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© J.MORTREUIL/Armée de l’air Le top du top du vol en patrouille serrée, la Patrouille de France !
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05 avril 2024

CONFIANCE EN SOI, CONFIANCE EN L’AUTRE

Publié par Jean-Luc Fourdrinier | N° 131 - FACTEUR HUMAIN

Pour un pilote de chasse sanglé dans une machine de haute technologie et qui fait corps avec celle-ci, on pourrait croire que le facteur humain est secondaire pour la réussite d’une mission. Il n’en est rien.


L’étude de ce que les scientifiques nomment désormais « les facteurs humains » a pris une part essentielle dans l’amélioration de la sécurité liée aux activités aéronautiques. En effet, avec les progrès technologiques et la fiabilité croissante des matériels, l’analyse des causes des incidents ou accidents aériens montre que les erreurs humaines deviennent prépondérantes. Les facteurs favorisant ces erreurs sont divers : limites physiologiques, problèmes d’interface homme-système, biais de perception ou de réflexion, saturation cognitive, etc. Face à ces difficultés, l’opérateur humain met en place des stratégies conscientes ou inconscientes afin de créer un environnement dans lequel le sentiment de sécurité va être suffisamment important pour lui permettre de dégager les ressources mentales nécessaires à la détection et au traitement des erreurs qu’il génère. La confiance est un élément essentiel dans la construction de cet environnement.

La mise en vol d’un avion de chasse est un processus complexe au cours duquel de nombreux opérateurs humains interviennent chacun à leur niveau, depuis les ingénieurs qui ont conçu l’appareil en passant par les techniciens qui l’ont construit, les équipages d’essais qui l’ont mis au point, les mécaniciens qui l’ont entretenu et préparé pour ce vol. Dernier maillon de cette chaîne humaine, le pilote s’installe dans son cockpit en accordant implicitement sa confiance à ces différents intervenants dont il sait que les compétences et le professionnalisme conditionnent la fiabilité technique de l’engin avec lequel il s’apprête à quitter le sol.

Ingénieurs, techniciens, équipages d’essais, mécaniciens, pilotes : une indispensable confiance mutuelle

Ingénieurs, techniciens, équipages d’essais, mécaniciens, pilotes : une indispensable confiance mutuelle

Une fois en vol, le pilote va rencontrer des situations au cours desquelles la sécurité de son appareil et de lui-même vont dépendre de l’action d’une ou d’autres personnes. Par mauvaises conditions météorologiques, volant en aveugle au milieu des nuages et souvent dans un environnement aéronautique dense, le pilote s’en remet au guidage d’un contrôleur au sol qui va lui indiquer la trajectoire à suivre pour rejoindre son aérodrome en évitant les reliefs et les autres aéronefs. Disposant d’équipements de navigation embarqués, le pilote d’un aéronef isolé peut être en mesure de surveiller les indications données par le contrôleur. Mais si les évolutions s’effectuent de concert avec d’autres aéronefs, cette action de surveillance peut rapidement devenir impossible. C’est le cas lorsqu’un pilote est amené à voler en « patrouille serrée » sur un autre appareil. La quasi-totalité de son attention est alors mobilisée pour conserver l’écartement, le retrait et l’étagement nécessaires au maintien d’une position fixe à quelques mètres de l’extrémité de l’aile de l’autre appareil. Le regard accaparé par la surveillance de ces repères extérieurs, le pilote n’est plus en mesure de regarder ses propres instruments et de connaître les paramètres de vol et la trajectoire de son aéronef. Il met alors entièrement sa sécurité entre les mains du pilote qui le guide, liant son sort à celui de son leader. Dans une telle situation, le pilote n’a d’autre choix que d’accorder sa totale confiance à celui qui le mène ou alors rompre la formation et abandonner la mission planifiée.

Un Mirage 2000N en vol en patrouille serrée sur un autre Mirage 2000

Accorder une telle confiance, jusqu’au péril de sa vie, peut paraître chose malaisée. C’est alors que la notion de communauté prend son sens. Avoir traversé une même formation exigeante et sélective, s’être astreint à des entraînements difficiles et récurrents, avoir partagé les moments de doute et de gloire, forgent une conscience d’appartenir à un groupe particulier au sein duquel la confiance réciproque peut s’épanouir.

Il reste un dernier aspect de la confiance qui peut être évoqué, difficile mais essentiel, à savoir la confiance en soi-même. Pour accomplir sa mission, le pilote de chasse doit posséder la conviction profonde qu’il sera « à la hauteur », que quoi qu’il puisse arriver il saura faire face et sera digne de la confiance de ses camarades. Cette qualité n’est pas forcément innée, elle s’acquiert par un long entraînement. On reproche parfois aux pilotes de chasse de faire preuve d’un « ego » un peu fort. Là aussi cette forme de confiance en soi est indispensable pour s’engager dans un combat mortel face à un ennemi qu’il soit en vol ou au sol, sanglé dans une machine qu’un seul impact peut transformer instantanément en une boule de feu. Il s’agit en fait d’une condition nécessaire à l’exercice de ce métier, où la moindre hésitation peut être fatale.

 

Photo de l auteur
Jean-Luc Fourdrinier,
Pilote d’essais avions

Diplômé de l’École de l’Air promotion 1987, breveté pilote de chasse, Jean Luc Fourdrinier a un début de carrière classique au sein de l’armée de l’Air, commandant notamment le prestigieux escadron 2/5 « IIe de France » sur Mirage 2000. Il rejoint la DGA en 2009 comme chef du site de Cazaux de DGA Essais en vol avant de devenir sous-directeur « opérations aériennes et réglementation » du centre. Il est aujourd’hui instructeur pilote d’essais avions à l’École du Personnel Navigant d’Essais Réception à Istres.

Auteur

Jean-Luc Fourdrinier
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