tout numérique.

« INNERVER LES FORCES ET LEURS EFFECTEURS JUSQU’AU PLUS BAS ÉCHELON »

La prise de conscience des défis qui doivent être relevés dès à présent passe donc par un travail important d’acculturation de nos décideurs et de nos chefs interarmes et interarmées sur les principaux enjeux de la révolution numérique.

Si les militaires de la génération Y (nés entre les années 80 et 2000) se sont approprié nativement les technologies de l’information et de communication et anticipent les game changer de demain, nos décideurs de la génération X (années 65-79) ou de celle des Baby boomers (années 46-64) font partie des générations charnières pour lesquelles la conduite du changement nécessite de s’appuyer sur une démarche volontariste : comité exécutif du numérique, ambition numérique, feuille de route de l’IA, schéma directeur, colloques, articles, sont autant de leviers dont il faut user jusqu’à satiété pour innerver toutes les strates de notre hiérarchie militaire sur la nécessité de s’approprier dès à présent les enjeux et relever les défis de la révolution numérique.

La mise en place d’un officier général de transformation digitale des armées (OGTDA) auprès du major général des armées (MGA) et la création à venir d’une division numérique rattachée au MGA participe directement de cette prise de conscience et de la montée en gamme de nos états-majors.

La transformation de nos organisations

Si la révolution numérique doit être un vecteur fort de la transformation et de la modernisation du ministère, elle doit également être mise au service du succès des armes de la France et contribuer à accroître l’efficacité opérationnelle des armées tout autant que l’efficience et le fonctionnement courant du ministère. C’est donc bien la transformation de toutes nos structures de commandement opérationnel qui est en jeu.

Le volume de données qui sera généré dans le secteur de la défense sera exponentiel dans les années à venir. L’essor des applications tirant parti en flux tendu de ces données exigera des traitements extrêmement rapides et donc au plus près des utilisateurs.

La numérisation offrira à terme les bénéfices escomptés à nos structures de commandement qui gagneront en agilité, en performance et en efficacité en surmontant le risque de saturation informationnelle.

Les armées numérisées de demain devront concourir à fluidifier le traitement de la donnée et de l’information et les rendre plus accessibles aux échelons stratégiques, opératifs et tactiques. Si les flux informationnels peuvent brouiller davantage la compréhension et l’appréciation de situation, l’automatisation du traitement des données et la croissance de la puissance de calcul permettront d’innerver les forces et leurs effecteurs jusqu’au plus bas échelon pour répondre au besoin tactique d’immédiateté et de précision.

Pour conforter notre supériorité opérationnelle, le modèle d’armées numérisées de demain devra reposer sur deux facteurs clés de succès : il devra d’une part renforcer la performance des structures de commandement et d’autre part décloisonner et fluidifier les liens entre tous les acteurs. C’est à cette condition que la veille et le combat collaboratifs info-valorisés prendront corps et deviendront réalité.

La transformation de nos processus

Plusieurs exemples témoignent du virage que les armées ont su prendre pour anticiper les défis posés par la révolution numérique : le concept de Smart Base sur la base aérienne 105 d’Evreux, l’Intelligence campus de la Direction du renseignement militaire, le Hackathon Marine, les défis divers, le DGA LAB… autant d’initiatives à encourager qui stimulent l’initiative individuelle et collective, favorisent les échanges et la création et qui préfigurent ce que pourraient être une véritable « École 42 » ou les futurs incubateurs du MINARM qui appliquent les principes de l'économie collaborative à la formation et à l’innovation.

Au-delà de ces multiples initiatives, ce sont également les processus internes du MINARM en matière de développement, de conduite des projets et d’acquisition qu’il faut également transformer pour gagner en agilité.

L’agilité impose de la flexibilité et de la rapidité dans les processus décisionnels. Afin de pouvoir s’adapter de façon pragmatique aux changements rapides de situation (évolution des technologies et des besoins fonctionnels) il est nécessaire de raccourcir les délais de développement, de contractualisation et d’anticiper les inévitables évolutions à apporter à nos systèmes d’information et systèmes d’armes.

Nos méthodes de développement, notamment dans nos systèmes d’information, sont clairement challengées (Instruction 125/1516, besoins fonctionnels souvent maximalistes et sur-spécifiés). Il nous faut plus de flexibilité, de souplesse, d’évolutivité et d’approche incrémentale. L’heure est aux plateformes digitales pour réduire la durée de développement et rapprocher le développeur de l’administrateur et l’utilisateur. Le concept de DevOps, qui repose sur la mise en place d'une culture de la collaboration entre les équipes qui étaient historiquement cloisonnées, doit en partie répondre à cette nouvelle exigence.

L’agilité passe aussi par une meilleure acceptation du droit à l’erreur inhérent à la transformation numérique. L’échec doit être pris en compte et accepté. Les projets modestes, dimensionnés au plus juste, doivent être favorisés et valorisés pour un faible coût initial, avec une capacité d’amélioration incrémentale.

Conclusion

Cette inéluctable adaptation doit in fine permettre au chef d’état-major des armées de continuer à exercer pleinement ses responsabilités d’organisation générale des armées, de choix capacitaires, de préparation et d’emploi des forces. Elle doit également fixer les conditions qui permettront aux armées de conserver durablement leur supériorité opérationnelle.

La place que les armées prendront effectivement tout prochainement dans l’agence de l’innovation et le Défense Lab participera également à ce processus d’adaptation et de transformation en cours et à venir.

Ces trois étapes de notre transformation permettront enfin aux armées de faire écho à Antoine de Saint-Exupéry qui disait : « pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible ».

Auteur

Colonel (T) Erwan Rolland

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